L'HOMOY

UNE SEIGNEURIE MEDIEVALE OUBLIEE

 

A quinze cents mètres du Crot aux Chevaux, sur le vieux chemin allant jadis de Meillant à Dun par Givry et Maupioux, se voyait encore, il n'y a pas très longtemps, une croix de bois sur un socle de pierre : la croix de l'Homoy. D'aucuns affirmaient que le jour des Rameaux, pendant la bénédiction, la pierre s'entr'ouvrait, découvrant un merveilleux trésor. D'autres disaient plus prosaïquement que les jeunes filles s'y rendant à ce moment là y trouvaient un amoureux.

Depuis longtemps on m'avait dit qu'autrefois, non loin de cette croix, il y avait eu un château aujourd'hui disparu mais dont les douves se voyaient encore. En août dernier, le surlendemain de la foire aux chiens, monsieur Bernard Trompat m'y mena.

A une centaine de mètres nord-ouest de l'emplacement de la croix de l'Homoy, au delà du champ de la Porte, se trouve un bois, appelé le bois de la Garne. C'est un enchevêtrement de ronces et d'épines, d'arbres creux farcis d'essaims d'abeilles, de bois mort et de vieux ormes pourris. Le sol est percé de terriers de blaireaux et de trous de renards. C'est au milieu de ce chaos que monsieur Trompat me fit voir les fossés : fossés profonds par endroits de quatre à cinq mètres et d'une largeur pouvant atteindre jusqu'à six et huit mètres. Ces fossés entourent un quadrilatère de cinquante à soixante mètres de coté. L'un des fossés se prolonge en direction du sud, ce qui suggère l'existence d'une seconde enceinte et d'une basse-cour. Aucune trace de pierres. On dit que les dernières furent enlevées entre les deux guerres.

Quand cette forteresse fut-elle bâtie ? On ne le saura peut-être jamais. Tout ce qu'on peut dire c'est que, dès l'année 1232, les vieux parchemins mentionnent le lieudit de l'Homoy et nous font connaître les noms de plusieurs chevaliers, damoiseaux et autres nobles personnes habitant dans les parages. Cette forteresse existait-elle déjà ? Etait-elle leur demeure ? Question sans réponse.

Il nous faut attendre le 24 juin 1376 pour connaître avec certitude le nom d'un seigneur de l'Homoy. C'est un vieux parchemin râpé qui nous le révèle. Son encre est devenue si pâle qu'il a fallu utiliser une lampe à ultra-violets pour le déchiffrer.

Le 24 juin 1376, nous sommes en pleine guerre de Cent-Ans. Ce jour-là, Robin de l'Homoy, écuyer, fait aveu et rend hommage à Jean III de Sancerre, seigneur de Meillant, pour les bien-fonds, rentes, dîmes et droits divers qu'il reconnaît tenir de lui en fief et qu'il énumère en détail.

Robin mentionne explicitement :

« son OSTEL (sa demeure ) de Lomoy avec tous les droiz et appartenences audit ostel, soitent : FAUSEZ (fossés), boys, terres, prez, vignes, rentes de blé, d'argent et deues tant de rentes comme censives, quelques ils soient ».

Robin avait droit à la moitié des cens en deniers et des jaux (coqs) perçus par le seigneur de Meillant les jours de la Pentecôte et de la Saint Barthélémy. Il avait droit aussi au quart des gélines (poules) du Gros Bouchot et au tiers des "aygres" (verjus) du Gros Bouchot. Il percevait également des revenus à Charenton et à Saint-Pierre-les-Etieux, certains d'entre eux étant partagés par moitié avec le seigneur du Creuset de Coust.

Robin avait toute liberté de chasser et de faire chasser, non seulement dans ses propres bois, mais aussi dans le bois de "Maon" (aujourd'hui le bois de Maulne) "touttez les foiz que il lui plet et en la menère que Il ha acostumé de fère".

Il serait dommage de ne pas noter que Robin possédait « la moytié de la personne et corsage de Johanne feme Denix Clairau avecques la moytié de toutes ses tenues et biens ; item, la personne et corsage de Johan, Johan Venat et Béatrix sa feme avec touz leurs biens ». « La personne et corsage », voilà une expression qui surprend. Mais "honny soit qui mal y pense" ! Elle signifie tout simplement que les personnes mentionnées sont des serfs.

Nous sommes en 1376. A cette même époque ... Non ! Il ne faut pas couper le fil du récit. Nous y reviendrons plus tard.

En 1446, le seigneur de l'Homoy est Jean de l'Hopital. Sieur de Montifault, Vicomte de Dun-le-Roy, il est chevalier de l'Ordre de Notre Dame de la Table Ronde de Bourges. Il a pour femme Marguerite Beuille de Moulins.

Après lui, pendant plus d'un siècle, la seigneurie de l'Homoy appartiendra à la famille Roussard. C'était une famille bien assise. Plusieurs de ses membres avaient été Maîtres de la Monnaie de Bourges. La belle-mère de Jacques Coeur était une Roussard.

En 1470 et 1471, nous voyons Pyon Roussard, seigneur de l'Homoy et Maître des Eaux et Forêts de Meillant, représenter Pierre d'Amboise dans une série de procès avec les habitants de Dun touchant l'éternelle question des droits d'usage dans le bois de Maulne.

En 1530, noble homme Pierre Roussard, bourgeois de Bourges, n'est pas seulement seigneur de l'Homoy ; il est aussi seigneur du Chaillou. Et il semble bien qu'à partir de cette date les deux seigneuries resteront unies. Notons que Pierre Roussard parle de son "Hostel et manoir de l'Hosmoys assiz en la ... paroisse de Meillant" et affirme son droit de "chasser à cor, à cri, à hu et toutes manières de chasse, et à courre, et tout ce que bon luy plaira". Sa situation semble bonne.

Mais en 1575 nous arrivons à un tournant. L'Homoy et le Chaillou appartiennent maintenant à noble homme Robert Roussard. Il a pour épouse Gabrielle Ternat, fille de feu Maître Nicolas Ternat et d'Anne Tuillier. Robert Roussard est perclu de dettes. Il est aux prises avec ses nombreux créanciers.

Tant et si bien que le 25 mars de cette même année il est contraint de vendre et de céder à Charles de La Rochefoucauld ses deux seigneuries de l'Homoy et du Chaillou pour la somme de "dix sept cent cinquante livres tournoys pour chacun desdicts fiefs, qui est pour les deux la somme de onze cent soixante six escuz et deux tiers". Mais Robert Roussard ne touchera pas un denier de cette somme. L'acte de vente stipule en effet qu'elle sera versée à ses créanciers.

Quel est l'état du manoir de l'Homoy en 1575 ? L'acte n'en parle pas, mais il doit être pitoyable. Une trentaine d'années plus tard, le 18 décembre l609, on ne parle plus que du "lieu où soulloit estre (où était autrefois) l'hostel et manoir de la seigneurie de l'Hosmois, consistant de présent en masures de maisons, granges, estables et bergerie, court, verger, ousche (jardin) estant de présent en chaulme, le tout tenant et joignant ensemble contenant deux boissellées ou environ".

En 1609, l'Homoy et le Chaillou sont, depuis un certain temps déjà, propriété des Amelot : d'abord, François Amelot, Avocat en Parlement ; ensuite son frère Jehan , Conseiller du Roi et Président es requestes de la Cour de Paris ; puis leur frère Charles, Conseiller du Roi et Maitre Ordinaire de la Chambre des Comptes à Paris. A la mort de ce dernier, les deux seigneuries passent aux enfants de Jehan, à savoir : Jehan Amelot, Conseiller du Roi et Maitre des requestes Ordinaires en son hostel ; Denis Amelot, Conseiller du Roi en son Grand Conseil ; et Jacques Amelot, Conseiller du Roi et Président es Requestes du Palais. Si toutes ces charges étaient vénales, voilà une famille qui devait avoir du répondant !

Un demi siècle plus tard, il y a toujours des Amelot à Meillant. L'un d'entre eux, Pierre, bachelier en droit canonique et docteur en théologie sera curé de Meillant de 1654 à 1710, soit pendant cinquante six ans. Il fut inhumé dans l'église et sa pierre tombale se voit toujours dans la chapelle du Sacré-Coeur, le long du mur. Bon sang ne peut mentir : digne descendant d'hommes de loi, Pierre Amelot fréquentait les prétoires et n'hésitait pas à entrer en procès même avec le seigneur de Meillant ou l'Abbé de Noirlac. Ce dernier, le 13 mars 1674, se vit ainsi forcé d'abandonner au curé Amelot et à ses successeurs le droit de perçevoir la dîme de Givry. Cette dîme avait été donnée aux moines dans le courant du XIIIe siècle, par Bertrand de Givry, par le chevalier Nicolas et par les damoiseaux Humbaud et Mathieu ses fils... qui habitaient dans les parages de l'Homoy.

Après les Amelot, ce sont les Bonnet qui possèdent l'Homoy, puis les Lebègue, les Bonneval de Sizière, et enfin les Geoffrenet de Rodais. C'est à ces derniers que la seigneurie appartient au début de la Révolution.

Ceci dit, je ne puis m'empêcher de relater ici une vieille histoire qu'on raconte encore au pays de ma mère, en Bas-Poitou, dans les communes de Loublande et des Echaubrognes. Elle concerne un seigneur du lieu auquel les os ne font plus mal depuis fort longtemps. Or, je viens seulement de réaliser que ce seigneur était aussi seigneur de Meillant. Il s'appelait Jacques de Montberon. Sénéchal d'Angoulême, il devait devenir Gouverneur de Touraine et Maréchal de France, dignité qu'on devait lui enlever pour avoir fait le mauvais choix et avoir préféré les bourguignons au petit roi de Bourges.
- Vers 1380 Jacques de Montberon avait épousé Marie de Maulévrier, devenant de ce fait baron de Maulévrier ... Et l'on raconte aujourd'hui encore que Jacques fut infidèle à Marie ... On raconte qu'il entretint une coupable relation avec la belle Yolande d'Escoubleau de Sourdis... On raconte qu'il lui donna plusieurs enfants, certains disent deux, d'autres trois...
Après la mort de Marie de Maulévrier en 1406, Jacques de Montberon épousa Marguerite de Sancerre, Dame de Meillant et de bien d'autres lieux. Ce faisant il devenait son troisième et avant dernier mari : après Girard de Rais maréchal de France (ne pas confondre avec Gilles), après Béraud comte de Clermont et dauphin d'Auvergne, et avant Jean Lourdin de Saligny connétable de Sicile ... Et l'on raconte que Jacques fut infidèle à Marguerite ... On raconte que lors de ses passages à Maulévrier il continuait à rencontrer Yolande ... On raconte enfin que pour abriter sa belle il lui bâtit un joli manoir aux Echaubrognes, à un quart de lieue de sa forteresse de Maulévrier et sur les bords de la Moine.
- Savez-vous comment il appela ce manoir ? L'Oumois. Ce nom ne vous rappelle rien ?

 

René Challet

 

Extrait du bulletin municipal n°6

Meillant Janvier 1989