CHALIVOY-MILON


par M. DESHOULIÈRES



Le modeste bourg de Chalivoy-Milon (1) appartenait, au IXe siècle, à un certain Milon et à sa femme Gerrade, lesquels, en 880, en firent don à Addoline, abbé de Saint-Sulpice de Bourges (2).

Mais c'est en 1032 seulement que mention est faite de son église dédiée à saint Silvain. En ce temps-là, Raimond, fils du clerc Itier, qui avait été excommunié par l'archevêque de Bourges Aymon, sans doute pour exactions envers l'abbaye de Saint-Sulpice, rend à son abbé Vivien, l'église et la terre de Saint-Silvain de Chalivoy (3).

Il est cependant impossible de faire remonter l'église actuelle à une époque aussi reculée, et, bien que l'hypothèse soit toute gratuite, on peut rapprocher sa construction d'une autre restitution faite à Saint-Sulpice en 1126, celle de la moitié des dîmes de Chalivoy dont Raimond de Chalivoy, qualifié de « miles de Callivet », et sa femme Laure, s'étaient emparés injustement (4).



En effet, l'ornementation, d'une rare élégance, qui distingue cette petite église, le style de ses chapiteaux, le profil de ses moulures, empêchent de lui donner une date antérieure à la première moitié du XIIe siècle (5).

Intérieur

— Son plan est très rudimentaire, puisqu'il ne renferme qu'une nef unique accompagnée d'un clocher latéral placé à son extrémité sud, un choeur et une abside demi-circulaire.

De la nef, nous ne dirons rien, car elle a été entièrement reprise aux temps modernes, sur des murs anciens, puisqu'on y retrouve le tracé de fenêtres primitives, en plein cintre, percées très haut, mais aujourd'hui bouchées.


PLAN DE L'EGLISE
DE CHALIVOY-MILON


C'est à l'extrémité sud de la nef que s'élève le clocher, évidemment construit après coup. A cet effet, on a dressé un grand contrefort intérieur qui sert de pied-droit à un large arc en tiers-point, lancé pour recevoir la moitié inférieure de la souche carrée, alors que l'autre moitié repose sur une console ornée de masques et sur un petit personnage, sorte de cariatide qui se tient assis, au-dessus.

Cet ensemble est porté par la colonne engagée marquant l'entrée du choeur. Une autre colonne engagée est en face, et toutes les deux reçoivent un arc en plein cintre, aux arêtes vives et à un seul rang de claveaux qui donne accès dans le choeur, tandis qu'un arc semblable et pareillement soutenu est l'arc triomphal devant l'abside.

Les chapiteaux de ces colonnes, surmontés de tailloirs allégés de cavets simples ou multiples, sont revêtus de personnages et de scènes.

On y voit une curieuse représentation des vendanges : des ouvriers portent, dans un baquet, la récolte ; à côté, ils coupent avec une serpe des grappes qui seront recueillies dans un panier suspendu à leur bras ; un chapiteau de l'église de Saint-Pierre-les-Étieux représente la même scène, dans une formule identique.

D'autres chapiteaux sont garnis d'un décor végétal, mais ce qu'il faut y remarquer, ce sont les astragales recouverts de palmettes suivant la disposition très berrichonne que j'ai relevée plusieurs fois. Les bases enfin de ces colonnes sont, soit creusées de plusieurs gorges entre deux tores, soit inclinées en talus rehaussés de dents de scie ou bordés d'un tore.


RETOMBEE INTERIEURE DU CLOCHER



Deux fenêtres nues éclairent chaque côté du choeur voûté d'un berceau en plein cintre.

L'abside, surmontée d'un cul-de-four, est particulièrement remarquable par la recherche décorative dont elle témoigne. Tout autour, une arcature en plein cintre est montée sur des colonnes ornées, qui sont dressées sur un haut stylobate : si quelques-unes sont simplement annelées suivant le parti poitevin, très suivi en Berry, dont on retrouve des exemples à Plaimpied, à Dun-sur-Auron et à Saint-Genou (6), d'autres sont couvertes de spirales enrichies de billettes et de losanges.

Les chapiteaux, placés sur des astragales minces et réguliers, sont sculptés avec la même élégance. Trois fenêtres, dont la courbe en plein cintre est accusée par un tore, sont percées dans une triple arcature, et sont accompagnées de colonnettes du même style que les précédentes.

Cet ensemble, dont les détails sont malheureusement assombris et empâtés par un fâcheux badigeon, se rapporte à l'âge de l'église, que nous avons placée dans la première moitié du XIIe siècle.

Peintures


— Tout l'intérieur de l'église était recouvert de peintures qu'en 1868, M. l'abbé Clostre, alors curé de Chalivoy-Milon, a su découvrir et que Monseigneur Lenoir a décrites (7). Sur le berceau du choeur, la composition figure encore une grande croix (8) rehaussée d'une bande centrale émaillée de fleurettes à quatre pétales donnant l'illusion d'une mosaïque et bordée d'une série de médaillons ; là, sont rangés les bustes de vierges et de saints, vêtus de tuniques et coiffés d'une sorte de couronne fermée ayant l'apparence d'une mitre : ce sont des martyrs, car ils portent des palmes ; les cantons de la croix sont occupés par des arcatures abritant douze apôtres nimbés, porteurs de phylactères. Des scènes sont peintes au-dessous, sur les murs latéraux.


PEINTURES DE LA VOUTE DU CHOEUR

On y reconnaît, au nord, la Résurrection de Lazare, l'Entrée à Jérusalem, peut-être la Fuite en Egypte et le Massacre des Innocents.

Au sud, la dégradation rend l'interprétation difficile. Monseigneur Lenoir a cru distinguer Jésus chassant les vendeurs du Temple, la Décollation de saint Jean-Baptiste, le Massacre des Innocents, peut-être les rois mages.

Sur l'abside, il aurait vu l'Agonie au Jardin des Oliviers et la Trahison de Judas.

Dans l'embrasure des fenêtres, une découverte plus récente a permis de supposer qu'il y avait là un certain nombre de saints debout, car on y lit ces inscriptions : S. VINCENTIUS, S. LAVRENTIUS, S. SVETVS, S. VRBANUS, puis les noms de saints archevêques de Bourges : S. VRSINUS, S. AVSTREGESILIUS, S. PALLADIVS, S. SENATIVS.

Les couleurs dominantes sont le rouge et le jaune, et le style paraît devoir faire remonter ces peintures au XIIIe siècle. Mais, en 1868, les murs de la nef avaient, eux aussi, conservé une décoration picturale que Monseigneur Lenoir ne faisait pas remonter plus haut que le XVe siècle ; des travaux postérieurs les ont fait disparaître.

Nous ne pouvons que les énumérer après lui. On y voyait la Légende de saint Éloi ferrant un cheval dont un mystérieux compagnon — c'était Jésus-Christ lui-même — avait coupé la jambe pour faciliter le travail, puis saint Roch, saint Robert, sainte Barbe, saint Philippe, ainsi que l'apprenaient des inscriptions. Le choeur avait aussi, dit Monseigneur Lenoir, d'autres peintures de la même époque. Ne s'agit-il pas plutôt de l'abside ?

Une immense mappemonde de six mètres environ de diamètre, portait en abrégé la représentation de l'histoire de l'humanité : la Création, Adam, les Fleuves du Paradis, enfin des animaux divers, le sciapode par exemple dont le pied tendu en l'air formait un parasol. On lisait en grandes capitales : EVPHRATVS, BABYLONIA, OCEANVS, EGYPTIACVS.

Aucun contrôle n'est aujourd'hui possible.

Extérieur

-— La façade occidentale est ajourée d'une porte moderne, mais qui a conservé une ancienne archivolte garnie de feuilles aux quatre lobes retournés, figurant des hélices comme on en voit à Dun-sur-Auron, à Drevant et à Chambon.

Une autre porte est ouverte dans l'élévation latérale nord. Son tympan représente l'Agneau crucifère, placé dans un nimbe que soutiennent deux anges.

Sur l'élévation méridionale, on retrouve le clocher dont les angles sont soutenus par un encorbellement à cinq révolutions. Il est ajouré de deux baies géminées en plein cintre et terminé par une flèche de pierre à quatre pans, où quatre lucarnes sont surmontées de gables hauts et élancés, ce qui est une rareté dans la région.

L'extérieur du choeur et du chevet ne le cède en rien à l'intérieur. Une arcature basse et nue double le pied du sanctuaire ; au-dessus court un cordon de billettes, puis les fenêtres sont ouvertes entre des colonnettes annelées, et enfin une arcature enrichie de colonnettes est disposée sous le comble.

Les mêmes arcatures garnissent le chevet, mais ici c'est l'arcature haute qui est nue et l'arcature basse qui est montée sur des colonnettes n'existant pas aux fenêtres.

Des contreforts-colonnes assez curieux soutiennent l'hémicycle. Ils sont composés, dans la partie supérieure, de trois colonnes, dont deux reposent sur l'arcature basse, tandis que celle du milieu part du sol.

Remarquons une base dont le talus est surmonté d'un tore soutenu par des appliques verticales au pied évasé. Les corniches du choeur et du chevet appartiennent à trois types : l'un est la tablette droite soutenue par de simples modillons. A côté, court une corniche que j'ai appelée crénelée (9) et qui est constituée par une suite de pierres taillées en fer à cheval, dont les petits côtés sont placés sur les modillons, de telle sorte que ceux-ci reçoivent au milieu le joint qui les relie ; disposées bout à bout, ces pierres en fer à cheval ont l'aspect de larges créneaux et d'étroits merlons placés à l'envers.

Enfin, sous le comble de l'abside, court une corniche dite poitevine où les arcatures, sur quoi repose la tablette assez profonde et découpées en cintre surbaissé, s'évasent vers l'extérieur et affectent une forme tronconique. C'est la corniche de Saint-Porchère de Poitiers, de Civray (Vienne), et de Courcôme (Charente). Nous l'avons relevée en Berry, à Drevant, Flavigny, Dun-sur-Auron, Lignières, Thaumiers, Vallenay, Vornay, Cornusse, Puyferrand et Ségry.

BIBLIOGRAPHIE

— Buhot de Kersers. Histoire et statistique monumentale du Cher, t. IV, p. 68.
— Lenoir (Abbé), Fresques existant encore dans le diocèse de Bourges, dans Congrès archéol. de Carcassonne, Narbonne..., 1868, p. 51 ;
— De la peinture murale dans les monuments du moyen âge et des peintures murales de l'église de Charly, Bourges, 1868.
— Dumoutet, Communication sur l'église de Chalivoy-Milon, dans Bull, de la Comm. hist. et archéol. de Bourges, 1867-1875, p. 168.


Nota : cet article est accessible en ligne sur le site de la BnF, Bibliothèque nationale de France.


























(1) Chalivoy-Milon, cant. de Dun-sur-Auron, départ, du Cher, ne doit pas être confondu avec Chalivoy, canton d'Herry, dans le même département, qui était une abbaye cistercienne fondée en 1138 et ruinée en 1562.

























(2) Louis de Kersers, Essai de reconstitution du Cartulaire A de Saint-Sulpice de Bourges, dans Mém. de la Soc. des Ant. du Centre, 1912, p. 175. Cette charte a été publiée par Raynal, Hist. du Berry, t. I, p. 468.

























(3) « Anno incarnationis dominicc MXXXII, regni autem régis Francorum VI (?) ego Ragimundus, amore Dei coactus, santo Sulpicio et. Vivicno abbati et fratribus ibidem Deo servientibus, reliqui omnia que injuste invaseram, scilicet medietatem atque omnem sancti Silviani terram... » Essai de reconstitution..., cit., p. 179.

























(4) Ibid., p. 179.


























(5) V. sur cette église, Buhot de Kersers, Hist. et stat. Monum. du Cher, t. IV, p. 66.


























(6) II ne faut pas cependant oublier qu'en 1097, le porche occidental de Saint-Étienne de Nevers a des colonnes annelées.






























(7) Abbé Lenoir, De la peinture murale dans les monuments religieux du moyen âge et des peintures murales de Véglise de Charly, Bourges, 1868.






























(8) On pourrait faire un rapprochement entre cette croix peinte et les croix sculptées sur les façades d'Avor, de Jussy-Champagne, etc., que nous avons signalées.



























(9) Deshoulières, Les corniches romanes, dans le Bull. Mon., 1920, p. 31.