LA DUCHESSE
DE
FALLERI

1697-I782


par M Alfred Marquiset


d'après des documents inédits

PARIS HONORÉ CHAMPION, LIBRAIRE-ÉDITEUR
5, QUAI MALAQUAIS, 5

LA DUCHESSE DE FALLARY




TABLE

Préface

Chapitre Ier. — Le marquis d'Haraucourt. — Son origine. — Christine de France, duchesse de Savoie. — Ingratitude de son protégé. — Mme de Montpensier. — La famille Falcoz de La Blâche. — Mariage de d'Haraucourt. — Luxe et misère. — Mort de d'Haraucourt. — Les Tencin. — L'enfance de Mme de Fallary.

Chapitre II. — Les Gorge d'Entraigues. — Ascension de Pierre Gorge. — Un grand aventurier — Mousquetaire et religieux. — Étrange séminariste. — Mme de Nangis, son mariage, sa mort. — La nièce de Mme de Maintenon. — Duc de Falari. — Les fiançailles de Mlle de Brancas. — Mariage de Falari avec Mlle d'Haraucourt.

Chapitre III. — Julie d'Entraigues. — Courte lune de miel. — Falary reprend le cours de ses exploits. — Prisonnier à Monjuich. — Complot à Barcelone. — Arrivée de la duchesse à Paris — Le couvent. — Mme de Vauvray et ses fils. — Parents aimables. — Rapprochement manqué. — Le duc en Espagne.

Chapitre IV. — Le mariage au commencement du XVIIIe siècle. — Un époux intéressé. — Séparation de biens. — Imprévoyance de la jeune femme. — Le Régent. — Portrait de la duchesse. — Présentation au duc d'Orléans. — Le rôle de Mme de Sabran. — Mme de Parabère. — Entrée en fonctions. — Les soupers du Palais-Royal.

Chapitre V. — Accusation du médecin Chirac. — Mot de Broglie. — Falary part pour Paris. — Il est mis à la Bastille. — Une prison de plaisance. — Falary au fort de Joux — Son évasion. — D'Haraucourt nommé mesttre de camp. — Le vieux Gorge d'Entraigues. — Insouciance de la duchesse. — Les modes sous la Régence.

Chapitre VI. — Le duc de Falary en Suisse. — Gorge d'Entraigues et ses enfants. — Mme de Fallary nommée dame d'honneur. — Choix médiocre. — Une mode nouvelle. — Les amis de la duchesse. — Bon conseil de Préaulx — Cadeau princier. — Mort de Gorge. — Fatalisme du Régent. — Sa fin subite.

Chapitre VII. — Les aventures du duc de Falary. — L'obole du comte de Flemming. — Séjour en Hollande. — En prison à Liège. — Confirmation du titre de duc. — Falary colonel. — Présentation au grand-duc de Mecklembourg-Schwerin. — Voyage à Rome. — Nuremberg et Leipsick — Entre les deux frères. — Départ pour la Russie. — Mort de Falary.

Chapitre VIII. — Les logements de la duchesse. — Ses rapports avec ses beaux-frères. — Amour de la chicane. — M. Mathieu Marais. — Succession du duc. — La société de Mme de Fallary. — Richelieu et Mme de Tencin. — Girardin de Vauvray. — Son mariage. — Anecdote sur sa femme. — Le marquis de Souvré. — Mmes d'Alluys et de La Fontaine-Martel.

Chapitre IX. — Mme de La Meilleraye. — Générosité de la duchesse pour ses frères. — Elle donne à jouer. — Installation d'un jeu. — Les joueuses du moment. — Naïve ignorance de Mme d'Haraucourt. — Dédain pour Mme de Pompadour. — Pâris-Duverney. — La conversation de Mme de Fallary. — L'archevêque de Reims. — Sa maladie. — Ses goûts sociables.

Chapitre X. — Le duc et la duchesse de Chaulnes. — Leur fils le duc de Picquigny. — Sa jeunesse. — Procès entre Mme de Fallary et les Chaulnes. — La déconfiture de Vauvray. — Il se console. — Ricome de La Figarède. — Sa succession. — Les deux d'Haraucourt. — Mariage caché du marquis. — Bonté de cœur de la duchesse de Fallary. — Projets matrimoniaux du chevalier.

Chapitre XI. — Vie des d'Haraucourt à Saint-André-de-Briord. — Leur société. — Mort de Mme d'Haraucourt. — Un maigre héritage. — Reprise des pourparlers matrimoniaux. — Mort des deux frères. — La fortune de la duchesse. — Procès avec les Chaulnes. — Succession embrouillée du duc de Chaulnes. — M. de Giac. — Mme de Chaulnes se remarie. — Sa fin.

Chapitre XII. — Les La Blâche. — Le mariage du vicomte. — Un héritage surveillé. — Méfiance de Mme de Fallary. — Le titre de marquis d'Haraucourt. — Rapport de Chérin. — Autre rapport. — La succession de Pâris-Duverney. — Le comte de La Blâche et Beaumarchais. — La duchesse change de logement. — Vauvray reparait. — Sa façon de rembourser une dette. — En ménage.

Chapitre XIII.. — Retraite mondaine de la duchesse. — Ses dernières années. — Incivilité des historiens à son égard. — La mère Jézabel. — Le taureau de Phalaris. — Calomnie de Lamothe-Langon. — Mort de Mme de Fallary. — Un curieux procès-verbal. — Les regrets de Vauvray. — Le duc de Charost exécuteur testamentaire. — Les héritiers La Blâche. — Inventaire. — L'éternel repos.

TESTAMENT de Mme de Fallary

Notes généalogiques

Notes





PRÉFACE


« Mgr le duc d'Orléans est mort assisté de son confesseur ordinaire. »
C'est ainsi qu'au commencement de décembre 1723, l'Europe apprit que le régent de France venait de passer de vie à trépas.
Ce confesseur ordinaire, qui portait une robe peu monacale et dont les pénitences étaient douces, se nommait la duchesse de Fallary, jeune et jolie femme qui, parmi toutes celles qu'à cette époque poudra la folie et marqua le plaisir, dut son relief seulement à l'honneur macabre d'avoir été présente aux derniers moments d'un prince mort en odeur de volupté.
Elle faisait partie de cet escadron volant de charmantes aventurières, qui, pendant plus de vingt ans, fut sans cesse au complet et jouit avec avantage du rajeunissement des cadres. Nul Lebel n'exerça son triste métier avec le Régent ; Mmes Granval, Desmares, Florence, Mmes de Parabère, de Sabran, d'Averne, toutes ces femmes qui se jetaient dans ses bras, voilà ce qu'on nomma ses conquêtes. Pour écrire leur vie, il faut un chroniqueur, non un historien.

À aucun de ces noms n'est accolé la disgrâce d'un ministre, une guerre malheureuse, un adultère scandaleux, un duel retentissant, une persécution religieuse, une bâtardise reconnue, elles n'excitèrent ni la jalousie ni la haine, restèrent en dehors de la nation et furent uniquement les maîtresses du Régent, jamais celles de la France. Quoique l'alcôve fût contiguë à la chambre du conseil pas une seule fois la porte qui les séparait ne s'ouvrit pour laisser passer un regard furtif ou tomber un mot dans une oreille rose. Le duc d'Orléans n'avait ni le vin ni l'amour bavards.
Désintéressé, ne touchant même pas ce qui lui revenait comme régent, s'il avait pour ses amis la main à la poche, il ne l'avait point à celle des contribuables et sa générosité envers les femmes eut sa récompense, puisque ce fut la Fillon qui découvrit le complot de Cellamare et lui sauva la vie.

Des préceptes religieux en honneur à la cour déclinante de Louis XIV et des pieuses maximes de Mme de Maintenon, le Régent n'avait conservé que l'amour du prochain ; il commit l'exagération de le porter particulièrement sur le sexe féminin et de pratiquer envers lui une hospitalité trop aimable et trop bruyante. Sous prétexte de documentation, la postérité, avide de gaillardise, n'a pas respecté le huis clos du Palais-Royal, pas plus qu'elle n'a accordé à son hôte des circonstances atténuantes. Pourtant, avant de souper, celui-ci se préoccupait de ceux qui ne mangeaient pas et quand il se mettait à table, c'est qu'il avait fini sa journée. Nos modernes Catons semblent croire qu'il est impossible de gouverner en buvant du Champagne. Pourquoi ? Lorsque Philippe se grisait, la France n'était pas ivre.

Jalousé par Louis XIV, le duc d'Orléans ne prit part à la féerie du grand règne qu'à l'instar du parent pauvre dans les banquets nuptiaux, et le maître disparu lui laissa régler la note, qui était formidable. Face à face avec la catastrophe, le Régent eut le talent de la retarder, car des deux moyens de salut qui se présentaient, la banqueroute ou le système de Law, il préféra le second, qui sauvait du moins les apparences. Si la cupidité fît perdre alors toute retenue, si le sens moral s'oblitéra dans l'affolement de la spéculation et de l'agiotage, le système eut l'avantage de détourner l'attention publique des querelles religieuses écloses autour de la bulle Unigenitus et de faire connaître le crédit. Il ruina des individus, mais améliora la fortune de la France par ce procédé inconnu de nos jours : la réduction des impôts.

En outre, il donna une nouvelle vigueur au commerce et à l'industrie nationale que la fin du précédent règne avait plongés dans le marasme. J'ai beau faire appel à ma rigidité, je ne puis trouver des grands mots pour maudire cette opération financière dont le passif se monta à 1,700 millions, moi qui ai vu le Panama dans lequel nos gouvernants actuels ont engouffré à peu près la même somme, et ai appris que les austères révolutionnaires de 1793, ces hurleurs contre l'affreux déficit, ont fait une banqueroute formidable de cinquante milliards.

Après avoir lu dans maints volumes l'histoire de la Régence, j'ai découvert avec étonnement qu'elle attirait plus sous ma plume l'indulgence que la critique. J'ai voulu réagir et faire étalage d'une complète impartialité ; mais en constatant que je ne pouvais maintenir le ton, je me suis rappelé philosophiquement que, pour l'écrivain, l'impartialité consiste à être de l'avis du lecteur. Les racontars croustillants de Marais et de Barbier n'ont pas soulevé mon cœur de honte, preuve évidente que je n'ai rien de ces ascètes qui reculent avec effroi devant la vérité, parce que, d'après la tradition, cette déesse se distingue par son absence de vêtements. J'avoue même être séduit par ce duc d'Orléans si crâne, si valeureux sur les champs de bataille de Belgique et devant les places d'Espagne, si bon avec ses amis, si bénévole avec ses ennemis, si spirituel dans ses excès, si français dans son gouvernement. Du Palais Royal, il ouvrit ce siècle qui devait finir à la Conciergerie et la tâche était loin d'être agréable.

Le Parlement, débarrassé de la cravache éternellement menaçante de Louis XIV, n'était pas fâché de faire acte de pouvoir et de répondre enfin à la phrase orgueilleuse du roi défunt que soixante ans passés n'avaient pu lui faire oublier ; aussi quand Philippe s'offrit à prendre les rênes du royaume, il s'écria avec satisfaction : l'État, c'est lui ! approuvant la conduite naturelle de ce neveu vis-à-vis d'un royal oncle à héritage.

Successeur de ce grand accapareur que fut Louis XIV, il était difficile au Régent de sembler riche en titres à la renommée ; sa haute intelligence et son habileté ne dominèrent pas assez son tempérament et ne le sauvèrent pas de fautes communes autant à l'ancien régime qu'au nouveau. Le peuple oublie plus vite les gloires que les misères. Bientôt paraissaient les Philippiques, pamphlet aux strophes plates auxquelles la bile donne un peu de brillant, ouvrage du haineux Lagrange-Chancel, qui se complut dans la boue et gratta sa lyre avec un crochet à ordures. Que faire devant les invectives odieuses, les insinuations fielleuses, les accusations d'empoisonnement des sottisiers et des nouvellistes qu'appuyait le clan des vieilles guenipes comme Mme de Maintenon et Mme des Ursins ? Le Régent se sentit l'âme ulcérée, il pleura, et comme il avait étudié les sciences physiques et naturelles, il dut surtout hausser les épaules. Malgré tout, à cette époque, le pouvoir possédait encore son auréole, on l'attaquait, on le raillait, on le mordait, on le méprisait, mais on n'en riait pas.

Sans doute Philippe eut la faiblesse de se reposer sur Dubois, qui, aussi ardent au travail qu'à la débauche, avait fini par se rendre nécessaire avec toute l'habileté et la souplesse d'un ancien valet devenu le maître. Ce cardinal de joie, faux, vulgaire, sans préjugés, intrigant, arriviste, vivait en faux ménage religieux avec Mme de Tencin, une ancienne nonne, portait son manteau rouge comme un scapin, se servait de sa crosse pour forcer les serrures et eût volontiers commandé son chapeau à glands chez la modiste. Tel est l'homme que le Régent subit après l'avoir élevé, qu'il méprisa beaucoup, mais auquel il sacrifia sans hésitation ses roués, parce que cet homme représentait l'intérêt de l'État. Les Nocé, les Broglie, les Canillac avaient le droit de quémander des faveurs et d'avoir de l'esprit, il leur était interdit de se croire utiles.

Si la postérité se montre sévère vis-à-vis de Dubois et du Régent, elle devra reconnaître que ces deux hommes, liés par l'intelligence, surent éviter les guerres et les émeutes et conduire Louis XV au trône. La France leur avait confié un dauphin, ils lui rendirent un roi.

Il est souvent aussi lourd de porter le poids d'une couronne que de supporter le poids des critiques ; à cet égard, Philippe d'Orléans était doué d'un aimable scepticisme ou plutôt d'une large tolérance. Les libelles qui piquaient comme une nuée de guêpes, les satires qui grondaient, les quatrains mordants, les nouvelles marquées au bon coin de la calomnie, les commérages des avocats, les insultes de la plèbe, voilà ce qu'il subit avec sérénité et voilà ce qu'on appelle en histoire le silence significatif du peuple.

Devant quelques forcenés qui entouraient un jour sa voiture en hurlant : À l'eau ! il restait impassible, jugeant peut-être que l'injure adressée au prince disparaissait devant le bon conseil donné au soupeur du Palais-Royal. L'égalité qui régnait à sa table autorisait pareille liberté de parole autant chez ses roués que chez ses maîtresses ; lui-même, de son esprit mordant, ajoutait aux saillies lancées à ses dépens, dissimulant sous la folie une curieuse étude du cœur humain et cherchant, dans l'apothéose de l'orgie, à distinguer les reflets de l'opinion. Sa fougue l'emportait dans le tourbillon du plaisir, il y galopait comme à Steinkerque et à Nerwinden, et cette ardeur l'empêcha d'user sa diplomatie, de dissiper les ressources de son esprit et de perdre un temps utile à la séduction des femmes.

L'âge aidant, il se serait probablement désamouré, aurait secoué le joug de ses belles amies et, avec sa hardiesse et sa mansuétude, il fût devenu un vrai chef d'État. En stigmatisant la licence du temps, les historiens ont appuyé sur la disparition des sentiments nobles et des anciennes distinctions sociales, ils ont montré cette aristocratie de la richesse qui s'était formée par la spéculation et renversait les barrières élevées entre elle et la vieille aristocratie du sang ; ils ont flétri la confusion générale des rangs de la société, oubliant son passé dans l'amour du lucre et du libertinage, et ces mêmes historiens n'ont pas trouvé de tirades assez sublimes pour exalter la Révolution, qui avait un but identique qu'elle a d'ailleurs atteint d'une manière un peu moins folâtre.

Tels certains hommes qui portent leur nom comme une étiquette, les gouvernements sont symbolisés par leur appellation ; ce mot la Régence semble aussi doux que cet autre la Terreur paraît sinistre ; quant à la balance de leurs mœurs, elle ne reste pas en équilibre, les Aspasies du Directoire ne le cédaient nullement en dévergondage aux soupeuses du Palais-Royal et les tripoteurs de la fin du siècle volaient autrement mieux que les traitants du commencement.

En dehors de la polilique, la Régence m'apparaît comme une vaste fête de nuit, débauche de l'esprit et des sens, avec les rires frais et prometteurs des belles patriciennes, avec les brillants scintillant sur leurs épaules blanches et dans leurs odorantes chevelures, avec les fleurs piquées sur les tables entre les cristaux, avec les éventails de Lancret maniés par des mains d'ivoire, avec les chants fous, la joie épanouie, les propos lestes et pimpants et le parfum des roses se mêlant à celui des baisers.

Tant pis pour la vertu ! Ce tableau ne peut m'indigner.

Dans cette société en rut où les femmes aimaient l'amour plus que l'amant, la duchesse de Fallary afficha une nature assez calme ; dans les orgies qui se répétaient, sa conduite demeura relativement réservée, elle excita plus l'amitié et la sympathie du Régent que son caprice, enfin elle ne se fit remarquer ni par sa trop grande effronterie, ni surtout par sa trop grande pudeur, « cette vertu qui s'attachait le matin sur soi avec des épingles ».

N'ayant rien d'une bacchante comme Mme de Parabère, n'ayant rien non plus d'une colombe comme Mme Aïssé, elle ne fut, au milieu de l'essaim des maîtresses du duc d'Orléans, qu'une simple maîtraissinette. Sur le théâtre galant, elle ne se montra qu'une actrice de septième ordre ; son rôle, tenu avec grâce et esprit, séduisit le principal spectateur et, après avoir joué — côté cour — pendant trois années, lorsque le rideau tomba, elle exécuta ane sortie sensationnelle.

Le roturier qu'était son père lui avait légué l'esprit pratique et le goût de la chicane, au point qu'elle s'occupa beaucoup plus des hommes de robe que des hommes à talons rouges ; les déclarations d'amour de sa jeunesse furent vite remplacées par les longs réquisitoires et elle aurait pu écrire ses poulets mignons sur du papier timbré. Envoyant des sommations à ses connaissances, faisant rendre des sentences contre ses proches, rédigeant des plaintes, intentant des actions, elle vécut ainsi quatre-vingt-cinq ans et eut presque autant de procès. Sa conduite vis-à-vis du Régent fut exempte d'égoïsme. Point de menées secrètes, de machinations habiles pour satisfaire des ambitions personnelles ; point d'interrogations insidieuses sur la politique ; point de sollicitations répétées pour la fortune de ses amis ; ne désirant pas plus être femme d'État que femme d'intérieur, elle resta simplement femme.

Qu'on lui pardonne donc sa chute. Pour ses pareilles, il y a toujours un peu d'honneur dans la honte que leur donnent les princes. Douée d'une observation fine et d'un esprit mordant, sa grâce était moins faite de la malignité de son sourire que de sa conversation, ce génie propre aux femmes du XVIIIe siècle. Elle y mettait la légèreté du trait, l'élégance sans lourdeur, la galanterie sans apprêt, narrant le dernier avatar d'un mari malheureux, esquissant un portrait de vieille coquette, critiquant la pièce en vogue, discutant un sermon, passant du grave au doux avec une compétence surprenante. Nouvelle Shérazade, elle occupait de ses anecdotes les nuits d'ordinaire moins paisibles de son noble auditeur, elle apportait le repos et le calme à ce cerveau surchauffé ; mais, contrairement à la jeune Arabe, elle ne pouvait craindre un réveil sanguinaire de son seigneur et n'eut pas à lui donner trois enfants pour se faire pardonner.

Parfois, elle faisait appel à sa mémoire, s'inspirant des antiques castels, des sites superbes, de la noble et majestueuse nature de son pays natal. Dans une langue imagée, elle disait les vieilles légendes dauphinoises empreintes d'une si naïve poésie : La combe du Mercier, L'histoire de la ville de Brandes, Les mystères du Grésivaudan, Les aventures de Philis de la Charce, Les contes du Trièves, et, bercé par cette voix charmeuse, le Régent éprouvait une douceur infinie, loin des soucis du pouvoir et des fêtes bruyantes du Palais-Royal.

Ce tête-à-tête tranquille était respecté de tous, et la duchesse, jeune et insouciante, n'avait jamais pensé qu'il pourrait être troublé par un tiers inattendu : la mort. Un soir d'hiver, celle-ci parut, terrassa le prince et s'évanouit devant la pauvre femme épouvantée, qui ne se doutait pas que ce drame terrible lui donnait la notoriété. À vrai dire, cette notoriété fut mince, car la vie de la duchesse de Fallary a peu tenté la curiosité des anecdotiers, qui ont détourné leur attention de ce roman nébuleux où ne se trouvait pas suffisamment de faits à glaner. Ils l'ont abandonnée dans le coin sombre des oubliées et c'est pour cette raison que j'ai voulu la ressusciter.

Malgré la mélancolie inhérente à toute excursion dans le passé, celle-ci m'a été douce par le fait qu'elle me repose du présent. Prisonnier du contraste, esclave du parallélisme, je laisse mon jugement soumis à la différence des images ; de même qu'un beau tableau profite du voisinage d'une croûte, de même le Régent bénéficie de la comparaison avec Marianne et le XVIIIe siècle de son rapprochement avec le XXe. À en juger par son début, ce dernier sera le siècle repoussoir par excellence.

La grâce, l'esprit, l'héroïsme, la galanterie, la gaieté, la politesse, les parterres de Versailles, les petites maisons, les cours fastueuses, les grands magistrats, les charges fleuries, les bosquets de Saint-Cloud, tout cela a disparu sans être remplacé. Ma seule consolation est d'évoquer ces splendeurs évanouies et de fredonner comme Ogier d'Ivry, qui fut autant un brillant soldat qu'un vibrant poète ces strophes dans lesquelles crient mes dégoûts et chantent mes regrets :

Où sont les départs pour Cythère,
Et les grands airs de Saint-Simon ?
Les Fallary, les Parabère,
Tant d'autres femmes de renom ?
Où sont Chaulnes, Nocé, Belle-Ille,
Les Parlements, l'Hôtel de ville,
Les bombances où Cupidon
Lançait ses flèches à la ronde ?
Si tu voyais nos gens du monde,
Ah ! Ninon !
Si tu voyais tant de duchesses
Fêter les juifs dans leurs châteaux,
Si tu voyais tant de drôlesses
Donnant leur beau genre aux courtauds,
Si tu voyais dans son enceinte
Le Parlement buvant l'absinthe
Et nos grands hommes en veston,
Devant ce siècle qui les gobe
Ne rangerais-tu pas ta robe,
Dis, Ninon !






CHAPITRE PREMIER

Le marquis d'Haraucourt. — Son origine. — Christine de France, duchesse de Savoie. — Ingratitude de son protégé. — Mme de Montpensier. — La famille Falcoz de La Blâche. — Mariage de d'Haraucourt. — Luxe et misère. — Mort de d'Haraucourt. — Les Tencin. — L'enfance de Mme de Fallary.


Sur les bords du Rhône, à quelque distance du joli village de Verizieu, se trouve un rocher conique d'une centaine de mètres d'où la vue va se perdre au loin vers les crêtes bleues des Alpes. C'est là que s'élevait jadis le château de Saint-André-de-Briord, démoli par la Révolution ; il avait appartenu au comte de Savoie, à Sébastien de Montbel, comte d'Entremont, beau-père de l'amiral de Coligny, puis à Guillaume de L'Hospital, marquis de Mesme, qui le vendit le 16 septembre 1696 au marquis d'Haraucourt (1).

Ce dernier acquéreur avait eu la main heureuse, car il était difficile de trouver site plus magnifique et castel plus charmant pour son ménage dont les noces avaient été célébrées un an auparavant. Quand le couple seigneurial fit son entrée à Saint-André, les gens du pays furent bien un peu stupéfaits de voir que le mari semblait être de cinquante années plus vieux que sa jeune femme, mais cette différence d'âge disparaissait devant l'air respectable du gentilhomme et les titres sonores sur lesquels s'appuyait sa noblesse. Il était qualifié : Claude-Balthazar, marquis d'Haraucourt, baron de Charantonay et Saint-Marcel, seigneur de Puisgros et Voudry, coseigneur de Montregard, chevalier d'honneur au Sénat de Savoie et de la sacrée religion des Saints-Maurice et Lazare, commandeur de Notre-Dame de Vions (Ruffieux, Savoie),


Carte extraite du site web templiers.net

dignités capables d'éblouir et de faire croire à une illustre ascendance.

Lorsqu'on remontait le cours du temps, oh ! pas très haut, il fallait en rabattre, et l'histoire de cet aristocratique personnage n'avait rien de fort glorieux.

C'est vers 1648 que le futur marquis d'Haraucourt commença à prendre pied dans le monde, grâce à Madame Royale, duchesse de Savoie.
Christine de France avait à cette époque quarante-deux ans et sa beauté blonde finissait de s'épanouir. Philippe de Champaigne nous l'a montrée fine, souriante, noble, fière, des perles dans ses beaux cheveux et sous les lèvres carminées, les yeux gris-bleu caressants et dominateurs, les épaules pleines et resplendissantes, avec un air de grandeur et d'enchantement qui indique la Régente et la femme. Un sang ardent et généreux coulait dans ses veines, mais si elle avait le cerveau de son père Henri IV, elle avait aussi le cœur du Vert-Galant.

Elle avait honoré de ses grâces, sans trop les priver de ses faveurs, divers beaux seigneurs, dont le comte Tana, gentilhomme piémontais qu'elle fit colonel des Suisses, et le comte d'Aglié, fils du grand maître de la maison du duc Emmanuel. D'Aglié, qui semblait un homme d'esprit, compromit sa situation de façon maladroite ; il écouta les propositions pécuniaires de Richelieu, ce qui était un crime, et conserva auprès de lui un de ses anciens pages de trop bonne mine, ce qui était une faute. Ce dernier, pauvre garçon, avait eu une naissance aussi vague qu'ordinaire ; les uns le disaient fils d'un cabaretier de Paris, les autres d'une lavandière de Savoie. Quoi qu'il en soit, il était brave, bien fait et eut l'habileté d'attirer l'attention de Madame Royale et de gagner son crédit. En changeant ainsi de condition, il ne pouvait décemment continuer à porter son nom vulgaire de Blonel et à subir son origine roturière.

La Régente vint à son secours ; elle ne lui donna pas un titre ronflant, elle le fit appeler d'Haraucourt et voulut le faire passer pour gentilhomme lorrain (2). Le choix n'était pas mince, la famille d'Haraucourt étant une des plus illustres de Lorraine, comptée parmi les quatre Grands Chevaux. Cette prétention de céder à un parvenu la noblesse du voisin ne fut admise que par l'intéressé et l'on verra ce que Chérin, le généalogiste des ordres du Roi, pensa, un siècle plus tard, de cette usurpation flagrante.

En peu de temps, le nouveau seigneur fit des progrès sensibles ; Madame Royale, le récompensant en proportion de tous ses services, le combla de dons d'argent, le prit comme gentilhomme servant, puis comme écuyer par quartier, puis comme capitaine de ses gens d'armes, lui donna un palais et le nomma enfin commissaire général des troupes de Savoie, troisième charge de l'armée, multiples faveurs au-dessus de son mérite et de sa naissance. À ces grâces, elle ajouta le titre de conseiller d'État — intime naturellement — une pension de 265 écus d'or sur l'abbaye d'Hautecombe, allouée par bulle du pape du 4 des calendes de mai 1655, et la charge de chevalier d'honneur au Souverain Sénat de Savoie (3).

Cet emploi fut d'ailleurs supprimé plus tard ; il était inutile et onéreux aux finances publiques et son institution avait un peu trop pour objet le désir d'obtenir des renseignements sur les délibérations secrètes de cette haute assemblée. On voit que les honneurs dont pouvait se parer le nouveau marquis d'Haraucourt n'avaient rien d'une gloire pure et que la manière de les obtenir, si elle était naturelle chez un homme de mer, le paraissait beaucoup moins chez un capitaine des gardes. L'ingratitude est le résultat de la satiété ; Christine en fit bientôt l'expérience avec son favori. Tandis qu'elle vieillisait, la fortune de d'Haraucourt augmentait progressivement et l'ennui commençait à le gagner. Sa souveraine touchait à la cinquantaine, alors qu'il avait à peine trente ans et que les jolies femmes se renouvelaient à la cour de Savoie.

Une maladie opportune lui permit de quitter cette cour où il ne rentra que pour avoir un duel retentissant ; ce qui n'eût été jadis qu'une peccadille fut considéré comme une indignité, et la Régente, sentant l'offense atteindre son cœur déjà blessé par la jalousie, lui enleva sa charge et ses biens.

Nanti des respectables bribes de sa splendeur, d'Haraucourt partit pour la Suisse, caressa ensuite le projet d'être reçu à la cour de France et, se persuadant qu'il était réellement gentilhomme lorrain, songea à prendre du service dans les troupes du duc François. Il s'était même vanté que Mme de Montpensier, nièce de Madame Royale, lui ferait donner un emploi militaire en Lorraine, où son nom connu finirait peut-être par prendre du lustre.

Malheureusement pour lui, la Régente écrivit à sa nièce en la suppliant de ne se mêler de rien en faveur de cet ingrat, qui lui avait manqué de fidélité et qu'elle avait chassé. Elle fut obéie. Pourtant, lorsque deux ans plus tard, en 1658, Mme de Montpensier se rencontra à Lyon avec Madame Royale, elle la vit sous son véritable aspect : « Elle était propre et assez ajustée », écrit-elle, « il paraît qu'elle a été belle. Elle est plus vieille qu'on ne l'est d'ordinaire à son âge. Elle me parut assez ressembler à mon père et plus cassée. Elle faisait tout ce qu'elle pouvait, par son ajustement, pour soutenir son reste de beauté. Je crois qu'elle s'est gâté le teint par les drogues qu'elle y a mises et qu'elle l'a eu beau autrefois. Elle a aussi la taille gâtée (4). »
Ce jour-là, il est probable qu'elle comprit et excusa d'Haraucourt.

Pendant plus de trente ans, le favori déchu parcourut l'Europe ou vécut entre son appartement de la rue des Deux-Écus à Paris, sa terre de Saint-Marcel, ses propriétés de Savoie et ses banquiers, Dupuis à Lyon, Abraham à Rome, chez lesquels il s'efforça de rendre stable une fortune devenue volage. Christine de France avait été son fétiche ; aussi, depuis la mort de son ancienne protectrice, arrivée en 1663, la chance l'avait-elle abandonné ; les 1,260 livres tournois de l'abbaye d'Hautecombe se payaient annuellement avec difficulté et les prêts ou les emprunts qu'il croyait heureux ne donnaient pas toujours le résultat espéré (5). Un jour, il s'aperçut — constatation éternellement reculée chez un ancien Adonis — que son physique était en aussi mauvais état que ses finances et qu'il ne lui restait qu'une ressource, un peu téméraire, le mariage.

Dans ses allées et venues entre le Lyonnais et la Savoie, il avait rencontré à diverses reprises un représentant de la vieille aristocratie dauphinoise, Alexandre Falcoz, seigneur de La Blâche, qui prouvait sa filiation directe jusqu'au XIIIe siècle, - possédait un hôtel à Vienne et le château d'Anjou, situé à six lieues de cette ville. Ces marques de noblesse et de fortune étaient bien faites pour tenter le fils du cabaretier de Paris. Bientôt, il fut admis dans la famille La Blâche et put s'assurer que les prétentions nobiliaires du gentilhomme étaient justifiées.

Celui-ci avait épousé Gabrielle de Lévis-Châteaumorand et sa terre d'Anjou, acquise en 1670 puis érigée en comté neuf ans après, comportait, au milieu d'une belle étendue de prés et de bois, un imposant château, composé de plusieurs bâtiments sur deux ailes.

Doit-on, dans cette énumération, oublier les sept enfants vivants sur douze qu'avait eu le ménage ? Non, certes, car ils intéressaient hautement le sieur d'Haraucourt. Sachant que quatre filles se trouvaient parmi eux, il pensa qu'il serait doux de voir son déclin réveillé par une jeune aurore et glorieux, pour un fils de lavandière, de devenir le gendre d'une Lévis, une parente de la sainte Vierge.

Le vieux galant de la cour de Savoie avait dû conserver encore des séductions, puisque la plus jeune fille du seigneur de La Blâche, Thérèse, se montra sensible à ses manœuvres et se laissa conduire par lui à l'autel le 8 septembre 1695. (6)

Quoique la suffisance soit le péché mignon des don Juan retraités, le nôtre n'avait pas trop présumé de lui-même. Deux ans après son mariage, Dieu et Cupidon lui donnaient une fille, Marie-Thérèse, la future duchesse de Fallary, ensuite un premier fils, Claude-Joseph, en octobre 1699 (7), puis un second, Gabriel, en 1700, destinés — du moins dans l'esprit de leur père — à glorifier le nom récent de d'Haraucourt.

En s'installant dans son manoir des bords du Rhône, le jeune marié de soixante-dix ans n'oublia pas qu'il était désormais par sa femme apparenté aux plus illustres familles, aussi s'empressa-t-il d'appuyer sa noblesse d'un titre nouveau, celui de marquis de Saint-André, qu'il s'octroya de son bon plaisir.

À cette ascension nobiliaire ne répondit malheureusement pas un essor financier ; l'achat du château, le désordre, la vie large, obligèrent peu à peu les d'Haraucourt à recourir à des moyens mixtes. La commanderie de Notre-Dame de Vions, dont le marquis était pourvu depuis le 10 décembre 1653, par le comte de La Blâche, se vit l'objet d'une sollicitude spéciale de la part des robins et des gens d'affaires ; et bientôt, pour payer le droguiste à Chambéry, le boucher, le boulanger, etc., la jeune châtelaine dut suppléer son mari malade et se lancer dans une véritable série d'emprunts.

En vendant quelques terres, d'Haraucourt fût arrivé à se tirer d'embarras, mais comme il estimait sans doute que son bien était le piédestal de sa situation, il préféra rester grand propriétaire endetté plutôt que capitaliste sans passif. Un homme du pays, Claude Rolland, consentit, moyennant d'honnêtes intérêts, à lui prêter les sommes nécessaires. Pendant trois ans, les bassins, les plats, les aiguières, les montres, les burettes et les chandeliers de la chapelle, même la croix de chevalier garnie de diamants appartenant au marquis, se transformèrent en gages. Le banquier baillait des fonds sur tout objet de valeur ; le blason de l'emprunteur fut ainsi la seule chose qu'on n'osa lui proposer.

Cette existence dédorée se fût peut-être terminée par une catastrophe, si le Tout-Puissant, dans sa prudence, n'eût rappelé à lui le marquis d'Haraucourt. Il décéda à Chambéry le 23 février 1706, et comme il avait témoigné le désir d'être inhumé à Saint-Marcel, les membres du Sénat et tous les corps constitués raccompagnèrent à un quart de lieue de la ville, rendant ainsi hommage au talent de cet aventurier, qui, venu sur la terre avec l'étiquette d'enfant anonyme, allait reposer dessous avec l'épitaphe de Haut et puissant seigneur (8).

Mme d'Haraucourt éprouva un chagrin réel de la mort de son mari, chez lequel elle avait prisé la bonté calme de l'âge mur à défaut des joies fougueuses de la jeunesse, et quoiqu'elle se sentît plus apte aux choses du cœur qu'aux affaires, elle fit face courageusement à sa nouvelle situation. Le Sénat de Savoie lui accorda la tutelle de ses trois enfants, dont la fortune était ainsi remise dans ses mains inexpérimentées. Il faut dire à sa louange qu'elle essaya de se montrer au début une mère aussi sage qu'affectueuse.

Par son testament, le marquis d'Haraucourt nommait comme héritier universel son fils aîné Claude-Joseph, sa femme usufruitière, laissait 30,000 livres au second et 20,000 ducatons à sa fille. Celle-ci ne devait toucher cette somme qu'en dot et sa mère avait la charge de l'entretenir jusqu'à son mariage ou son entrée au couvent, vocation qui resta toujours à l'état fort embryonnaire chez la future soupeuse du Palais-Royal. Par une habile précaution capable de donner le change, il émettait le vœu, si ses enfants venaient à disparaître, que sa fortune allât aux d'Haraucourt d'Ocrain (9) de Lorraine, avec lesquels il n'avait nul lien de parenté. Peut-être était-ce, dans son esprit, la rançon du nom qu'il leur avait pris. (10)

La tristesse n'est chez la jeunesse qu'une affliction passagère. Sous le manteau d'étamine noire auquel l'obligeait son deuil, Mme d'Haraucourt dut plus d'une fois sentir son cœur battre, moins de douloureux regrets que de souriants projets d'avenir. Elle estimait que son mariage sans amour avait été un simple contrat en vue de la continuation d'un nom, contrat engageant la constance du mari — et pour cause — mais n'engageant pas la fidélité posthume de la femme. Elle avait donc mis ses fils au collège Louis-le-Grand à Paris et repris ses relations avec ses amis de la province. À en croire Matthieu Marais, elle ne fut jamais une misanthrope ; sa nature des moins farouches la poussa à revoir à Grenoble la famille Tencin, avec laquelle les La Blâche étaient liés depuis longtemps. Parmi les cinq représentants de cette maison, elle accorda son amitié, pour ne pas dire son affection, au président de Tencin (11), agioteur et débauché, frère aîné du futur cardinal et de Mme de Tencin, cette politicienne consommée qui avait tous les vices de l'âme et tous les dons de l'esprit.

Quoique Mme d'Haraucourt se contentât de donner à sa fille Marie-Thérèse l'éducation élémentaire, douce et sereine, du XVIIIe siècle, où les femmes semblaient faire leur esprit avec des fautes d'orthographe, leur bon sens avec de l'expérience, leur science avec du goût, le choix de ses relations n'était pas excessivement heureux. La mère suivant les conseils du président de Tencin et la fille ceux de la religieuse de Montfleury qui avait fait les trois vœux de clôture, de pauvreté et de chasteté avec la ferme résolution de n'en observer aucun, c'était, il faut le reconnaître, une morale un peu tolérante chez une éducatrice (12). Semblables leçons prises à l'école de la vie furent, pour Marie-Thérèse d'Haraucourt, l'huile mise sur le feu de son imagination : toutes les spirituelles galanteries et les sceptiques conversations entendues au salon-parloir de Montfleury, dans la société des Tencin, irritèrent ses curiosités et présidèrent à son existence future, mais elle eut l'énergie ou le talent de contenir son impatience jusqu'au mariage. En touchant ce port désiré, elle ne trouva ni la félicité de l'âme ni la communion du cœur, elle y rencontra l'excuse vivante de ses fautes, son époux : François Gorge d'Entraigues, duc de Falary.

Présenter la cause du mari, c'est prononcer d'avance l'acquittement de la femme.





CHAPITRE II

Les Gorge d'Entraigues. — Ascension de Pierre Gorge. — Un grand aventurier. — Mousquetaire et religieux. — Étrange séminariste. — Mme de Nangis, son mariage, sa mort. — La nièce de Mme de Maintenon. — Duc de Falari. — Les fiançailles de Mme de Brancas. — Mariage de Falari avec Mlle d'Haraucourt.


Comme celui des d'Haraucourt, l'arbre nobiliaire des Gorge d'Entraigues à la fin du XVIIIe siècle n'était encore qu'une jeune pousse. Le premier de cette race dont le nom soit arrivé à nous est un brave homme appelé Jean Gorge, natif de Forges en Brie, qui trépassa en 1473 et fut inhumé à Saint-André-des-Arts ; pendant cent cinquante ans, cette humble maison se tint dans une ombre profonde d'où elle sortit avec un autre Gorge, qui exerçait à Nantes le métier, honnête mais peu illustre, de marchand d'eau-de-vie. Ce commerçant eut la chance de gagner une fortune sous le surintendant Fouquet, l'intelligence de pousser son fils aîné et l'habileté d'en faire plus tard un gentilhomme (13).

Pierre Gorge occupa en effet les diverses situations de caissier aux vivres avec les sieurs Berthelot et Jacquier, de commis à la recette générale des vivres, de caissier général de la douane, de fermier général des fermes unies de France, et enfin de secrétaire du Roi, qui lui conféra la noblesse ; noblesse un peu fraîche, qu'il trouva bon de renforcer, le 21 juillet 1651, par une charge de conseiller au parlement de Metz (14).

Parti de rien, cet homme expert en affaires, ne reculant pas devant les moyens à employer, arriva à une position financière superbe et, après avoir commencé à porter la livrée, finit par endosser la toge (15). Comme d'Haraucourt, il pensa que le mariage couronnerait sa carrière, mais fut obligé de s'y prendre à deux reprises pour atteindre son but. La première fois, le 31 janvier 1671, il épousait Marguerite du Moley, fille d'un avocat au conseil et secrétaire du roi, qui le laissa veuf au bout de quatre ans ; la seconde fois, il fit mieux et trouva le moyen de convoler, le 12 février 1685, avec Julie d'Estampes. Ce fut presque un scandale. La nouvelle mariée portait un des grands noms du royaume ; elle était la cinquième fille de Dominique d'Estampes, marquis de Valençay, et de Marie-Louise de Montmorency ; l'ancien tripoteur d'affaires devenait ainsi le neveu du maréchal de Luxembourg et de la duchesse de Mecklembourg. Par un de ses coups familiers, la fortune souriait à l'heureux représentant des Gorge, cette triste famille de partisans nantais sortis de la boue, à qui les trésors amassés par la concussion ouvraient le chemin des plus hautes alliances et qui ne brilla un instant d'un éclat trompeur que pour s'éteindre honteusement (16).

Le ciel montra autant de faiblesse que le parlement de Metz vis-à-vis du fils du marchand d'eau-de-vie ; il daigna bénir ses deux unions.
De la première naquit, le 25 mai 1675, un fils, Chrétien-François, qui se nomma baron de Roise et fut conseiller au parlement ; de la seconde naquirent quatre enfants, deux filles et deux fils, parmi lesquels Pierre-François, qui vit le jour en 1685. C'était le futur duc de Falary.

En même temps que cette paternité glorieuse, la célébrité arrivait à Gorge. Boileau, avec lequel il était fort lié et qui était son voisin à Auteuil, le prit pour type du bourgeois épousant une fille de qualité (17) ; il le peint ainsi dans sa Xe satire :

Savez-vous que l'épouse avec qui je me lie
Compte entre ses parents des princes d'Italie ?
Sort d'aïeux dont les noms.... Je t'entends et je voi
D'où vient que tu t'es fait secrétaire du roi.
Il fallait de ce titre appuyer ta naissance.

Pendant une dizaine d'années, l'ancien traitant jouit en paix de la fortune qu'il avait mal acquise, et du bonheur qu'il n'avait pas mérité. Il était devenu seigneur d'Entraigues en Berry, baron de Roise, de la Chapelle, la Porte, etc., et avait vendu en 1701, à Michel de Saint-Blaize, sa charge de conseiller au parlement de Metz (18). Vivant tantôt à Paris, tantôt dans sa terre de la Chapelle en Brie, il coulait les jours paisibles auxquels donnent droit ici-bas l'intrigue et la prévarication récompensées, lorsque deux événements vinrent bouleverser sa quiétude : la mort de sa femme, qui survint le 23 décembre 1705, et la triste adolescence de son fils François. Celui-ci allait bientôt faire évanouir la qualification d'heureux père dont avait pu se prévaloir jusqu'alors l'auteur de ses jours. Continuellement en instance d'échafaud ou de potence, pour le public il apparut toujours comme un bandit de haut vol ; pour les Gorge, il fut le châtiment.

D'abord connu sous le nom de Lye, il embrassa le parti des armes, servit dans la première compagnie de mousquetaires et fut envoyé à Utrecht comme prisonnier de guerre. Libéré sur parole et ne se sentant aucun goût pour les hasards des camps, en 1705 il quitta le service mais non la ville, où le retenaient plutôt des dettes criardes que des amitiés brûlantes. Avec les 800 écus de la pension servie par son père, il donnait le bal aux dames indigènes, prenait à crédit chez les marchands, bref trouvait moyen de dépenser en dix mois plus de 10,000 pistoles. Emporté par sa tendresse et redoutant la prison qui menaçait de nouveau son fils, Gorge d'Entraigues garantit la somme, qui fut avancée par M. de Nieuport, le bourgmestre, et semonça vertement l'ancien mousquetaire. La leçon fut si bien comprise que l'autre répondit par une lettre dans laquelle il manifestait la ferme intention de se faire religieux. Il reprit aussitôt le chemin de la France et, passant par Senlis, s'arrêta trois jours chez les Pères de Sainte-Geneviève, qu'il édifia par ses airs dévotieux.
Leur joie fut complète quand il leur annonça qu'il se rendait à l'abbaye de Paris pour y prendre l'habit ; mais, chemin faisant, il changea d'avis et, après avoir embrassé son père, l'avertit qu'il gagnerait plus facilement le ciel en devenant prêtre et qu'il allait se retirer à Issy, au séminaire dépendant de Saint-Sulpice.
Toujours crédule, Gorge commanda des soutanes et des soutanelles, puis remit au novice 800 écus pour son entretien et celui de son valet.

Le séjour à Issy dura quinze mois et se termina par une note de 26,000 livres que le père paya encore une fois : « Excusez-moi, gémit le dissipateur, je m'ennuie trop. Si vous souffrez que je vienne à Paris, je louerai, contre le séminaire, une petite maison d'un loyer de 700 livres, j'y ferai mon ménage et j'aurai la consolation d'assister à tous les offices et prières.
— Soit !
» répondit le candide aïeul, qui envoya immédiatement meubles, tapisseries et vaisselle d'argent dans le nouveau local.

Le 21 février 1708, François Gorge d'Entraigues faisait son entrée au séminaire de Saint-Sulpice, accompagné de M. Cordier, son précepteur pour les études théologiques (19). L'aridité de celles-ci l'enthousiasma si peu que, soutane relevée sous le bras, il se mit à fréquenter assidûment les académies pour voir monter à cheval, et qu'au bout de six mois il avait vendu le mobilier entier qui lui avait été donné.
Le père trouva la farce un peu forte. Il chargea son fils Roise d'emmener ce bizarre ecclésiastique dans sa propriété d'Entraigues pour examiner de plus près sa vocation, qui ne paraissait pas être bien assise. L'enquête fut d'autant plus courte que la mélancolie le prit et qu'il voulut aller à Claix, en Saintonge, terre qui lui était tombée en partage des biens de sa mère.
Après huit mois de séjour, il devait 10.000 écus, ce qui pouvait passer pour une habitude, en même temps qu'il se posait en vainqueur de toutes les femmes de qualité du pays, ce qui était une innovation malheureuse. Les maris contrôlèrent la conduite de leurs épouses, la reconnurent irréprochable et, devenus furieux, prirent la résolution de faire assassiner ce faux séducteur. Sans insister le moins du monde, celui-ci décampa, revint à Paris, annonça à son père qu'il voulait se faire capucin, puis, s'apercevant que le mariage l'attirait invinciblement, annonça tout à coup qu'il s'était engagé en Saintonge avec Mlle de Nangis.
De prime abord, Gorge ne put en croire ses oreilles. Comment pouvait-il se trouver une jeune fille assez aimante ou assez naïve pour lier sa vie à celle d'un pareil sacripant ? Il s'informa. Le fait était vrai. Louise-Marie-Thérèse de Brichanteau de Nangis, fille du marquis décédé brigadier des armées du roi, avait eu la faiblesse d'engager sa foi sous réserve de l'agrément paternel et maternel.
On pense s'il fut vite accordé du côté Gorge !

L'affaire était inespérée par le bien et par les alliances. Le seigneur d'Entraigues se trouvait si enchanté d'établir son fils et probablement d'en être débarrassé, qu'il se montra d'une noble générosité ; par contrat, il lui donna les terres et baronnies de Meillant et de Charenton-du-Cher en Berry, la seigneurie de Chandeuil, acquise des Nangis, plus le fond et la propriété de la Chapelle, Montaudier et Libernon, le tout évalué 150,000 livres.
Bien que ces biens fussent substitués aux enfants à venir et, à leur défaut, au baron de Roise et à la marquise d'Ancenis (20), il était d'une suprême imprudence de les céder au futur époux, qui avait fait ses preuves. Le pauvre père était si aveuglé par son affection mêlée de joie, qu'il augmenta encore ses libéralités d'une maison rue de Varennes, de divers rentes et dons en argent (21). Une pareille dot était capable d'atténuer beaucoup d'imperfections.

Le mariage du nouveau comte de Meillant (22) fut célébré le 22 septembre 1710, dans la chapelle du château de Saint-Maur. Les suites en furent ce qu'elles devaient être. Au bout de trois ans, le mari devait près de 50,000 écus aux usuriers et la femme mourait le 6 mai 1713, dans sa première couche, non sans soupçon de violence (23).

Il était naturel qu'après si malheureuse tentative matrimoniale, le triste sire éprouvât de nouveau le besoin de se faire capucin. Accompagné de son éternelle dupe, son père, il s'en fut trouver à Saint-Victor un digne religieux, le P. Gourdon, pour lui faire part de son dessein et l'engager à prier Dieu, désirant savoir si la Providence l'appelait vraiment à cet état.
Huit jours plus tard, le saint homme lui répondit que Dieu approuvait sa résolution, et Corbleu ! s'exclama le solliciteur, méconnaissant la voix céleste, « ceci ne fait point mon affaire ; je vais me marier avec une parente de Mme de Maintenon, dont m'a parlé M. le duc de Noailles. »

Gorge tomba de son haut, lui qui avait pris la précaution de faire interdire son fils et le croyait fermement décidé à porter la robe de bure. Son étonnement continua lorsqu'il vit arriver chez lui, au clos de l'abbaye Sainte-Geneviève, l'ambassadeur chargé de négocier le mariage dont le contrat était déjà dressé !

Cette fois, la victime était Mlle de Murée, petite-nièce de Mme de Maintenon, et, quoique détachée des biens de ce monde, la vieille favorite dépêchait le duc de Noailles pour tenter d'amadouer le futur beau-père et lui faire ouvrir sa bourse. Le duc, après avoir montré le haut rang que Mme de Maintenon tenait en France, son influence considérable, son pouvoir de pousser la fortune du comte de Meillant, offrit à Gorge trois alternatives dans la constitution de la dot : ou un présent considérable immédiat, ou une grosse somme assurée après sa mort, ou une libération complète des dettes de son fils.
Ayant ainsi à choisir entre ces diverses façons d'être dépouillé, l'ancien traitant retrouva sa lucidité ; il préféra sa situation assurée à la reconnaissance douteuse de la maîtresse légitime et refusa net. L'affaire fut rompue. En guise de compensation, Meillant obtint la levée de son interdiction, puis partit pour l'Italie, sans oublier de soutirer une somme de 17,000 livres à son père et d'emprunter 40,000 écus de divers côtés.

Quelles effronteries déploya-t-il à Rome ? De quels moyens de séduction était-il naturellement pourvu ? Comment arriva-t-il à gagner la confiance du pape ? On ne peut le savoir. Il est impossible que le souvenir vénéré de son oncle le cardinal de Valençay et son appui bien extraordinaire aient été un gage suffisant aux honneurs pontificaux, réservés d'ordinaire à de plus dignes personnages.
Toujours est-il que Clément XI lui donna, par bref du 23 mai 1714, la dignité de prince romain et le titre de duc de Falari (24), sans revenus y attachés, ce qui diminuait beaucoup le prix de cette faveur. Elle était pareille à celle que le Saint-Père eût pu faire à un bandit en lui mettant une escopette dorée à la main et en lui disant : « Maintenant, va tirer sur les carabiniers ! » Falary revint à Paris, puis repartit, disant que la princesse de Piombino, qui accompagnait la nouvelle reine Elisabeth, lui avait promis une de ses filles en mariage, avec l'expectative d'un gouvernement en Espagne. La promesse devait être un rêve et le gouvernement un simple château, car, tandis qu'il attendait le passage de Mme de Piombino à Avignon (25), il y devint amoureux de Mlle de Brancas.
Malheureusement, le Comtat Venaissin possédait deux familles de ce nom et la confusion se fit à tel point dans le cœur volage du soupirant, qu'il déclara sa flamme à une Mlle de Brancas qui n'était pas celle dont il s'était épris ! Le marquis, père de la jeune fille distinguée, commença par mettre son enfant dans un couvent et écrivit à Gorge d'Entraigues pour avoir son consentement.

La réponse fut catégorique : « Je serais fort honoré, écrivait le père, d'avoir une alliance dans votre maison, dont je connais la grandeur ; mais nous ferions tous deux une grande faute. Mon fils n'a plus, pour toute fortune, qu'une terre (venant de sa mère) saisie par ses créanciers, et ses biens substitués, dont les revenus sont aussi saisis ; Mlle de Brancas possédant seulement 50,000 livres, nos enfants mourraient de faim. »

C'était la voix de la raison, vox clamantis in deserto. M. de Brancas était hypnotisé par l'idée, encore si vivace de nos jours, d'avoir une fille duchesse. Falary, avec sa couronne de plaqué neuf, avait le pas sur toute la noblesse du pays, et, suivant un ordre du pape envoyé au vice-légat, jouissait des honneurs inhérents à sa nouvelle dignité. Le prince romain dissimulait habilement le chevalier d'industrie, et son aristocratie de grand chemin tournait la tête, éblouissait les yeux du marquis, qui n'eut pas le courage de résister. Les articles du mariage furent signés par les parties.

Soudain, pris d'un scrupule, Falary assura qu'il n'obtiendrait le consentement de son père qu'à la condition d'aller lui-même le trouver à Paris. Dans sa candeur, Brancas approuva le projet, adjoignit un notaire d'Avignon à son futur gendre et, comme ce dernier avouait manquer de fonds pour le voyage, lui avança 8,000 livres sur la dot de sa fille. Il ne devait jamais les revoir.

À peine à Lyon, le duc réunit son propre notaire et celui de Brancas pour leur annoncer qu'il venait de recevoir une lettre fort irritée de son père. « Partez le plus tôt possible pour Paris, leur dit-il, calmez-le, préparez-le à mes explications ; je vous suis deux jours après et fais le reste. » Confiants comme le sont rarement leurs confrères, les deux tabellions se mirent en route, tandis que Falary restait à Lyon en proie à ses rêves d'avenir et surtout à ses créanciers, auxquels, depuis trois mois, il devait plus de 50,000 écus.
À ces tracasseries d'hommes du commun vis-à-vis d'un grand seigneur, comment répondre autrement que par le dédain ou par l'oubli ? C'est la règle qu'adopta strictement notre homme, au point d'oublier du même coup ceux qui l'attendaient au nord et au midi de la France (26). La société du pays l'aidait d'ailleurs à supporter la solitude. Son esprit insinuant, ses discours effrontés, son audacieuse fourberie, arrivaient à endormir les esprits en éveil et à le faire passer pour un gentilhomme accompli.

Le prince d'Harcourt y fut pris. Il le présenta à Mme d'Haraucourt, cette veuve fringante qui vivait dans son château de Saint-André-de-Briord seule avec sa fille Marie-Thérèse. Blonde aux yeux bleus, à la bouche rieuse, au visage mobile et éveillé, d'une tournure élégante et souple, d'un caractère où se devinait la folie charmante, d'un esprit malicieux sans méchanceté, d'une liberté de gamin que tempérait un air de hauteur, celle-ci avait dans sa grâce les audaces propres à séduire un aventurier comme Falary. Il réfléchit un peu, très peu, seulement le temps d'apprendre qu'elle avait en dot 20,000 écus romains, 10,000 livres de meubles et hardes et 15,000 de bijoux (27), puis laissant pour compte Mlle de Brancas qui l'attendait toujours et négligeant de quêter le consentement paternel, il demanda la main de Mlle d'Haraucourt.

La mère, trompée comme beaucoup d'autres, fut séduite par le beau parti qui s'offrait, la fille le fut plutôt par la liberté que par le bonheur, plutôt par le mariage que par le mari. Elle n'accepta pas, elle se laissa aller.

Le contrat fut dressé par le notaire de Serrières, en Bugey, et le 1er novembre 1715, dans la chapelle de Saint-André-de-Briord, Marie-Thérèse d'Haraucourt devenait duchesse de Fallary (28).





CHAPITRE III

Julie d'Entraigues. — Courte lune de miel. — Falary reprend le cours de ses exploits. — Prisonnier à Monjuich. — Complot à Barcelone. — Arrivée de la duchesse à Paris. — Le couvent. — Mme de Vauvray et ses fils. — Parents aimables. — Rapprochement manqué. — Le duc en Espagne.


En moins d'un demi-siècle, Gorge d'Entraigues et d'Haraucourt, émergés du néant, avaient grimpé avec dextérité l'échelle sociale, ils étaient devenus deux aïeux, et le mariage de leurs enfants allait définitivement implanter dans la noblesse française la lignée qu'on était en droit d'espérer. Déjà le 3 avril 1709, Julie Christine d'Entraigues avait épousé à Saint-Sulpice le marquis d'Ancenis, plus tard duc de Charost, en présence des plus grands seigneurs du royaume : le duc de Béthune, le marquis de Charost, le duc de Montmorency-Luxembourg, le duc de Sully, etc. (29), non sans désapprobation du public.

« Quelle indignité, disait-on, que des filles de telles conditions soient élevées à des rangs qui ne sont et qui ne doivent être que pour la grandeur du sang et de la naissance (30). » La nouvelle union était un pas en avant. Aussi fière de son nom que du titre de son mari, la duchesse de Fallary tressaillait de joie à l'idée de la haute mission à elle destinée et aussi des magnificences de la cour de France dont elle comptait jouir prochainement.

Hélas ! le rêve fut court. Trois semaines étaient passées depuis la cérémonie nuptiale, lorsqu'un jour se présenta à Saint-André, non pas un courrier du roi Louis XV venant saluer le jeune couple, mais un huissier accompagné d'un recors. Falary se souvint alors que ses innombrables créanciers ne lui avaient laissé un instant de répit que pour profiter de son nouvel état. Des 800,000 livres qu'il avait possédées, il ne restait plus rien. Sa détermination fut prompte. Il fila. Lorsque sa pauvre jeune femme revint de ce coup brutal, elle s'aperçut de la disparition complète de sa dot, évaporée en vingt jours.

Quant au duc, dégoûté de la France, il s'était dirigé vers l'Italie, laissant partout son sillage de dettes, puis vers l'Espagne où il continua ses turpitudes. Il les augmenta même, et comment ! Tant qu'il n'avait témoigné de l'aversion qu'à sa femme, personne ne s'en était trop préoccupé, mais quand il l'étendit publiquement au sexe féminin en général, les autorités s'en mêlèrent. Le vice répugnant dont il faisait parade, la compagnie infâme qui l'entourait, sa tenue scandaleuse, ne furent pas du goût des Espagnols.

Sur l'ordre de Philippe V, le prince Pio, capitaine général et gouverneur de la Catalogne, le fit enfermer dans la citadelle de Monjuich pour le soustraire à une mort ignominieuse. Cette incarcération le tira des griffes de l'Inquisition qui le guettait et il faut reconnaître que, cette fois, elle eût fait œuvre pie en débarrassant la société d'un tel individu. Sa jactance et les hautes parentés dont il se prévalait produisirent leur effet habituel. Le prince Pio lui laissa une certaine liberté dont il profita pour cabaler avec plusieurs vaisseaux anglais dans l'idée de leur faire livrer la place de Barcelone par la garnison. Le complot fut découvert. Au lieu de faire, comme c'était son droit, trancher la tête de ce prisonnier gênant, le roi permit à la surveillance de se relâcher, et Falary s'échappa, au grand soulagement de ses geôliers, ravis d'être débarrassés de lui.

Pendant ce temps, le malheureux Gorge, dominé par la voix du sang, ne pouvait s'empêcher de prier Dieu de changer le cœur de son fils, mais tout en implorant l'assistance d'en haut, il songeait aux choses d'ici-bas. Dès septembre 1716 — mesure tardive — il exhérédait Falary et l'excluait de sa succession (31). Le père subissait la peine des fautes de l'enfant. À force d'ouvrir sa bourse, il n'était plus en état d'avoir un carrosse ni d'avancer dix pistoles (32), et son cœur saignait de voir sa belle-fille malheureuse et ruinée sans possibilité de la secourir comme il l'eût désiré.

À défaut de son beau-père déchu, de sa mère engluée dans les embarras d'argent, la duchesse trouva une amie des La Blâche qui s'occupa d'elle. C'était Louise de Bellinzani, mariée à Girardin de Vauvray, maître d'hôtel du roi, puis intendant de la marine. Âgée alors d'une cinquantaine d'années, cette femme de beaucoup d'esprit recevait peu de monde à cause de l'éloignement de sa maison, mais ce qu'elle voyait était de très bonne compagnie : Fontenelle, Duverney, son neveu Ferrant, l'abbé de Saint-Pierre, le duc de La Feuillade, le duc de Rohan (33). Elle emmena avec elle Mme de Fallary à Paris, et lui persuada de s'installer provisoirement dans un couvent. Il est probable aussi qu'elle dirigea son choix, dans la crainte que l'abandonnée à l'œil éveillé ne s'écriât comme Ninon : « Je désire me retirer au couvent.... des Cordeliers ! »

À cette époque où la religion était une carrière, et les dignités ecclésiastiques une source de bénéfices, il ne fut pas difficile à la duchesse de trouver une retraite à son goût. Entre les couvents où des bals se donnaient au parloir, où les galants se glissaient dans les confessionnaux, où les sœurs portaient des rubans, des gants d'Espagne et des bijoux, où les offices alternaient avec les comédies, et ceux où fleurissaient les plus nobles exemples de beauté morale, les vertus mystiques les plus pures, les caractères immaculés (34), elle se décida sans doute pour l'un des premiers.

La fragile barrière qui la séparait du monde n'était pas assez haute pour empêcher les consolateurs qui s'intéressaient à son sort de lui apporter leurs sympathies ; tour à tour respectueux, compatissants, serviables et tendres, ils devaient troubler étrangement cette recluse de vingt ans qui, le soir venu, rentrait tristement au cloître, et se prosternant désemparée sur les dalles froides, voyait au fond de la chapelle, sur la statue de Jésus, briller un cœur d'or. Mme de Vauvray prenait grand soin de sa jeune amie, et venait souvent la visiter, accompagnée tantôt de son mari, tantôt de l'un de ses fils.

L'aîné, Alexandre, capitaine au régiment des gardes, cavalier de bonne mine, se targuait d'une terrible blessure, reçue en 1715, lors d'un duel qu'il avait eu près du Pont-Royal, avec M. Ferrand, capitaine au régiment du roi, blessure dont il s'était guéri par miracle (35) ;
le second, Louis, qui portait le nom de Préaulx, n'avait pas encore atteint la trentaine. Adroit, subtil, laborieux, aussi ardent au travail qu'au plaisir, sachant à propos faire jouer tous les ressorts, celui-ci charmait peu à peu, séduisait à la longue, non parce qu'il était aimable, mais parce qu'il était utile.

Mme de Fallary, isolée et sans défense, ne sut pas résister à la nécessité de se savoir un soutien au milieu de ce monde nouveau : elle voua à Préaulx un attachement, de constance intermittente, il est vrai, mais qui dura jusqu'à sa mort. De Saint-André-de-Briord, Mme d'Haraucourt entretenait une correspondance suivie et affectueuse avec sa fille, dont les succès naissants excitaient un peu sa crainte tout en flattant son orgueil de mère (36). Ses fils, devenus des hommes, avaient quitté le collège Louis-le-Grand ; Gabriel, le cadet, était entré comme lieutenant au régiment de Navarre (37) ; Claude-Joseph, l'aîné, était revenu s'installer auprès de sa mère. Dans cette famille, l'amour, qu'il fût maternel, filial ou charnel, se teinta toujours d'un penchant prononcé à la chicane.

Mme d'Haraurourt avait vendu, le 19 août 1719, la terre de Saint-Marcel au baron de Lornay, moyennant le prix de 4,400 louis d'or, somme destinée à solder les dettes du marquis défunt, et à payer les notes trop criardes qui sans cesse réapparaissaient dans le pays comme des chardons dans un champ de blé (38).

Deux mois après, Claude-Joseph, qui atteignait sa vingtième année commença ses règlements de comptes, lesquels, assaisonnés de procédures, de citations, de référés, d'un grand égoïsme et d'une mince reconnaissance, devaient durer un demi-siècle aussi bien avec sa mère qu'avec sa sœur. Celle-ci était dans un état assez précaire.

Falary, complètement à sec, n'avait plus qu'une pension de 3,000 livres que ses créanciers lui accordaient sur ses biens saisis ; il devait, avec ce revenu modeste, entretenir et nourrir sa femme, dont il avait fait fondre la dot (39) ; aussi comprend-on que celle-ci, se trouvant sans argent et sans mari, ait accepté les appuis qui s'offraient. Si parfois, dans cette société où brillaient les plus purs noms de l'armorial français, elle regretta l'obscure naissance de ses père et beau-père, elle dut aussi leur rendre grâce en son for intérieur de l'ambition qu'ils avaient montrée dans leurs alliances. Parce qu'elle était jeune et charmante, ou parce qu'elle était malheureuse, peut-être pour les deux raisons, dès son arrivée à Paris, elle se trouva au milieu d'une famille attentionnée et d'amis compatissants.

C'était le marquis de Lévis, son cousin par les La Blâche, le marquis de Tessé, un allié, tous deux fort empressés (le médisant Marais avance qu'elle n'en restait pas avec eux aux relations de cousinage et d'amitié) (40) ; c'était sa nièce à la mode de Bretagne, la jeune duchesse d'Olonne, sage, gracieuse, bonne, érudite, aimée et estimée de tous, qui lui ouvrit les portes les plus fermées et se montra pour elle d'une affabilité qu'une mort prématurée interrompit ; c'était l'ambitieuse Mme de Prie, dont le mari était parent de la duchesse de Lévis-Ventadour.

Pauvre et délaissée, sans un toit sous lequel s'abriter, Mme de Prie, en arrivant à Paris au mois d'octobre 1718, avait eu fort à faire. Elle venait de Turin, où son mari représentait le roi de France ; là elle s'était pénétrée des subtilités diplomatiques en honneur auprès de Victor-Amédée et, sans trop céder à l'amour, avait connu le pouvoir de sa beauté. « Mais surtout elle avait appris à peiner, à souffrir, à se défendre des maux de la vie, à s'agiter et à combattre, afin de satisfaire aux exigences d'une existence incertaine du lendemain, de telle sorte que sous la frêle enveloppe de ce corps d'adorable adolescente, palpitait un cœur quasi viril, résidait une âme mûrie avant le temps, aguerrie et pour toujours supérieure à de lâches faiblesses (41). »

Le marquis de Prie, grâce aux cinq années passées à la cour de Savoie, connaissait à fond l'origine des d'Haraucourt, et pouvait se porter garant des quartiers battant neuf de la duchesse, tandis que sa femme, en lui raffermissant son moral, ne se priva pas de lui enseigner la façon de gagner un prince ou de digérer les ragoûts de bâton administrés par un mari ombrageux.

Leçon bien inutile, Falary ne manifestant pas la moindre velléité de jalousie et de représailles. Il y songeait si peu qu'au début de l'année 1720, il tombait tout à coup chez son père, à la Chapelle, dans un accès de calme et de tranquillité. N'osant sortir que la nuit par crainte de ses créanciers, son repos fut complet, trop complet, car au bout de trois mois, il partit pour aller habiter chez son cousin germain, le duc de Châtillon. Celui-ci l'accueillit d'autant plus volontiers qu'il recevait chaque jour la visite de la duchesse et se flattait intérieurement d'opérer un rapprochement entre les deux époux.

Sa déception fut amère. Falary rencontra sa femme, mais ne se dérangea pas une seule fois pour l'aller trouver. Au grand désespoir du vieux Gorge toujours désireux d'être grand-père, il s'obstina à la considérer comme une étrangère. Il fit mieux. Comme la pauvre abandonnée s'étonnait de le voir fuir un trésor que tant d'autres recherchaient, il sut la tenir en suspens et lui faire croire que le rapprochement était subordonné à sa générosité. Elle donna dans le panneau, lui remit une grosse somme qu'elle emprunta et.... le duc disparut.

Elle avait cru reprendre un mari, elle n'avait trouvé qu'un escroc. Roise et Mme d'Ancenis n'avaient pas fait montre d'une plus grande clairvoyance vis-à-vis de leur frère. En les étourdissant de belles promesses, il leur avait extorqué une vingtaine de mille livres qu'il joignit à vingt autres mille livres obtenues d'acquéreurs de ses biens, puis, avec cette somme, il acheta fort cher des diamants et partit en chaise de poste, accompagné de plusieurs valets, tous aussi fripons que leur maître.

Arrivé en Espagne où il venait chercher un emploi, Philippe V, qui goûtait peu la plaisanterie, lui en offrit immédiatement un : celui de banni. Falary fut forcé d'accepter. Il s'embarqua à Cadix, passa à Gibraltar sur un vaisseau anglais afin de gagner l'Afrique et servir le Turc, lorsque, faisant volte-face, il se rendit en Portugal.... d'où on l'expulsa. Il revint en Espagne, mais le roi le fit reconduire à la frontière par deux alguazils, avec défense expresse de rentrer dans ses États.

Bayonne en hérita. M. d'Anoncourt, le lieutenant de roi qui y commandait, lui conseilla de séjourner dans cette ville le moins possible et de ne point faire parler de lui. Malheureusement, son étoile l'entraînait. Les plaignants affluèrent : marchands, hôteliers, traiteurs, M. de Montéléon auquel il avait emprunté trente pistoles, même les officiers qui l'accusaient de débaucher leurs soldats en les couvrant d'or. C'en était trop ! Comme il avait vendu sa chaise de poste sans pour cela payer son hôtel, le lieutenant de roi lui prit deux places au carrosse de Paris, lui donna un peu d'argent, le tout sur billets signés, et l'expédia avec l'espoir qu'on le pendrait ailleurs (42).

Un tel mari n'était pas un cerbère pour la vertu de sa femme. Il ressemblait plutôt à un gardien de palais qui en donne la clef aux visiteurs et tend la main à la dérobée. Déjà effleurée par le tourbillon, la duchesse de Fallary allait bientôt se laisser emporter à travers cette atmosphère grisante où, dans son auréole de prince du sang, rayonnait le Régent.

Seule au milieu d'un monde frivole, ce ne fut pas sa faute de se confier à celui dont elle devait se garder. Ses malheurs précoces, sa condition pénible, l'intérêt général qu'elle inspirait, touchèrent le cœur ou plutôt éveillèrent la curiosité et l'intérêt du duc d'Orléans et lui firent obtenir cet honneur aussi peu glorieux pour le souverain qui le confère que pour l'élue qui l'acquiert. Ah! la faiblesse de la femme, c'est ce qui fait sa force.





CHAPITRE IV
Le mariage au commencement du XVIIIe siècle. — Un époux intéressé. — Séparation de biens. — Imprévoyance de la jeune femme. — Le Régent. — Portrait de la duchesse. — Présentation au duc d'Orléans. — Le rôle de Mme de Sabran. — Mme de Parabère. — Entrée en fonctions. — Les soupers du Palais-Royal.


Sous la Régence, l'amour conjugal n'était pas à la mode ; on ne rencontrait parmi les gens de qualité presque aucun exemple d'affection réciproque et de fidélité (43). Il était impossible, avec la fièvre de jouissance qui régnait, de maintenir la tendresse calme, solide et réservée dans les ménages. La chevalerie de la Table Ronde, l'héroïsme du moyen âge, les subtilités des précieuses étaient choses surannées et reléguées dans les combles du Garde-actions national, le platonisme en amour, qui ne cache souvent qu'une passion violente, n'avait plus d'élèves, et le but de la société était de faire de continuels efforts pour perpétuer la race humaine.... tout en espérant bien n'y jamais parvenir (44).

Chez les hommes non poussés par le besoin d'argent, il fallait un certain courage pour épouser ; quant aux femmes, elles faisaient pour la plupart des mariages d'inconvenance ou d'inclination à l'adultère ; puis, aussitôt libérées d'une virginité pesante, s'empressaient de jeter non seulement leurs bonnets, mais aussi leurs jupes et leurs corsages par-dessus les moulins. Quelques maris protestaient en paroles, très peu avec des arguments frappants ; les plus nombreux, absorbés par les consolations qui se présentaient, en arrivaient vite à l'indifférence.

Leur insouciante légèreté leur permettait de subir allègrement l'égalité devant la loi commune, loi à laquelle les rois eux-mêmes échappaient avec peine.

Si Louis quatorzième n'a pas
Passé pour un cornard,
C'est un bonheur extrême
Ou l'effet du hasard,

et les gens du commun, dont la morale n'était pas aussi complaisante, chantaient en catimini :

Ma foi, l'on a beau dire :
Le bois manque à Paris ;
Ce discours me fait rire,
Puisque tous nos maris
En ont provision sur leurs têtes chenues.
Et je suis assuré,
L'été,
Que s'il paraissait,
L'on irait
À l'ombre dans les rues
(45).

Falary, dont le front se chargeait de nuages, semble s'être médiocrement soucié du titre auquel lui donnait droit la conduite de sa femme. Les amants de celle-ci n'étaient considérés par lui que comme des prêteurs et sa beauté que comme une valeur à hypothèques. Pourtant il n'eut ni le courage du déshonneur ni la ténacité de la honte ; lorsqu'il vit qu'il ne pouvait rien tirer de ce côté, il ne témoigna aucune insistance et se dirigea vers des affaires aussi malpropres, mais plus rémunératrices. Autant eût valu pour lui de devenir ivrogne comme M. de Parabère, ou épileptique comme M. d'Averne : il préféra mettre un peu de variété dans la déchéance.

Une fois la séparation volontaire consentie de part et d'autre dans le ménage Falary, la séparation de biens devait suivre fatalement. Elle fut prononcée le 4 février 1720 entre la duchesse, aidée de son beau-frère Gorge de Roise, conseiller au Parlement, et de Girardin de Vauvray père, conseiller d'État, et le duc qui se trouvait par hasard à Paris, logé rue du Cherche-Midi. Par cet acte, Mme de Fallary renonçait à la pension de 1,600 livres que son mari lui faisait sur les 4,000 livres à lui laissées par ses créanciers (46). Elle se trouvait ainsi sans un sou vaillant, réduite au dévouement de ses amis. Les uns heureusement étaient pourvus de fortune, les autres, comme les Tencin et les Prie, soutenaient et défendaient Law, qui leur témoignait sa reconnaissance de manière avantageuse.

Soit jeunesse, soit imprévoyance, la duchesse fut une des rares femmes de l'entourage du financier qui ne voulut ou ne sut pas profiter des conseils et des libéralités dont il était prodigue. Elle dut s'en repentir plus tard ! Paris se ruait sur le papier du Mississipi et tout le monde ne pouvait pas faire la réponse orgueilleuse mais compréhensible de Villars à un agioteur :
« Vous étes-vous réservé beaucoup d'actions, monsieur le maréchal ?
— Dans l'histoire, oui, monsieur !
» avait répliqué le vainqueur de Denain.

Débarrassée de son mari, légère de caractère, de mœurs et de bourse, Mme de Fallary se laissa facilement enrôler dans le bataillon des belles pécheresses dont le point de ralliement était le Palais-Royal, et présenter à son chef : le Régent.


Le Régent par Largillière

Si Philippe d'Orléans n'était plus, au physique, le don Juan bruyant et grandiose que nous a représenté Largillière, il restait au moral ce qu'il avait toujours été. Les contemporains et les historiens vont nous le dépeindre fidèlement.

D'abord Saint-Simon : « Mgr le duc d'Orléans était de taille médiocre au plus, fort plein sans être gros, l'air et le port aisé et fort noble, le visage large, agréable, fort haut en couleur, le poil noir et la perruque de même. Quoiqu'il eût fort mal dansé, et médiocrement réussi à l'Académie, il avait dans le visage, dans le geste, dans toutes ses manières, une grâce infinie, et si naturelle, qu'elle ornait jusqu'à ses moindres actions, et les plus communes.

Avec beaucoup d'aisance, quand rien ne le contraignait, il était doux, accueillant, ouvert, d'un accès facile et charmant, le son de la voix agréable, et un don de la parole qui lui était tout particulier en quelque genre que ce pût être, avec une facilité et une netteté que rien ne surprenait, et qui surprenait toujours.... Avec cela nulle présomption, nulle trace de supériorité d'esprit ni de connaissances, raisonnant comme d'égal à égal avec vous, et donnant toujours de la surprise aux plus habiles. Rien de contraignant ni d'imposant dans la société, et, quoiqu'il sentît bien ce qu'il était, et de façon même de ne le pouvoir oublier en sa présence, il mettait tout le monde à l'aise, et lui-même comme au niveau des autres.
»

Duclos le montre ainsi : « Le duc d'Orléans était d'une figure agréable, d'une physionomie ouverte, d'une taille médiocre, mais avec une aisance et une grâce qui se faisaient sentir dans toutes ses actions. Doué d'une pénétration et d'une sagacité rares, il s'exprimait avec vivacité et précision. Ses reparties étaient promptes, justes et gaies. Ses premiers jugements étaient les plus sûrs ; la réflexion le rendait indécis. »

La princesse Palatine, qui était bonne juge de son fils, ne le voyait pas avec des yeux aveuglés par l'indulgence : « Quand il n'avait que quatorze ou quinze ans, écrit-elle, il n'était pas laid ; mais depuis, le soleil d'Italie et d'Espagne l'a si fort bruni, que son teint est devenu d'un rouge foncé. II n'est pas grand et cependant il est gros ; ses mauvais yeux font qu'il louche parfois et il a une mauvaise démarche, » et plus loin : « Mon fils n'est pas beau; il a de grosses joues, il est petit, gras et fort rouge, mais il me semble qu'il n'est pas désagréable. Lorsqu'il danse ou qu'il est à cheval, il a fort bonne mine, mais lorsqu'il va comme à son ordinaire, il ne paraît pas à son avantage. »

Écoutons maintenant son rival en amour, Richelieu : « Le duc d'Orléans avait dans la physionomie tout ce que la nature peut donner d'intéressant, de gracieux et d'aimable. Il n'était point grand, mais il avait un maintien noble, aisé, un caractère doux, facile, et surtout ouvert et franc. Il avait des cheveux noirs, des couleurs vives sur le visage, un tempérament toujours enclin à la bonne chère, aux plaisirs et à la grossière débauche. »

Ces trois esquisses sont fortifiées par le témoignage de Voltaire : « De toute la race de Henri IV, Philippe d'Orléans fut celui qui lui ressembla le plus ; il en avait la valeur, la bonté, l'indulgence, la gaieté, la facilité, la franchise, avec un esprit plus cultivé. Sa physionomie, incomparablement plus gracieuse, était cependant celle de Henri IV. Il se plaisait quelquefois à mettre une fraise, et alors c'était Henri IV embelli. »

Un tel personnage était capable de grandes choses ; « malheureusement, le mauvais exemple qu'il suça comme avec le lait et le malheur d'avoir eu près de lui un être de mœurs pourries, firent que ses talents, qui auraient pu se tourner du bon côté, prirent le mauvais (47). » Néanmoins cet homme vicieux était l'homme de France non pas le meilleur, à coup sûr, mais, ce qui est tout autre chose, le plus bon (48). Dans le demi-jour de l'histoire, le Régent nous apparaît sans masque, sans apprêts, galant, rieur, probe et courageux. C'était plus qu'il n'en fallait pour séduire une jeune femme comme la duchesse de Fallary, dont le portrait sera moins nettement dessiné que le précédent par les divers écrivains qui se sont occupés d'elle.

Son visage dut peu frapper les anecdotiers de 1'époque, puisque aucun d'eux ne le détaille complaisamment ; quant aux historiens, ils ne sont pas d'accord. Marais prétend que le Régent ne la trouvait point belle, ce qui semble un peu exagéré ; d'après Capefigue, c'était « une jeune et gracieuse femme aux cheveux blonds et suaves.... jolie création de Boucher, toute svelte, toute légère d'ironie et de carmin. » Narbonne, commissaire de police à Versailles, en fait une Italienne. Voilà un fonctionnaire bien mal renseigné ! Capefigue, déjà nommé, n'ose aller si loin : « artiste presque italienne, dit-il, elle chantait et lisait à merveille ». Lacretelle et Emile Faure la gratifient généreusement « d'une grande beauté ». Saint-Simon la trouve « fort jolie », en même temps que Michelet qui la représente comme « une jeune et charmante femme, fort jolie, intéressante et malheureuse (49). »


École française

Le plus fantaisiste, ce qui ne surprendra pas, fut Alexandre Dumas qui, dans son Histoire de la Régence écrit : « Mme de Phalaris était une grande femme sérieuse, toujours couverte de mouches, empanachée de plumes, fière de son crédit à la cour, prude et affectant tout haut des principes auxquels personne ne croyait, auxquels elle seule avait l'air de croire. » Mme de Fallary sérieuse et prude ! Oh ! l'imagination (50) !

C'est au commencement de novembre 1720 que notre héroïne fut présentée au Régent par Mme de Sabran, avec laquelle elle n'avait aucun lien de parenté, comme on l'a prétendu. Cette favorite, dont la coquetterie et l'ambition ne trouvaient pas complète satisfaction avec son amant, n'était pas encore arrivée à l'âge où la gourmandise et la dévotion remplacent les plaisirs de Cupidon. Quand elle vit qu'elle ne pouvait conserver sa place auprès d'un homme qui, dans ses passions, était avant tout un indépendant, elle se résigna à un rôle encore plus méprisant que celui qu'elle tenait ; incapable d'attiser la flamme de l'amour dans le cœur de Philippe, elle se contenta de tenir le flambeau. Sur cet homme inaccessible aux séductions de l'esprit, et qui détestait les femmes ambitieuses, elle reconnaissait inutile de tenter une platonique domination, aussi chercha-t-elle à lui donner de grandes passions à défaut de le voir faire de grandes choses (51).

Du reste, cette dégradation en connaissance de cause trouve son excuse dans les mœurs du temps, et les Villarceaux et les Nesle n'étaient pas une exception parmi les familles aspirant à la royale flétrissure. Mme de Sabran subit l'expiation de ses fautes en devenant introductrice des favorites et en incorporant Mme de Fallary dans la troupe des dames de déshonneur du Régent. À l'instar de Mme Houël qui la remplaça un instant, la duchesse avait à peine une chemise, mais cette considération n'était pas faite, au contraire, pour arrêter un amant épris. Les étapes furent brûlées.

Le 13 novembre 1720, Mathieu Marais écrit : « Mme de Sabran veut reprendre sa place ou faire reprendre cette place à une autre personne de ses parents que l'on appelle la duchesse de Fallari, et c'est au milieu de la translation du Parlement, de la retraite prochaine du chancelier, de la destitution du cardinal et de la ruine publique que se joue cette nouvelle comédie qui rend cette pièce tragi-comique, » et quinze jours après, le même auteur, toujours à l'affût, nous apprend la consécration : « Il y a eu bal public au Palais-Royal, la nuit de dimanche au lundi. Le Régent y a paru, tenant sous le bras une nouvelle maîtresse qui se nomme la duchesse de Fallari. » De son côté, Mme de Vauvray n'était pas restée inactive. Elle n'avait pas voulu laisser à Mme de Sabran seule le médiocre honneur de recruter une nouvelle amie au Régent et le public fredonnait :

Sabran, leste et pimpante,
Conduisait Falarîs
Comme la présidente
Si célèbre à Paris.
Je cherche le Régent ; voici bien son affaire.
Chez le petit poupon, — don, don,
Enfin, il arriva, — là, là,
Mais avec Parabère
(52).

Malheureusement, auprès du duc d'Orléans, la nouvelle situation occupée par Mme de Fallary n'était pas assurée et la jeune femme en fit vite l'expérience. Comme plusieurs de ses collègues, elle ne fut jamais qu'une maîtresse intermittente. Dès le 5 décembre, Marais nous apprend que « sa fortune a passé comme une ombre. L'étoile de Mme de Parabère a été plus forte que la sienne. On a tant couru, intrigué et tourmenté le Régent qu'il est revenu à sa première maîtresse, et dès ce soir même, il a soupé avec elle et ses favoris et a fait dire à l'autre qui venait pour souper avec lui et à Mme de Sabran qui l'accompagnait, qu'il était malade et s'était couché. Les amis de la duchesse disent que cette aventure n'a pas le moins du monde intéressé son honneur (Mme de Vauvray la soutient beaucoup) ; mais on sait bien que penser d'une femme galante qui a mangé plusieurs fois avec le Régent en secret, et qui a été publiquement au spectacle et au bal avec lui. »

Voilà l'inconvénient de fréquenter des gens de mauvaise réputation ! Marais est le reflet de l'opinion ; tout le monde croyait la duchesse devenue la maîtresse effective de Philippe, et je le croirais de même si plus tard (53) elle n'avait affirmé, nullement par pudeur, que ses rapports avec le prince s'étaient toujours bornés à ceux de l'amitié. Il sera difficile de faire accepter semblable déclaration par l'histoire, mais ces deux êtres d'esprit étaient si originaux ! Le 6 décembre, d'après Marais, « elle était revenue sur l'eau », et, bien que ce bon fureteur assure, un mois après, le 10 janvier 1721, qu' « elle est tout à fait renvoyée » (54), il n'en est pas moins vrai que, durant trois ans, elle fut de l'intimité du duc, n'exerçant aucune domination sur lui et n'en subissant aucune de sa part. Ils se voyaient souvent, se quittaient avec soulagement et se retrouvaient avec satisfaction.

Les amis de Mme de Fallary intriguèrent de mille façons pour l'élever, elle ne tenta rien, ne lutta point, cédant le pas ou le reprenant, toujours pleine de gaieté et d'insouciance. « Elle soutient son poste par son esprit, écrit Marais le 23 décembre 1720. Le Régent lui dit qu'elle n'est pas belle et qu'il ne l'aime pas, et elle répond qu'elle est bien sûre qu'il l'aimera un jour ; sur quoi elle reste et elle l'amuse. »

Et le peuple, payé sous le règne précédent pour ne pas apprécier les favorites dont il redoutait la désastreuse ingérence, chantait caustiquement :

Que la peste soit en Provence,
Ce n'est pas notre plus grand mal.
Ce serait un bien pour la France
Qu'elle fût au Palais-Royal.
En abattant deux ou trois têtes,
Elle en conserverait trois cents.
Comme elle n'en veut point aux bêtes,
Badauds, vous en seriez exempts
(55).

La bataille pour le pouvoir n'était pas le fait de la jeune duchesse. Il fallait d'ailleurs un esprit et un estomac de premier ordre pour lutter avec sa rivale, — et quelle rivale ! — Marie-Madeleine de La Vieuville, comtesse de Parabère. Gaie, pétillante, originale, capricieuse, dissimulant sous une enveloppe frêle un coffre de mousquetaire, cette femme qui vidait une bouteille de Champagne comme d'autres respiraient une rose, qui se reposait à table des orgies du souper, qui aima tous ses amants pour rire, qui porta le vice avec intrépidité, cette femme qui jura au Régent une infidélité éternelle et ne lui fit voir son étoile que sous son paravent, cette femme eut le talent de le rendre jaloux (56). Bacchante sans ambition, elle devait, pour le prince, être la maîtresse idéale et, durant son règne de huit années, elle fut la préférée.

Dans l'histoire scandaleuse, Mme de Fallary n'en a que plus de de mérite à la voir détrônée. À peine entrée en fonctions, la nouvelle favorite dut prendre son service. Il était dur et nécessitait une santé d'acier. Levée tard, elle paraissait vers trois heures chez le Régent qui donnait audience, y restait un instant, puis, après deux heures de liberté, ne s'appartenait plus. Tantôt elle avait l'Opéra, tantôt le dîner chez elle en tête à tête avec son noble ami, tantôt Saint-Cloud ou Asnières, tantôt le souper au Palais-Royal en compagnie des roués et des dames de moyenne vertu. Presque chaque soir, cette congrégation du vice s'assemblait dans les salons clos.

- C'étaient Brancas, la caillette gaie, Canillac, la caillette triste, le cardinal Dubois, Noailles en rupture d'austérité, Nocé qu'on surnommait Braquemardus de Nocendo, le beau Fargis, la Fare le poupart de la princesse de Conti, Broglie dit Brouglion, Simiane, Biron, d'Effiat et, parmi les femmes, Mme de Parabère, que le Régent appelait le petit corbeau noir au premier verre de Champagne et le gigot au second, Mme de Sabran, qui répondait au nom poétique de l'aloyau, Mmes d'Averne, de Sessac, de Verrue, du Deffand, de Flavacourt, les sœurs Souris à la taille svelte, la petite le Roy, la sentimentale Emilie, Mlle Houël, toutes les maîtresses présentes et passées groupées autour du duc d'Orléans comme une famille attentive autour du patriarche. Ce sérail mélangé, loin d'être gardé par de neutres cerbères, c'était au contraire par quelques mirebalais, laquais vigoureux, dont le visage rougissait plus souvent des effets du vin que de la honte.

À certain moment, on les renvoyait en même temps que les cuisiniers, et les convives mettaient eux-mêmes la main à la pâte.
Le Régent se rappelait les recettes culinaires apprises en Espagne, Mme de Parabère battait les œufs de ses mains blanches, tandis que Mme de Fallary faisait griller des saucisses dans une poêle d'argent. Bientôt les mets délicats fumaient dans les plats, le Champagne, le vrai vin des soupers, ce bouquet des dieux, pétillait dans les coupes, et les femmes, vêtues d'une impalpable étoffe de l'Inde, avec un corsage échancré à l'excès, riaient aux paroles, s'émoustillaient aux gestes, autour de la table dont le président était un prince du sang et le chef de calotte un cardinal. On buvait, en s'échauffait, on disait des ordures à gorge déployée et des impiétés à qui mieux mieux, et, vers trois heures du matin, lorsque l'ivresse complète avait mis les convives hors d'état de parler et de s'entendre, ceux qui pouvaient encore marcher se retiraient. On emportait les autres (57).

En plus d'un goût spécial, il était de toute nécessité d'avoir un tempérament bien trempé pour supporter semblable existence. Mme de Fallary, nullement entraînée, éprouva au début une grande difficulté à se mettre au diapason de ses compagnes. Quand on est jeune, on est toujours moins porté sur sa bouche que sur son cœur.




CHAPITRE V

Accusation du médecin Chirac. — Mot de Broglie. — Falary part pour Paris. — Il est mis à la Bastille. — Une prison de plaisance. — Falary au fort de Joux. — Son évasion. — D'Haraucourt nommé mestre de camp. — Le vieux Grorge d'Entraigues. — Insouciance de la duchesse. — Les modes sous la Régence.


On voit que le Régent et ses amis ne menaient une vie ni très régulière ni fort hygiénique, et « l'imagination du peuple, irritée par le mystère, exagérait la licence de leurs orgies. Le Palais-Royal, sourd et impénétrable, apparaissait comme une île infâme retranchée au milieu des misères publiques. Véritable Caprée où cependant manquait un Tibère (58). » Mme de Fallary y tenait son rang malgré les embûches des roués, la jalousie des femmes, l'inconstance du duc d'Orléans et la brutale accusation que le médecin Chirac lançait contre elle, accusation formulée en toutes lettres par Mathieu Marais.

Bien que nous soyons en pleine Régence, nous n'osons pas l'imiter, estimant qu'il était suffisant de calomnier la vertu de la duchesse sans encore calomnier sa santé. L'homme de l'art avait peut-être du diagnostic ; il manquait de galanterie. La crudité des termes employés par lui dans son jugement est inhérente à une science exacte comme la médecine, elle choque pourtant un peu à une époque où les choses les plus osées étaient admises en souriant, grâce au bouquet d'esprit au milieu duquel on les présentait.

Alors comme aujourd'hui, il y avait la façon. Celle de Broglie n'était pas celle de Chirac, et pour connaître celle du premier, je m'obstine encore une fois dans une pudeur qui commence à me peser et je cède la plume à l'un de ses contemporains. Le 19 janvier 1721, Caumartin de Boissy écrivait à sa sœur la marquise de Balleroy (59) : « Je ne sais si je pourrai, en le masquant un peu, vous rendre une réponse de M. de Broglie à M. le Régent aussi bonne qu'on la trouve. Je vais y faire de mon mieux, ils étaient à table où l'on parla de Mme de Falaris ; le Régent loua sa beauté, mais se plaignit qu'elle était trop grande de je ne sais pas bien d'où » ; M. de Broglie lui répondit : « Monseigneur, il n'y a qu'à la mettre au compte en banque ; elle diminuera d'abord des trois quarts, et, si ce n'est pas assez, il y a encore le virement de partie (60). »

Vétilles ou cancans de cour, Philippe s'en préoccupa peu et continua à témoigner à la duchesse une amitié qui attira, parmi d'autres attentions, celle du duc son mari.

De Bayonne, d'où nous avons vu que ses excentricités et ses canailleries l'avaient fait expédier, Falary prit la route de Paris en compagnie du comte et de la comtesse de Valençay, tout en oubliant de prévenir les siens de son arrivée. Heureusement pour eux, le ministre Le Blanc lisait les rapports de ses agents. Aussitôt avisé des intentions de l'aventurier, il avertit Gorge d'Entraigues, son fils aîné Gorge de Roise, MM. de Luxembourg, d'Ancenis et de Charost, lesquels tinrent conseil et demandèrent au roi la permission d'accueillir leur encombrant parent comme il le méritait. La grâce fut accordée. À peine descendu dans un hôtel de Chartres, Falary y trouva un exempt qui lui présenta une lettre de cachet et le lendemain, 1er février 1721, il était écroué à la Bastille (61).

Quoique le nouveau prisonnier ne fût pas digne d'une haute considération, et il en fallait alors pour entrer à la Bastille, on l'y incarcéra avec son valet de chambre dans une des chambres des huit tours, où le logement et la nourriture durent lui sembler parfaits. Ces pièces octogonales, de trois ou quatre mètres de diamètre, éclairées par de hautes fenêtres, étaient blanchies à la chaux et chauffées pendant l'hiver. Quelques-unes étaient décorées de tableaux et munies d'un lit de serge verte, d'une table et de plusieurs chaises, mais les prisonniers pouvaient faire venir des meubles du dehors, de sorte que les cellules devenaient souvent des petits salons.

Comme ils avaient aussi le droit de communiquer avec les personnes de la ville et de recevoir parents ou amis, Falary ne dut pas se priver de convoquer immédiatement nombre de gens, non pas tant seulement pour le plaisir de les voir que pour celui de leur emprunter quelque argent. Il regretta pourtant que son abri provisoire n'inspirât pas une complète confiance aux fournisseurs et ne servît pas à asseoir son crédit déjà fort compromis ; mais il avait un dédommagement, celui d'être logé gratuitement et nourri à souhait.

Avec les dix livres que le gouvernement touchait pour sa pension, il avait cinq plats à dîner et trois au souper, sans le dessert, menu qui ne paraissait cependant pas suffisant à tous, puisque plus tard un nommé Vieille, ne mangeant pas de viande de boucherie, était nourri exclusivement de gibier et de volaille, que Dumouriez exigeait du chapon le vendredi et que Latude se plaignait que les poulets servis ne fussent pas piqués !

Malheureusement pour le duc, sa réclusion fut courte ; il n'eut pas le temps nécessaire de profiter de la pension faite par le roi aux prisonniers gênés, pension dont certains économisaient une partie pour sortir ensuite avec une bourse bien garnie de la Bastille, devenue pour eux une véritable prison de rapport. Falary avait apporté avec lui son linge fin et les vêtements criards et de mauvais goût dont il aimait à se parer ; les règlements l'autorisaient d'ailleurs à se fournir en ville à sa volonté, et, lorsqu'un prisonnier était trop pauvre pour se vêtir convenablement, le roi se chargeait de sa garde-robe, non d'une grossière tenue de prison, mais de culottes de couleur, de vestes doublées de soie, de robes de chambre ouatées ou fourrées, etc.

Voilà la terrible geôle que le duc d'Orléans donnait à un homme habitué à coucher à la belle étoile et à vivre de maraudes ! En somme, « il n'y avait pas, au siècle dernier, un lieu de détention en Europe où les prisonniers fussent entourés d'autant d'égards et de confort ; il n'y en a pas aujourd'hui (62). »

La règle de la Bastille était trop bénigne pour un fou comme Falary, il lui fallait autre chose que ce cachot de plaisance, type de l'Institut libre d'incarcération. Son père s'en aperçut vite et, sur ses instances, le Régent accorda un nouveau gîte au duc. Le 6 février, après six jours de détention, il sortait de sa cellule pour prendre la route du fort de Joux.

Furieux de ce déplacement, il se plaignit bruyamment, écrivit de tous côtés, accusa ses parents et, comme vengeance suprême, menaça de déshériter ses neveux, défi fort anodin puisqu'il n'avait que des dettes à léguer. Sa sœur, Mme d'Ancenis, lui répondit en ces termes (63) :

18 février 1721.

J'ai reçu, mon cher frère, votre lettre du 9 de Dijon.
Personne n'est plus touché que moi de votre situation, mais vous êtes le seul à qui il faut s'en prendre. Vous savez la vie que vous avez menée à Bayonne.
M. le duc d'Orléans en a été informé et M. Le Blanc l'a fait savoir à mon père, qui a écrit à nos plus proches parents, qui ont été d'avis tous d'une voix de demander une lettre de cachet pour vous mettre hors d'état de faire quelque chose de déraisonnable, et espérant que le chagrin que vous auriez d'être enfermé vous ferait faire des réflexions qui rendraient par les suites votre conduite meilleure.
Voilà le fait tel qu'il est au plus juste, et vous êtes le seul dans le monde qui puissiez imaginer assez peu de probité à MM. de Charost et d'Ancenis pour être capables, par des vues d'intérêt, de faire mettre un homme en prison.
Mes enfants n'ont que faire de votre succession, et je vous ai dit plusieurs fois que je donnerais volontiers du mien pour vous voir, comme un autre, vivre dans votre famille ; c'est bien éloigné de craindre que vous ayez des enfants.
M. d'Ancenis n'a voulu se mêler en rien de ce qui aurait rapport à votre lettre de cachet ; mais quand il a su que, sans sa participation, elle était obtenue, il a été trouver M. Le Blanc afin que vous puissiez avoir tous les adoucissements possibles.
M. le duc de Charost s'en est mêlé à peu près comme le Grand Turc, mais le public a prétendu que c'était à lui à qui vous deviez d'être traité si doucement, et que M. le duc d'Orléans vous avait fait grâce à sa considération,
etc.

Malgré les assauts qui lui étaient livrés, la chance souriait toujours à Falary. En effet, le duc de Lévis, son cousin, commandait la province de Franche-Comté où se trouvait situé le fort de Joux ; il connaissait à fond son prisonnier, qu'il avait déjà aidé à sortir de Barcelone ; aussi, tout en se méfiant de ses éternelles promesses et de ses belles paroles, lui adoucit-il le régime cellulaire. Les attentions du cousin gouverneur se continuaient depuis neuf mois, lorsqu'un beau jour Falary jugea bon d'y mettre un terme en s'échappant de la forteresse au moyen de deux soldats qu'il avait gagnés.

Il se réfugia en Suisse, où il fut aussitôt arrêté. Bearnez, le gouverneur de Pontarlier, se vit obligé de le réclamer avec l'espoir qu'on refuserait de le lui rendre, mais les conseillers d'État de Berne, très encombrés d'un tel personnage, s'étaient empressés de le relâcher au plus vite dans la crainte qu'on ne le réclamât pas ! À la demande de la France, les braves magistrats se confondirent en des excuses qui furent accueillies facilement et, comme conclusion, Le Blanc écrivit à Bearnez : « L'évasion de ce prisonnier n'est pas une perte que l'on doive beaucoup regretter (64). »

Pendant que son mari préparait dans les prisons de France ses nouveaux exploits à l'étranger, que faisait Mme de Fallary ? Elle se laissait agréablement aller au cours du temps, soupant avec le Régent, tantôt au Palais-Royal, tantôt aux Goulots à Saint-Cloud (65) ou dans une de ces petites maisons, discrets nids de plaisir que les grands seigneurs et même les femmes faisaient alors construire en des endroits écartés (66). Les parties fines ne l'empêchaient pas de songer à sa famille. En même temps qu'il desserrait les liens du duc de Falary, l'obligeant Lévis intriguait, sur les instances de la duchesse, désireuse de procurer une situation à son frère aîné Joseph d'Haraucourt, trop absorbé alors par Mme de La Meilleraye.

Le ministre de la guerre Le Blanc étant aussi bien disposé que le duc d'Orléans envers Mme de Fallary, la place fut vite trouvée, comme il ressort du billet suivant :

Le Blanc à Lévy 19 septembre 1721.

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire en faveur du frère de la duchesse de Falari. Son Altesse Royale, à qui j'en ai rendu compte, a bien voulu lui accorder la commission de maréchal de camp réformé ; je vous en donne avis avec plaisir
(67).

Tout en s'occupant de son frère aîné, la duchesse entretenait de bonnes relations avec son beau-père et multipliait ses efforts pour ne pas être jugée trop sévèrement. À vrai dire, le vieux Gorge ne semble pas avoir accueilli avec chaleur les tentatives de sa bru avide de considération. Sans repousser complètement ses avances, il lui faisait sentir que sa conduite n'était pas tout à fait celle d'une femme chargée de lui donner des petits-enfants (éternel et vain espoir), mais pour contre-balancer la tiédeur de ses réponses, il l'assurait, soit par bonté, soit par naïveté, de son entière confiance.

Voici une des épîtres qu'il faisait tenir à la duchesse par un tiers (68) :

J'ai rendu, Madame, à M. d'Antraigues la lettre dont vous m'avez fait l'honneur de me charger, il m'a dit qu'il vous aimait et estimait fort, et qu'il serait fort aise qu'il lui fût permis d'avoir l'honneur de vous voir et de passer une partie de sa vie avec vous, dès que vous saurez les raisons qui vous regardent et les enfants que vous pourriez avoir par la suite, lesquelles sont si fortes que vous devez tout de même désirer de ne pas le voir, puisque par une réconciliation, votre postérité serait entièrement ruinée par les chicanes des créanciers.

Ces raisons l'engagent à vous prier de ne point venir à Crécy où il ne pourrait vous voir et encore moins chez lui. À regard des deux choses dont vous avez eu la bonté de l'entretenir, l'une de la détention de M. de Fallary et l'autre de vos visites au Palais-Royal, il m'a dit, à l'égard de la dernière, qu'il vous croyait bien raisonnable et que les bruits qui ont couru sur votre chapitre n'avaient point fait d'impression sur son esprit, qu'il ne croyait jamais le mal qu'il n'en ait une preuve certaine ; qu'à l'égard de l'autre point, on ne doit pas s'en prendre à vous s'il est prisonnier, c'est à lui-même, par ses extravagances et par ses débauches qui vont à l'excès, et la cour en ayant été informée par le roi d'Espagne et par celui de Portugal qui l'ont fait chasser de leurs États.... M. d'Antraigues croit que quand la saison sera plus belle et les chemins plus praticables, vous feriez bien de l'aller voir dans sa prison, persuadé qu'étant aussi aimable que vous l'êtes et ayant autant de mérite que vous en avez, vous vous rendriez maîtresse de son esprit et lui feriez comprendre raison, c'est à quoi il vous exhorte sans faire d'autres voyages inutiles.


Que Mme de Fallary fût aimable et eût du mérite, le fait était incontestable ; seulement la jeune femme préférait faire jouir de ces qualités plutôt le prince qui l'avait débarrassée de son mari que le mari qui la dédaignait. Le précepte : « Œil pour œil, dent pour dent, » est un des articles les plus observés de l'évangile féminin. Notre héroïne s'y conformait, non par amour des représailles, mais dans le simple but de se donner du bon temps ; elle qui, plus tard, devait être si âpre à la fortune, ne songeait même pas alors à profiter des avantages pécuniaires que pouvait lui procurer sa charge. Prodigue de son influence pour ses amis et ses parents, elle avait aidé ceux-ci à se lancer fructueusement dans la banque du Mississipi, se contentant pour l'heure d'une rente insaisissable de 2.000 l. souscrite en sa faveur le 7 juillet 1721 par messire Jacques Gazan, prêtre du diocèse de Grasse, « à cause de la bonne amitié qu'il lui portait (69) »

Cet acte la dotait d'un tuteur et d'un revenu qui devait être régulièrement payé par le comte de Saint-Amour, mais il est bien probable que le Régent n'était pas étranger à cette faveur. Cette belle insouciance de la jeunesse au point de vue financier n'a pas été commune à toutes les maîtresses des princes. Mme de Fallary la possédait cependant, se plaisant à vivre au jour le jour en pleine bohème aristocratique. Si elle ne faisait pas fortune, elle avait d'agréables compensations.

Une de ses passions qui fut malheureuse, car elle dura jusqu'à sa mort, était celle de la toilette, fort naturelle d'ailleurs chez une jolie femme. Elle sacrifiait à ce penchant par plaisir personnel, car le duc d'Orléans s'occupait peu des vêtements féminins quant à l'esthétique et lorsque, par hasard, une innovation attirait son jugement, il était formulé plutôt à la houzarde qu'à la royale (70).

La faveur de la duchesse lui donnait mille facilités pour satisfaire ses goûts d'élégance, aussi ne se fit-elle jamais faute d'en profiter et de suivre les modes du jour. Dans son coquet appartement, le cabinet de toilette était autant un moulin qu'un atelier de peinture. La poudre, mise à la mode par le jeune et beau duc de Fronsac, voltigeait en nuages légers à travers l'atmosphère, après avoir casqué de blanc ou de blond la tête fine de la jeune femme et saupoudré du haut en bas la coiffeuse ou le coiffeur, ce dernier représenté par Bligny, qui commençait à détrôner ses collègues féminins.

Sur la table, parée de mousselines et de dentelles, s'étalait un assortiment complet de pâtes, de fards, d'eaux pour adoucir les traits trop durs ou renforcer les traits trop affaiblis, de rouge minéral, de vermillon, de bleu de veine, de laits contre les rousseurs, de pommade pour les fossettes intempestives, de cire pour la peau et de mille autres ingrédients qui, manipulés pendant des heures chaque matin, venaient se confondre en un peu heureux mélange sur le visage servant de palette.

En outre, de mignonnes boîtes à mouches faites d'or, d'argent ou d'ivoire, la duchesse tirait quelques-uns de ces petits morceaux de taffetas gommé affectant les formes les plus diverses, qui venaient se coller soit à la passionnée près de l'œil, soit à la discrète sous la lèvre, soit à la baiseuse au coin de la bouche, soit à l'effrontée sous le nez.

Après un long travail de lavage, de peinture et de crépissage devant la psyché, elle pouvait être certaine de tenir une des premières places à la cour, dans ce monde de visages cramoisis (71).

La figure une fois prête, la belle cherchait parmi ses multiples robes celle qui convenait le mieux à son teint et à la couleur du jour, et comme les paniers, fils des vertugadins, commençaient à être à la mode, solides pour les prudes, pliants pour les dames galantes, mixtes pour les femmes du tiers état, son choix ne tardait pas à s'arrêter sur les seconds. Bientôt vêtue de cette cage à volailles qui la faisait ressembler à une boule, la duchesse se regardait avec complaisance dans son miroir, haussait les épaules à l'idée des anathèmes que le Père Bridaine lançait contre les paniers, puis songeant aux surprises de l'existence, murmurait in petto :

Pour cacher les larcins d'amour
Vertugadin fut mis au jour.
Il est propre pour ce mystère ;
Dans un creux et vaste circuit
On ôte la vue au vulgaire
De ce que l'amour y produit
(72).

Satisfaite d'elle-même, prête comme le soldat à la parade, elle partait alors pour le Palais-Royal jouer son triple rôle de sultane favorite, de duchesse d'occasion et de veuve honoraire. Chose curieuse, c'est ce dernier qui lui pesait le plus. Malgré les avanies reçues de son mari, elle l'eût peut-être repris comme garantie de respectabilité si cet incohérent fripon ne s'était obstiné à courir les routes après la fortune, alors qu'il avait une femme jolie et bien en cour. Tant d'autres enviaient son sort ! Qui sait même si le Régent ne lui eût pas témoigné quelque amitié, lui qui répondait au père du chevalier de Sainctot, vieillard dévot s'enquérant de la conduite de son fils à l'armée : « Votre fils ?.... certainement, je l'ai beaucoup vu. C'est le plus agréable et le plus libertin que je connaisse. C'est un homme délicieux ! (73). »






CHAPITRE VI

Le duc de Falary en Suisse. — Gorge d'Entraigues et ses enfants. — Mme de Fallary nommée dame d'honneur. — Choix médiocre. — Une mode nouvelle. — Les amis de la duchesse. — Bon conseil de Préaulx. — Cadeau princier. — Mort de Gorge. — Fatalisme du Régent. — Sa fin subite.


« La Suisse est le pays de l'hospitalité », prétend un dicton probablement helvétique. Le duc de Falary se fiait si peu à cette affirmation, qu'aussitôt libéré par les conseillers de Berne, il s'empressa de quitter une contrée où il avait trouvé avec trop de facilité à se loger. Glorieux, jaloux d'imiter les paladins du moyen âge qui enlevaient les châtelaines en croupe de leurs destriers, il éprouva la satisfaction d'attirer les regards sur son départ, mais ses goûts étaient loin de ceux des Amadis ; il fila avec un jeune religieux qu'il avait débauché. Quelques jours après, ce pauvre diable était trouvé assassiné dans la montagne. Falary maudit la fatalité à laquelle la rumeur publique l'accusa vite d'avoir donné un coup d'épaule, puis, sans être fort troublé par cet incident, continua son voyage, semant sur sa route des escroqueries comme le Petit Poucet semait des cailloux.

En décembre 1722, il arriva à Vienne où sa réputation et sa conduite eussent dû, selon toute prévision, le faire aussitôt cueillir par les représentants de l'ordre public. Loin de subir semblable humiliation, pénible pour un gentilhomme, prévue pour un brigand, il fut reçu en audience par l'empereur qui lui témoigna un si bienveillant accueil qu'il s'installa sans hésiter dans la capitale (74). Charles VI comptait un nouveau sujet, et quel sujet ! Le pauvre vieux Gorge ne s'illusionnait plus guère sur son fils ; mélancolique, presque ruiné, il s'en allait doucement vers la tombe, soutenu encore par l'affection de ses deux autres enfants qui, par bonheur, avaient la tête et le cœur mieux attachés que Falary.

L'aîné, Roise, conseiller au Parlement, jouissait d'une répu tation de droiture et d'honnêteté justement méritée, et, quoique son union avec Jeanne-Françoise Joubert de Goudonville fût restée stérile, il apportait dans la vie sombre de son père le reflet de son paisible bonheur conjugal ; la cadette, Mme d'Ancenis, qui, deux ans plus tard, devait être la duchesse de Béthune-Charost, adoucissait les derniers jours du vieillard de son sourire et de l'exubérante jeunesse de ses enfants.

Quant à Mme de Fallary, elle était toujours prête à dépenser une sollicitude dont Gorge ne paraissait pas jaloux. Sans oser se l'avouer, il lui attribuait une part de responsabilité dans la scandaleuse existence de son fils et sentait des fourmillements d'amour-propre en constatant l'allègre façon avec laquelle la jeune femme supportait l'absence d'un mari et la manière pratique dont elle s'en consolait. Malgré tout, elle l'intéressait. Ses faits et gestes lui étaient rapportés fidèlement, tantôt le faisant soupirer, tantôt le faisant sourire, mais comme l'orgueil de sa race neuve bouillonnait en lui, il se bouchait les oreilles aux calomnies et relevait le front aux succès.

C'est donc une bouffée de vanité qu'il respira le jour où il apprit que sa belle-fille allait acquérir un poste officiel, non pas encore à la cour mais à côté de la cour. En septembre 1721, les pourparlers relatifs au mariage du roi avec l'Infante d'Espagne étant terminés, on dépêcha à Bayonne la maréchale de Boufflers chargée de ramener à Paris la petite fiancée. La maison de cette princesse fut composée avant son arrivée, donnant lieu aux intrigues, aux sollicitations, aux démarches habituelles ; le duc d'Orléans les subît comme toujours avec philosophie et bonté, de sorte que Mme de Fallary fut nommée dame d'honneur en même temps que Mme de Mazarin (75). Si, par une aimable attention, on avait désiré environner la future reine de grâce ou de beauté, le choix était assez heureux ; si on avait voulu attirer son esprit sur la piété et la vertu, il l'était beaucoup moins.

Par bonheur, son jeune âge lui interdisait de profondes réflexions ou d'exactes comparaisons qui n'eussent pas toutes été en faveur de sa nouvelle patrie et la composition de son entourage devait moins retenir sa pensée que l'extraordinaire poupée de 20,000 livres dont Louis XV lui fit présent à son entrée dans Paris. Une poupée de 20,000 livres !

À la cour, on pouvait en acheter beaucoup pour ce prix-là.

La réception de l'Infante, en mars 1722, procura à Mme de Fallary le plaisir de prendre part à des fêtes répétées et l'occasion d'inaugurer de nouvelles modes. « Les femmes, écrit Menin, prirent des mantilles qui étaient comme une écharpe passant des deux côtés par devant et nouées par derrière avec de gros glands d'or et d'argent. Elles mirent aussi sur leurs manches de gros nœuds de rubans fort riches. » Cette création, comme toute toilette féminine, était plus agréable à exhiber qu'à payer ; c'est la réflexion que se fit la duchesse un jour où ses couturières se permettaient de se rappeler à son souvenir. Le Régent étant à ce moment d'abord rare et d'amabilité distraite, elle s'adressa à ses amis dont elle savait entretenir la sympathie constante et leur demanda conseil, songeant, en somme, « qu'il faut savoir jouir de la perte de sa réputation. »

Lévis, auquel elle alla d'abord, l'engagea à mépriser ces interpellations du commun, Tessé était absent, les Tencin trop occupés par eux-mêmes ; il y avait encore un nouveau venu dans ses bonnes grâces, Ricome de la Figarède, officier de mérite, élégant, courageux et bouillant comme un méridional qu'il était. Après avoir eu le grade d'enseigne de la colonelle du régiment d'Aunis en 1709, il avait passé dans la première compagnie de mousquetaires du roi (76), faisant son métier en soldat et non pas à la façon du couplet :

Jadis vous fûtes pleins d'honneur,
Mousquetaires, gens intrépides,
De votre seul nom la terreur
Rendait nos ennemis timides,
Mais vous n'êtes plus à présent
Que les pousse-c... du Régent
(77).

Il dit à la duchesse : « Comment ose-t-on vous importuner de la sorte ? Envoyez promener toutes ces péronnelles, » puis remonta à cheval en frisant sa moustache.

Restait Préaulx, l'habile Préaulx, qui lui tint à peu près ce langage :

« Permettez-moi, ma chère duchesse, de vous apprendre un peu d'agriculture. En cet art, il y a deux choses essentielles qu'il faut connaître. La première à rechercher est le foin que l'on doit mettre dans ses bottes, la seconde à éviter, c'est la paille sur laquelle on peut mourir. Pour l'instant, vous ne vous souciez d'aucune ou plutôt vous fuyez celle que vous devriez atteindre. Croyez-moi, vous méritez un meilleur sort que celui qui vous attend plus tard. Sans fortune, vous êtes obligée d'aider votre mari qui vous a ruinée, de tenir un rang brillant dans un monde luxueux, de sacrifier aux exigences d'une beauté qu'on vous envie, et, dans la folie de votre jeunesse, vous ne pensez pas que vous serez écrasée ! Voyez si les autres agissent comme vous. Mme d'Argenton a une pension de 25,000 livres, Mme d'Averne en a une de 22,000 et une maison rue de Richelieu, Mme de Parabère a les terres de Damville et de Blanc en plus d'une maison à Asnières (78), et vous.... vous n'avez rien ! Si, vous avez l'amitié du Régent qui remplace tout cela. Au lieu de monter dans la barque aux voiles roses qui part pour le pays des rêves et de l'insouciance, prenez un carrosse et allez au Palais-Royal ». L'avis était plus pratique que moral.

Préaulx connaissait la duchesse mieux que quiconque ; il n'ignorait pas non plus le Régent dont la libéralité lui était familière, puisque son propre père Girardin de Vauvray, le conseiller de la marine, avait loué au duc d'Orléans, en 1721, les principautés de La Roche-sur-Yon et du Luc pour la somme annuelle de 2,000 livres, avec des facultés de paiement bénévolement étendues (79).

Mme de Fallary suivit l'exhortation de Préaulx. Elle était bonne. Le 31 janvier 1723, un arrêt du conseil d'État du roi lui octroyait les droits de méage de la ville de Nantes (80), représentant environ un capital de 150,000 francs. Le cadeau était joli de la part du donateur ; il n'était pas exagéré pour la solliciteuse, qui aurait pu avoir un plus gros appétit avec la quasi-certitude de le voir satisfait. L'amitié de Law, combinée avec celle du Régent, lui avait donné précédemment toute facilité pour acquérir des millions, comme elle le raconta plus tard à Menin en faisant son mea culpa, et si elle-même n'en profita pas, ses parents usèrent de son entremise.

Le duc de Béthune, pour sa seule part, était obligé, en février 1723, de remettre dans la caisse de la Compagnie des Indes 582,000 livres de billets qu'il possédait (81). Il était le plus gros porteur de titres à ce moment.

La consolation financière donnée à sa bru fut la dernière impression douce que ressentit le vieux Gorge d'Entraigues. Il s'éteignit le 21 mars 1723, à l'âge de quatre-vingts ans (82). Sa fin fut accueillie avec tristesse par Roise et Mme d'Ancenis, avec placidité par Falary, avec décence par la duchesse. Celle-ci mit un frein provisoire à son char et suspendit ses visites officielles, continuant à voir en tête-à-tête le duc d'Orléans, dont l'aspect parfois l'effrayait. Les contemporains nous disent qu'il avait alors le cou court, les yeux chargés, le visage bouffi, que souvent, le matin, on le trouvait la tête basse, d'un rouge pourpre, avec un air hébété, passant des heures dans un engourdissement qui le rendait incapable de toute application.

Aux affectueuses remontrances de ses amis et de ses médecins, il répondait qu'une vaine crainte ne devait pas l'arrêter dans ses travaux et ses plaisirs, qu'il avait l'intention d'accepter prochainement les soins de la faculté et qu'en tout cas il ne craignait nullement une mort subite : « Au contraire, ajoutait-il, si je devais me décider, c'est celle-là que je choisirais. » Fataliste, peut-être la considérait-il comme le terme nécessaire ; blasé et fatigué, peut-être l'envisageait-il comme une délivrance.

« Son médecin Chirac, dit Lemontey, ayant voulu l'alarmer sur les signes précurseurs d'une apoplexie, il en accepta la menace avec joie, et, loin d'en détourner le coup, il s'attacha dès lors à le provoquer par un régime meurtrier.
Ennuyé d'une existence dont il avait épuisé l'intérêt, et convaincu par ses études particulières que les angoisses d'une hydropisie de poitrine en devaient être le terme naturel, ce prince vit dans une mort foudroyante la dernière faveur de la nature.... On attendit tranquillement la catastrophe.
Lorsqu'il expira, on put dire que jamais mort subite n'avait été moins prévue, et que jamais mort naturelle ne fut si voisine du suicide. »


Le 2 décembre 1723, se trouvant à Versailles, Philippe d'Orléans descendit à midi chez sa femme prendre du chocolat, suivant son habitude, car il réservait pour le souper le peu d'appétit qui lui restait. Quoiqu'il se sentît la tête chargée et l'estomac pesant, il alla rejoindre vers trois heures MM. de La Vrillière et de Maurepas, ensuite le sieur Couturier, avec lesquels il avait quelques affaires pressantes à expédier ; puis le travail terminé, vers six heures et demie, il prépara son portefeuille pour monter chez le roi.

Au bout d'un instant, il demanda à son valet de chambre Renaud, qui ne le quittait guère, s'il y avait quelques personnes dans le grand cabinet. « Oui, Monseigneur, répondit le serviteur, il y a là Mme la duchesse de Fallary, Mme la marquise de Prie et M. le Grand Prieur. »

Il fit renvoyer la marquise, prit à part son fils auquel il adressa une semonce pour quelque récente fredaine, et, se sentant sombre et mélancolique, songea que Mme de Fallary, avec son esprit jovial, dissiperait momentanément les nuages noirs qui obscurcissaient son ciel.

La jeune femme avait le talent, tantôt d'égayer son esprit las, tantôt d'intéresser son intelligence éprise de surnaturel en lui racontant les contes de Perrault ou les Évangiles des Quenouilles :
« Entrez donc, duchesse, lui dit-il avec un sourire pénible, je suis fort aise de vous voir ; vous m'amuserez de vos légendes, j'ai grand mal à la tête. »
Ils s'assirent, et soudain le duc demanda :
« Croyez-vous vraiment qu'il y ait un Dieu et un enfer après cette vie ?
— Oui, mon prince, je le crois, répondit-elle.
— En ce cas, vous êtes bien malheureuse de continuer la vie que vous menez.
— Que voulez-vous, Monseigneur, j'espère que Dieu me fera miséricorde
. »
— Le Régent leva au ciel des yeux interrogateurs, puis, se sentant mal à l'aise, prit un peu de cinnamome, après quoi il saisit d'une main distraite l'Histoire générale de la danse sacrée et profane qui se trouvait sur sa table et, s'enfonçant dans son fauteuil, dit :
« Approchez-vous...., je vous écoute, duchesse. »

La dame allait commencer, mais à ce moment le Régent inclina la tête. Une attaque d'apoplexie venait de le foudroyer (83).

Cette fin subite fut diversement appréciée. Les uns, suivant la mode du temps, ne manquèrent pas de l'attribuer au poison, les autres virent la main de Dieu là où la déplorable hygiène suivie par Philippe était seule en cause. La province, comme la capitale, ne s'en émut pas beaucoup, au contraire. « Ma femme en a gémi, écrivit M. de Saint Fonds au président Dugas ; mais c'est parce qu'elle n'est pas arrivée dix ans plus tôt, et, entre nous, je crois qu'elle n'a pas grand tort, quoique je lui en fasse la guerre et que je lui dise qu'elle n'est pas chrétienne de conserver de la rancune contre ses ennemis, mais malheureusement elle est plus forte que moi parce qu'elle est soutenue par le plus grand nombre (84). »

Les libellistes et les chansonniers donnèrent libre cours à leur verve rancunière et laissèrent galoper leurs plumes grinçantes d'allusions.

Il est mort de trop de santé,
Ou bien de maladie.
Quelques-uns m'ont représenté
Que par sa perfidie
La mort l'a pris en trahison,
La faridondaine, la faridondon,
D'autres disent que c'est aussi,
Biribi,
À la façon de barbari,
Mon ami
(85).

Beaucoup de ces gens qui se félicitaient de la disparition du prince allaient bientôt le regretter.

Mme de Fallary ne fut pas oubliée dans l'avalanche des épigrammes nécrologiques. Tandis que les Hollandais écrivaient : « Le Régent est mort assisté de son confesseur ordinaire, » les Parisiens chantaient le Régent aux enfers sur un air en vogue :

Falaris, votre dernière,
Viendra dans notre couvent.
Qu'est-ce qu'elle y pourra faire,
Si vous êtes sans argent,
De son mirliton
? (86).

La pauvre duchesse était plus à plaindre qu'à décrier. Le dénouement de son roman fut terrible. Effrayée, comme on peut le deviner, en voyant le prince inanimé, elle appela vainement au secours, puis s'élançant dans la cour et la galerie Basse, finit par trouver des valets qui accoururent, suivis un instant après par les familiers. Elle assista pendant quelques minutes aux soins inutiles prodigués au Régent, et lorsqu'elle se rendit compte que tout était fini, elle perdit la tète devant ce coup brutal et s'enfuit folle de terreur, mouvement naturel chez une jeune femme qui s'aperçoit soudain que dans son dernier mot ou son dernier baiser, elle a donné l'extrême-onction.






CHAPITRE VII

Les aventures du duc de Falary. — L'obole du comte de Flemming. — Séjour en Hollande. — En prison à Liège. — Confirmation du titre de duc. — Falary colonel. — Présentation au grand-duc de Mecklembourg-Schwerin. — Voyage à Rome. — Nuremberg et Leipsick. — Entre les deux frères. — Départ pour la Russie. — Mort de Falary.


Enfermée chez elle, hantée par la vision macabre, Mme de Fallary songeait qu'elle ne reverrait plus jamais le duc d'Orléans et un soupir de regret s'échappait de ses lèvres. Si, au même moment, on eût pu lui prédire qu'elle ne reverrait plus jamais son mari, c'est par un soupir de soulagement qu'elle eût accueilli la nouvelle. Elle ne devait, en effet, jamais le revoir. En avril 1723, nous retrouvons Falary à Dresde, le séjour à Vienne ne lui ayant pas été favorable, mais la Saxe le goûta peu, car, un mois après, il écrivait de Berlin au maréchal comte de Flemming :

Je pars pour aller en Flandre et suis obligé de repasser par Dresde, où je ne séjournerai qu'une nuit. M. le comte Castelli me mande qu'il y aurait du danger pour moi de passer par cette ville à cause de l'aventure qui m'y est arrivée ; cependant, comme ce n'est point matière qui regarde ni le roi ni l'Etat, j'espère que Votre Excellence me voudra bien obtenir la permission.

Ce fripon dévergondé usait dans ses lettres de phrases un peu équivoques, celles du maréchal de Flemming étaient plus nettes. Il envoya au quémandeur ce billet :

Pour répondre à l'honneur de la vôtre par laquelle vous souhaitez d'obtenir la permission de repasser par Dresde pour aller en Flandre, j'aurai celui de vous dire que ce n'est pas votre chemin de passer par les Etats de Saxe, encore moins par Dresde. De sorte que, n'y ayant aucune nécessité d'y repasser, je ne saurais vous mieux conseiller que de n'en rien faire, car nos Dycarteras et nos prêtres n'entendent point raillerie sur votre aventure, et je ne répondrais pas de ce qui pourrait vous arriver. Par là, Monsieur, vous jugerez vous-même que quoique, comme vous dites, ce ne soit point une matière qui regarde ni le roi ni l'Élat, c'est une matière qui vous regarde et qui pourrait tourner à votre préjudice, de sorte que vous ferez mieux de ne pas vous y exposer.

Falary, dont la sagesse ne s'éveillait qu'avec la crainte, insista.... pour demander cinquante écus nécessaires à son voyage, et le maréchal les lui fit compter, espérant, comme tant d'autres, remettre un viatique qui n'était la plupart du temps qu'un aller et retour (87). L'aventurier gagna les Pays-Bas, où il passa une grande partie de l'année 1724. Toujours peu difficile sur les moyens à employer pour réussir, il exhiba partout la lettre de Flemming, comme témoignage de recommandation, semblant prendre ses nouveaux hôtes pour bien bêtes ou bien crédules. En Hollande, il continua à vivre comme à Dresde, c'est-à-dire « à cette mode italienne que les Saxons n'avaient pas voulu permettre, » mais les Hollandais n'entendaient pas mieux ses penchants particuliers.

Le sieur de Chambéry, chargé des affaires du roi de France à la Haye, prévint la famille du duc que les juges de la cour de Hollande étaient prêts à le juger pour « son crime abominable. » La peine était radicale. On embarquait la nuit le condamné sur une chaloupe et, à un quart de lieue du rivage, on le jetait à la mer avec son procès, après avoir pris la bonne précaution de lui attacher un boulet à chaque pied. Le duc de Luxembourg et le duc de Montmorency, dont le régiment était alors à la frontière des Pays-Bas, confirmèrent cet avertissement. Il était malheureusement impossible de faire enlever le coupable pour le transporter en France ; il avait obtenu des lettres de bourgeoisie à Leyde, quoiqu'y ayant été enfermé pour dettes et, pour l'instant, il se tenait caché à Amsterdam.

Après pourparlers avec le président de la cour, Chambéry convint qu'on se contenterait, comme pièces nécessaires à l'incarcération, d'un certificat de mauvaise conduite contraire aux bonnes mœurs et d'une procuration de la famille. Celle-ci fut bientôt envoyée avec les signatures de Roise, de la duchesse de Béthune, du duc de Luxembourg, du prince de Tingry et de quelques autres parents, mais Falary, qui avait eu vent de l'affaire et surtout du supplice réservé à ses semblables, ne se souciait pas plus des boulets à recevoir sur un champ de bataille que de ceux qu'on pouvait lui attacher aux pieds.

Il décampa et se réfugia à Liège où, grâce à de nouveaux emprunts contractés sous le noim de duc de Charenton (88), il obtint vite un abri.... dans la prison de la ville (89). Avec sa duplicité, ses stratagèmes habituels, sa tartuferie, sa chance et la protection occulte qui l'accompagnait partout, il trouvait moyen de sortir de prison presque aussi facilement qu'il y entrait.

Les Liégeois lui donnèrent la clef des champs ou plutôt le chassèrent, ce dont il profita pour se diriger vers Rome avec son bagage d'escroqueries, de vols, de faux, de scandales et d'abjections.

Comment put-il, en approchant de la ville éternelle, transformer cette collection de tares en vertus ? Mystère. Toujours est-il que le pape Benoît XIII le reçut avec bienveillance et lui confirma son titre de duc de Falary le 26 septembre 1725 (90).

Il fit plus. Quatre mois plus tard, il envoya au roi d'Espagne une lettre recommandant vivement Falary pour une haute situation militaire, au roi d'Espagne qui avait chassé le flibustier de son royaume et avait failli déjà lui offrir une potence comme situation élevée. La réponse fut ce qu'elle devait être : un refus. Le duc, habitué à ces fins de non-recevoir, reprit la route de Vienne, où il arriva presque nu.

Un Français, le traiteur La Chapelle, l'habilla, le logea, le nourrit, bontés auxquelles il répondit en filant à la sourdine, sans oublier d'emporter 2,000 livres de son trop crédule compatriote (91).

Décadence et grandeur ! Le mendiant, l'escroc de 1726 était, en 1727, colonel d'un régiment de dragons polonais.

Falary colonel !

L'électeur de Saxe, Auguste II, avait d'abord énergiquement refusé de signer le brevet, puis à la suite de recommandations — toujours — du duc de Richelieu, du marquis de Perlas Rialp, ministre de l'empereur, même de l'ambassadeur de France, il avait laissé faire à contre-cœur, déchargeant sa responsabilité sur le grand général seigneur de Pologne. Cette nomination était d'autant plus bizarre que le régiment de dragons possédait déjà un colonel connaissant parfaitement son métier ; Falary se trouva donc colonel en survivance, mieux vaudrait dire en prévention, et, devenu chef de cette troupe, fut obligé de la suivre quand elle alla en Courlande en 1728.

À son retour, il fut présenté par l'évêque et l'official au grand-duc de Mecklembourg-Schwerin, Charles-Léopold, qui, sans cesse entouré de fripons et de chevaliers d'industrie, devait à merveille l'apprécier. L'aventurier vit immédiatement le parti qu'il pouvait tirer de cette présentation ; il éblouit le prince de ses illustres relations, l'enivra de projets fantasmagoriques, lui promit le triomphe de ses droits, lui raconta ses succès militaires en Courlande et, après avoir ainsi étalé ses trésors, finit par lui demander l'aumône sous forme d'entrée à son service.

Le grand-duc eut la fâcheuse idée d'acquiescer. Le 27 novembre 1729, Falary, qui n'était pas à une promesse près, prêta serment à Dantzig, jurant une discrétion fidèle à Charles-Léopold, lequel considérait le silence comme une des principales vertus.

Le nouveau serviteur commença immédiatement ses fonctions en demandant de l'argent à son maître. Celui-ci, dépourvu du nerf de la guerre, accorda cependant tout ce qu'il put et ajouta à ses dons deux régiments au service de la Russie ; par malheur ils furent vite licenciés, ce dont Falary se consola en constatant qu'ils ne lui avaient pas rapporté un sou.

Désappointé de ses tentatives militaires, le colonel malheureux se rejeta vers la politique. Il persuada au prince protestant que la réintégration dans ses prérogatives était subordonnée à sa conversion au catholicisnne et que lui, Falary, se chargeait personnellennent de toutes les négociations avec Rome. Sur l'assentinient du grand-duc, il entra en relations avec le cardinal Londodari, le pria de soumettre au pape les différents points d'une convention qui fut bientôt acceptée, et voilà l'aigrefin devenu ambassadeur !

Accompagné du secrétaire du grand-duc, le nommé Waltschmidt, chargé des dépenses et confidentiellement de le surveiller, de deux hommes à cheval et d'un courrier, le bizarre diplomate partit de Schwerin le 4 décembre 1730.

Sa noble entreprise n'allait pas tarder à fondre comme neige au soleil. Au bout de quelques jours, le brave Waltschmidt crut remarquer que Falary n'avait entrepris ce voyage que pour s'amuser; à Nuremberg où ils passèrent huit jours, il en était certain, et à Rome où ils arrivèrent trois mois après, ils n'avaient plus un mark, ni un morceau de pain à se mettre sous la dent.

Les quatre hommes, reconnaissant alors à quel triste sire ils avaient affaire, décidèrent d'un commun accord de retourner à pied à Schwerin, qu'ils mirent quatre mois à atteindre après mille privations et mille souffrances.

Ainsi abandonné, le duc se plaignit, écrivit lettres sur lettres, demanda de l'argent, menaça et, voyant qu'aucune réponse ne lui était faite, resta à Rome où il oublia, bien entendu, de s'occuper des affaires de Charles-Léopold ; mais comme celui-ci, furieux, lui avait retiré ses pouvoirs, il reprit, le 5 avril, le chemin du Mecklembourg. Dans son voyage d'aller, Nuremberg lui ayant plu, il y séjourna plusieurs mois, menant une vie si crapuleuse que toute la population fut scandalisée et qu'il fut jeté en prison. L'aventure n'était pas inédite ; pourtant il la trouva moins simple que les autres, car le conseil le garda six mois sous les verrous dans la tour de la ville.

Sur ces entrefaites, la duchesse de Béthune mourut le 24 août 1737, sans laisser à son frère un héritage qu'elle ne lui devait pas, puisqu'elle avait des enfants ; elle lui transmit seulement quelques souvenirs qui furent fort utiles au prisonnier.

Aussitôt le décès connu, il écrivit au grand-duc, lui annonçant qu'il entrait en possession de 30,000 livres de rente, de diamants, de meubles, d'argenterie (chimères, bien entendu !), qu'on venait de le libérer et qu'il lui offrait de nouveau ses services par amour ! Mais Charles-Léopold en avait assez. Outré contre ce bandit, il était en train de rédiger un mémoire relatant la vie honteuse de son ancien ambassadeur et s'abstint de répondre. L'autre ne désespéra pas ; pour patienter, il voyagea, arriva à Leipsick avec deux domestiques et s'y installa au commencement de 1738, à l'hôtel du Poisson d'Or, situé sur le Fleischergasse (92).

Fidèle à sa ligne d'inconduite, il se mil à brocanter des couvertures brodées, des dentelles de Brabant, des bijoux, contracta dettes sur dettes et se trouva rapidement sur le pavé. Un malheureux vulgaire se fût décidé à travailler ou à disparaître, le duc ne se troubla pas ; il réfléchit qu'un personnage auquel il s'était déjà adressé avec succès devait le tirer d'embarras. Cet homme était le comte de Brühl.

Fin, habile, jouisseur, fastueux, prodigue, ce petit gentilhomme de Thuringe, reçu sans fortune à la cour d'Auguste le Fort, était alors ministre des affaires extérieures et de l'électorat de Saxe, général, président de la chambre des finances, staroste, comte du Saint-Empire, etc., maître absolu de l'esprit fainéant de son maître Auguste III et, par suite, du royaume. Il possédait des richesses énormes, des propriétés superbes et un palais à Dresde qui, par le luxe de son ameublement et la beauté de ses collections artistiques, éclipsait les résidences royales. C'était un Falary, mais un Falary arrivé.

Notre filou ne douta pas que son sort intéresserait le ministre. Pour plus de sûreté il écrivit à la comtesse de Brühl :

Leipsick, ce 19 juillet 1738.

Madame, Tout le monde se loue de la politesse de S. Exe. M. le comte de Brühl et de la grâce avec laquelle il exerce le ministère pour la gloire et l'utilité du roi et avec l'approbation générale ; il faut, Madame, que je sois bien infortuné de ne pouvoir me joindre au public pour chanter ses louanges. Il est prévenu contre moi par de mauvais offices qu'on m'a rendus contre la vérité.

J'ai eu l'honneur de lui écrire, il ne m'a pas fait celui de me répondre, ni de faire faire au roi une démarche convenable à sa gloire, à sa générosité, et qui est même de l'intérêt de Sa Majesté, de laquelle je suis connu très particulièrement depuis bien des années et qui m'a fait en France toutes sortes d'honneurs et de faveurs.

Je me trouve embarrassé en une ville de ses Etats ; j'ai supplié S. Exe. M. le comte de Brûhl de me faire donner cinquante louis d'ôr pour en sortir ; il ne parait pas de la gloire du roi d'y laisser un homme de mon rang tomber dans la misère, mais, au contraire, l'inlérét de Sa Majesté paraît devoir l'obliger à me donner un aussi petit secours de sortir des Etats de sa domination.

J'espère, Madame, cette grâce des sentiments de dignité que la naissance a donnés à Votre Excellence et j'ai toute confiance qu'elle voudra bien m'accorder sa puissante protection et m'ètre favorable auprès de S. Exe. M. le comte de Brûhl, etc.
Le duc de Falari.


La flèche ne manqua pas son but. Une semaine après, le ministre répondait :

Moritzburg, ce 28 juillet 1738.

Monsieur,

C'est avec beaucoup de peine que j'ai enfin eu le bonheur de vous obtenir de Sa Majesté une gratification de cinquante louis d'or pour que vous puissiez payer vos dettes et vous retirer hors de Saxe, où il vous plaira (93).
Le comte de Brühl.


Les caisses s'ouvraient comme par enchantement devant ce nouvel Ali-Baba. S'il eût vécu vingt années de plus, il eût ruiné empires et royaumes.

Les créanciers ne montrèrent pas une condescendance aussi large que le premier ministre ; lorsqu'ils apprirent que leur débiteur allait les quitter, ils s'interposèrent, et Falary fut condamné le 9 septembre à six mois de prison.

Pour ne pas perdre son temps dans son cachot, il adressa au comte de Brühl plusieurs lettres, mendiant la protection de la comtesse, accusant le notaire Rother, avocat de ses créanciers, de lui avoir subtilisé une lettre de change, protestant contre les arrêts de la régence de Dresde qui s'opposait à son élargissement, revendiquant les égards dus à son rang d'homme de qualité, et assurant que le comte Oestermann le réclamait instamment à la cour de Russie de la part de sa protectrice, l'impératrice Anne (94).

Déjà étonné de voir que cette souveraine recherchait les services d'un tel individu, Brühl ne le fut pas moins quand, à la suite d'influences étrangères, l'Électeur de Saxe le pria de rendre la liberté au prisonnier trois mois après son incarcération. Il n'y avait qu'à s'incliner.

Dans l'intervalle, le grand-duc Charles-Léopold avait été remplacé en Mecklembourg par son frère Christian-Louis et s'était retiré dans la ville suédoise de Wismar, où il menait une vie peu exemplaire.

Falary lui offrit de nouveau ses services, mais le prince, qui en connaissait désormais la valeur, les refusa net.
NOLITE MITTERE MARGARITAS ANTE PORCOS, se dit philosophiquement le flibustier, et le 18 février 1739, il écrivit de Danneberg à Christian-Louis pour lui proposer son utile collaboration, en lui livrant les plans de son frère, moyennant le prix de cent florins. C'était cher ! Judas ne prenait que trente deniers. Le grand-duc dédaigna cette ouverture.

Que fit Falary ? Avec un aplomb admirable ou une inconscience fantastique, un mois après, il était à Wismar aux pieds de Charles-Léopold qu'il n'avait pu trahir malgré son désir, lui demandait pardon de sa conduite passée et finissait par en obtenir une petite pension ! Sa rentrée en grâce fut encore plus complète qu'il n'avait osé l'espérer. Le grand-duc était alors en pourparlers avec la Russie pour marier sa fille Anne avec le prince de Brunswick et obtenir l'appui de l'impératrice, tandis que lui- même avait jeté son dévolu sur une fille du duc de Courlande.

Il lui fallait comme intermédiaire un homme habile, honnête, sûr et considéré ; c'est Falary qu'il désigna ! Charles-Léopold était vraiment un incurable ingénu.

Le 9 mai 1739, l'ambassadeur d'occasion se mit en route chargé de lettres, de commissions et de bijoux — quelle imprudence ! — pour la princesse Anne. En Russie et en Courlande, on fut révolté de l'envoi de ce forban. Il était réservé à une femme de prendre la mesure de sécurité publique que les hommes n'avaient pu ou n'avaient osé tenter. À la nouvelle du départ de Falary, l'impératrice donna des ordres précis, de sorte qu'en débarquant à Riga celui-ci trouva une escorte de douze grenadiers sous les ordres d'un major, qui l'attendait.

Habitué à faire ses entrées dans les villes tantôt sur une rossinante, tantôt pieds nus, tantôt, comme à Leipsick, avec une suite hétéroclite composée de deux vieux cavaliers, d'un capitaine misérable et d'un valet de chambre portant une cocarde verte, il regarda comme extraordinaire ce déploiement de soldats, mais quand on lui eut dit que c'était pour lui faire honneur, il ne s'étonna plus de l'attention prodiguée à un personnnage tel que lui. Fier de son importance à la tête de sa troupe armée, il arriva près de Dorpt où se croisent les chemins de Moscou et de Saint-Pétersbourg, et s'aperçut soudain qu'on lui faisait prendre la route qu'il voulait éviter.

Il commanda, menaça, mais aux premiers mots, le major lui exhiba un ordre impérial devant lequel il fallut bien céder. Pendant ce temps, le grand-duc Charles-Léopold, instruit par la voix publique de l'esclandre qu'occasionnait l'envoi de son représentant, s'empressa d'adresser des excuses à l'impératrice, qui lui répondit le 12 août 1739 : « À propos du scandaleux Falary, j'ai fait prendre des mesures qui lui ôteront toute possibilité de faire du mal dorénavant. »

Lâchant décidément son infâme serviteur, le prince non seulement approuva l'impératrice, mais lui recommanda de faire un exemple. Les deux hommes étaient quittes. Le messager déchu fut conduit à Saint-Alexandre Newski où, pendant six semaines, on lui fit subir des interrogatoires à la suite desquels les lettres et les pierres précieuses dont il était porteur lui furent enlevées pour être remises à la princesse Anne.

Quoiqu'il n'eût plus rien à voir à la chose, ni les unes ni les autres n'arrivèrent jamais à destination. Le valet de chambre du grand-duc de Mecklembourg avec lequel il était venu fut renvoyé par mer et lui mené à Moscou, où on l'enferma à la stabode allemande, dans une chambre gardée sans cesse par des officiers. Au bout de quelques jours, il réclama du millet, désirant, disait-il, le faire sécher sur sa fenêtre puis le manger, ce qui ne parut pas extraordinaire chez un homme qui avait les goûts les plus divers.

On lui donna le grain, au moyen duquel il attira les pigeons du voisinage, en captura un certain nombre et les relâcha ensuite après leur avoir attaché aux pattes et aux ailes des billets annonçant que le grand-duc de Mecklembourg était détenu à Moscou. Cette nouvelle absolument fausse fit du bruit dans le public et parvint jusqu'à la cour.

L'impératrice Anne avait une patience limitée. Elle condamna au knout les gardiens de Falary coupables de négligence, et le fit jeter dans un cachot où, le 10 septembre 1740, probablement à son corps défendant, il rendit son âme à qui de droit (95).

Cette fin mystérieuse intrigua. À Pétersbourg, les gens du peuple crurent fermement que c'était le grand-duc de Mecklembourg qui venait de mourir sous un faux nom, dotant ainsi la Russie d'un nouveau masque de fer (96). À Paris, les parents de Falary ne surent que penser d'un homme qui les avait tant de fois trompés et au sujet duquel il fallait s'attendre à tout, même à une bonne nouvelle. Cinq mois après son décès, ils n'étaient pas encore fixés, et le duc de Béthune réclamait en leur nom une confirmation ou un acte authentique que notre ambassadeur en Russie, le marquis de La Chétardie (97), finit par obtenir au mois de mai 1741.

Alors ils respirèrent. Le duc de Falary disparut de façon misérable, comme il avait vécu, sans avoir la satisfaction de reposer sous une pierre ornée de ses armes : De gueules, au chevron d'or, accompagné de trois tours d'argent ; armes parlantes par les tours où il fut tant de fois incarcéré et l'argent qui fut son éternel besoin.

À son nom qu'il eût pu laisser honorable, un pape avait cru bon d'ajouter un titre ; l'histoire en accolera un autre certainement moins brillant.






CHAPITRE VIII

Les logements de la duchesse. — Ses rapports avec ses beaux-frères. — Amour de la chicane. — M Mathieu Marais. — Succession du duc. — La société de Mme de Fallary. — Richelieu et Mme de Tencin. — Girardin de Vauvray. — Son mariage. — Anecdote sur sa femme. — Le marquis de Souvré. — Mmes d'Alluys et de La Fontaine-Martel.


« À la mort du duc d'Orléans, écrit Buvat, on trouva parmi les papiers de ce grand prince un état de distribution du produit de joyeux avènement qui devait s'établir par tout le royaume, comme une taxe qui devait se payer par tous les sujets du roi ; suivant lequel état de distribution, le produit en était destiné aux dames de Falari, de Sabran, Houëlle et Fargy, au marquis de La Fare, au marquis de Simiane et à quelques autres courtisans de ce prince. »

Si cette nouvelle, non contrôlée, fut répandue au mois de décembre 1723, elle dut raviver les regrets de la duchesse de Fallary et lui faire l'effet du vinaigre versé sur une plaie. Les dernières amies du Régent s'étaient dispersées de tous côtés, telle une bande d'hirondelles apeurées ; les unes, comme Mme de Sabran, n'emportant que de la lassitude et de l'ennui de sa vie passée ; les autres, comme Mme de Fallary, ne gardant qu'un souvenir agréable et quelques rentes ; les autres enfin, comme Mlle Houëlle, héritant, au dire de Maurepas, d'une maternité imprévue dont l'auteur était assez vague.

Il semble que, pendant les années qui suivirent la mort de Philippe d'Orléans, la duchesse mena une vie retirée et un peu désemparée ; son nom disparait des fêtes, quoique ce fût son amie Mme de Prie qui régnât sous le nom de M. le Duc, et, d'un autre côté, une agitation inaccoutumée la fait changer de logements sans raison apparente.

Elle habite d'abord le petit hôtel Montpeyroux rue du Pot de Fer, passe en 1726 rue Mézières près le noviciat des Jésuites, va de là, l'année suivante, loger rue Cassette, ensuite rue des Saints-Pères près la rue de Grenelle, puis rue Saint-Guillaume (98), enfin semble soumise à une aflection locomotrice.... ou à une autre dont elle suit les déplacements divers.

Ses affaires financières commençaient à l'intéresser, c'est-à-dire à lui donner des soucis ; aussi appréciait-elle de plus en plus l'aide que lui apportait son ami Préaulx, lequel avait repris son nom familial de Girardin de Vauvray. L'importance de celui-ci s'augmentait du prestige de sa nouvelle charge de maître des requêtes, qu'il avait obtenue le 10 mars 1724, six mois avant la mort de son père.

Grâce à ses recommandations, à ses rappels à la raison, il avait pu maintenir dans une bonne direction la barque de la jeune femme dont lui était le gouvernail. Aux mauvais jours, Mme de Fallary savait où s'adresser. Pendant le gouvernement malheureux du duc de Bourbon, son ami Le Blanc tomba en disgrâce, mais son amie Mme de Prie exerça le pouvoir d'une main autoritaire ; trois ans plus tard. Mme de Prie disparut avec le duc de Bourbon, mais Le Blanc recouvra sa faveur. Ne s'attachant pas au sens strict des mots, Vauvray pensait, pour la duchesse, qu'entre deux influences la vertu doit se tenir au milieu.

Les rapports de Mme de Fallary avec ses beaux-frères n'étaient pas toujours empreints de tendresse, de sa part au moins.

Le pauvre Roise, avec son titre de conseiller au Parlement, était dans les différends de famille, souvent l'arbitre, plus souvent le tampon. Malgré la délicatesse de cette position, malgré sa santé chancelante, il se prodiguait sans cesse, alliant sans heurts l'affection du parent à l'impartialité du magistrat. Il est juste de reconnaître que la tâche était lourde. Le caractère de la duchesse n'avait plus la souplesse et l'insouciance de la vingtième année; elle dépensait une bonne partie de ses journées en entrevues d'affaires avec ses beaux-frères et, dans les moments de repos, c'étaient les lettres qui pleuvaient.

La chicane qui couvait en elle commençait à déborder. Les liasses de ses dossiers en font foi. Un jour elle est d'accord avec ses proches, le lendemain elle ne l'est plus ; un jour elle accepte un acompte sur sa pension, le lendemain elle refuse au moment de signer la quittance. Inquiète, remuante, elle quémande des conseils de tous les côtés sauf du bon, et Roise se permet de le lui dire respectueusement, en donnant d'ordinaire raison au duc de Béthune, dont les prétentions restent sages et modérées. Ses conseillers n'étaient pourtant pas tous malavisés, puisque l'un d'eux était Mathieu Marais, l'honnête Marais, le curieux, le mémorialiste, le chroniqueur considéré justement aujourd'hui comme le véritable historien de la Régence. Il s'intitulait lui-même l'avocat des dames, aimant à résoudre les délicats problèmes de conscience, les piquantes questions de moralité qu'avec des sourires ou des larmes le sexe faible étale à la barre de Thémis pour être déclaré le plus fort.

Homme discret, fin et modeste, Marais laissait sa bonne humeur naturelle s'enflammer au contact des causes savoureuses, mais les visites de ses belles clientes et ses bonnes fortunes toutes platoniques n'atteignaient jamais la haute honorabilité de son caractère.

Lui qui questionnait à maintes reprises au sujet d'un procès : la femme est-elle jolie? avait dû poser la même question à Vauvray quand celui-ci était venu lui parler de Mme de Fallary. La réponse avait été satisfaisante, comme en témoigne sa lettre du 10 août 1723 adressée à son ami (99), le président Bouhier, le grand homme de Dijon, et celui-ci, très alléché par ce nom d'une héroïne des fêtes évanouies, répondait huit jours après (100) :

Je vous félicite d'avoir à votre crochet une dame aussi aimable que la duchesse de Falary. Elle pourrait vous fournir de belles anecdotes, si elle le voulait, sur la dernière Régence. Profitez de l'occasion si vous m'en croyez.

Qu'est-il résulté de cette sage exhortation ? On l'ignore jusqu'à maintenant. Peut-être la duchesse n'était-elle pas en verve avec son avocat, peut être ne sut-il pas la faire causer. La procédure dans laquelle elle faisait ses débuts absorbait d'ailleurs son esprit tourné plus vers les mystères du Palais de justice que vers ceux du Palais-Royal. Tant que son mari vécut, elle courut après les bribes de sa dot qu'il avait dissipée et jamais elle n'oublia complètement celui-ci, sentant son mépris pour le filou fondre devant sa compassion pour le malheureux. Comme le baron de Roise et le duc de Béthune envoyaient chacun au duc de Falary une somme annuelle de mille livres, de façon secrète afin de ne pas éveiller les créanciers aux aguets, c'est auprès d'eux qu'elle s'enquérait des nouvelles du vagabond. Tous deux étaient de relations fort courtoises.

Quoique la duchesse jonglât avec les protestations, les sommations et les oppositions, Béthune se montrait envers elle plein de déférence, ses lettres étaient d'une urbanité parfaite, il lui donnait des mots de recommandation pour ses protégés et pour elle-même, jamais une récrimination, jamais une phrase de mauvaise humeur ; cet homme avait une patience d'ange. À deux reprises seulement, il lui écrit :

« Je déteste les procès et principalement avec les personnes que j'honore. »

Ces conciliants témoignages n'apaisaient pas l'humeur versatile de la duchesse. Changeante comme les femmes le sont.... quand elles ne s'entêtent pas, elle était en outre sujette à des douleurs physiques se répercutant sur le moral, violents maux de tête, fréquentes crises d'estomac, souvenirs probables du régime peu hygiénique de la Régence qu'elle tentait de faire disparaître en prenant les eaux à Passy ou autre part (101). Les mauvais jours se manifestaient par des accès de récriminations dans lesquelles elle accusait ses beaux-frères de s'adjuger à des prix ridicules les biens substitués du duc de Falary, de redouter un rapprochement entre elle et son mari dont elle n'était séparée que de biens et de craindre surtout qu'elle n'ait de lui des enfants (102).

Connaissant les penchants du compère, on peut affirmer que pareille appréhension était bien mal fondée. Lorsque, grâce au moyen radical de l'impératrice de Russie qui s'y connaissait pour faire surgir une succession, celle du duc fut ouverte , ses parents furent assaillis par une avalanche de créanciers, tailleurs, perruquiers, menuisiers, chaudronniers, marchands de foin, de soieries, etc., même d'anciens domestiques non payés depuis vingt-cinq ans (103), pour désagréable qu'il fût, le fait n'était nullement une surprise, aussi l'accueillirent-ils avec le même calme qu'ils devaient recevoir la nouvelle de la mort de Falary, autre genre de surprise. La lettre envoyée à cette occasion par Béthune à sa belle-sœur dénote une émotion fort délibérément contenue :

À Versailles, ce 13 juin.

Je n'ai encore rien reçu, Madame, de la part de M. Amelot, cela ne tardera pas sûrement à me venir ; il y a trois jours qu'il m'a dit qu'il n'avait aucune connaissance de la mort de M. de Falary, que j'avais été mal fondé.

La lettre et le certificat de M. de La Chétardie éclaircissent tout ; je compte prendre demain le deuil, avertir aussi le maréchal de Nangis et le duc d'Estissac qui m'en ont prié. Je ne vous fais d'autre compliment en cette occasion que de vous assurer que je m'intéresse très sincèrement à tout ce qui peut vous regarder. J'ai l'honneur, etc.

Le duc de Béthune
(104).

L'âge aidant, Mme de Fallary jugeait bon de jeter un voile, d'abord léger, sur son passé frivole et d'abriter derrière un rideau plus épais les fantaisies galantes auxquelles elle sacrifiait encore par tradition et par goût. Dans ses promenades elle évitait les moulins, craignant d'y apercevoir un de ses bonnets resté accroché, et la considération, dont elle s'était jusqu'alors moquée comme de la bulle Unigenitus, lui paraissait une fanfreluche coquette à porter, aussi commençait-elle à faire sonner haut son nom de d'Haraucourt, se disant qu'il prenait du bouquet en vieillissant. La diablesse ne s'était pourtant point faite ermite.

Sa société préférée n'usait ni de la haire ni de la discipline, du moins pour des exercices de mortification. On y rencontrait des ambassadeurs comme Richelieu, des grands seigneurs comme Lévis, des épicuriens comme Vauvray, des beaux garçons comme Ricome de La Figarède, des soldats comme le marquis de Souvré, des femmes d'esprit comme Mme de Tencin et des beautés retraitées comme Mme d'Alluys et de La Fontaine-Martel.

Au milieu de ce monde, la duchesse avait grand mal à conserver une vertueuse impassibilité ; par leurs talents, leur valeur, leur physique, leur naissance, même leurs vices, tous ces hommes étaient des impressionneurs, elle une impressionnable. Comment résister à Richelieu ? il était si séduisant ; à Lévis? il avait si grand air ; à Vauvray ? il était si subtil ; à Souvré ? il était si martial.

Mme de Fallary ne résistait pas, jugeant que l'amour est un sentiment aussi éternel en paroles que passager en action. Quel intéressant kaléidoscope formaient ces gens divers ! Vif, léger, âme de plaisirs, arbitre du goût, le duc de Richelieu trouvait entre l'année et l'ambassade le temps de triompher à l'étranger, de conquérir à la cour, de séduire à la ville et de dépenser sans compter son génie galant. La duchesse le connut probablement chez Mme de Tencin, mais sa légèreté ne lui permit jamais d'exercer sur cet homme l'empire de l'habile Claudine. Celle-ci débordait d'ambition, se nourrissait d'intrigues, imposait ses bonnes grâces, pénétrait dans la vie de ses amis, trônait dans ses causeries, commandait dans ses lettres, voyant et connaissant tout et s'afflrmant déesse d'un Olympe auquel les familiers venaient journellement apporter leur tribut d'hommages.

Les hommes surtout fréquentaient son salon ; quant aux femmes, on en rencontrait quelques-unes, dont Mme Geoffrin, qui venait recueillir chez Mme de Tencin « quelques bribes de son inventaire, pour lui succéder un jour, comme une bourgeoise succède à une princesse. » Par son esprit et sa beauté, Claudine de Tencin régna jusqu'à son dernier jour. Peut-être souffrit-elle aussi ? Elle avait tant aimé.

Après avoir vu fuir la trentaine, Girardin de Vauvray s'était marié. Il avait épousé la fille de M. Hatte, fermier général, mariage qui se fit de façon expéditive. Comme Mme Hatte, la mère, était des plus galantes et qu'on désirait lui cacher l'établissement de ses enfants, M. Hatte vint un beau jour prendre dans son couvent, où elle était depuis plusieurs années, sa fille aînée, à laquelle il annonça qu'il l'avait mariée. La jeune fille se laissa faire. En peu de temps elle attira l'attention publique, car en 1736 nous la voyons causant malgré elle du scandale à la messe des Jacobins. Possédant une de ces physionomies qui disent : C'en est une ! et parlant pendant l'office avec aussi peu de décence qu'en avait sa physionomie, elle se fit remarquer du Père chargé de veiller au bon ordre de l'église. Celui-ci lui fit des remontrances, elle répliqua vertement ; alors il envoya chercher un exempt qui la força à sortir et ne reconnut sa qualité qu'en la voyant monter dans un carrosse drapé. L'officier présenta aussitôt des excuses à la façon de Pasquin, qui demande pardon des coups de bâton qu'il a donnés (105).

L'année suivante, c'était son mari qui faisait parler de lui. Son amour des affaires l'entraîna si loin qu'on l'accusa de malversations et que plusieurs maîtres des requêtes, ses collègues, demandèrent son exclusion du conseil ; il résista et fit si bien qu'on l'envoya seulement en exil à Château-Thierry.

« C'est dommage, écrit Barbier ; on convient que c'est un des plus habiles et des plus grands travailleurs du Conseil, mais il n'est pas bien riche et il est assez débauché lui-même... Il a une fort jolie femme, qui passe pour aussi rusée en galanterie que le mari en affaires. » Vauvray subissait la peine du talion.

Le plus habile, ou le moins habile des amis de Mme de Fallary — tout dépendant du point de vue envisagé — était certainement François-Louis Le Tellier de Louvois, marquis de Souvré. D'abord mousquetaire, il avait acquis une compagnie dans Royal-Cravates, été nommé ensuite maître de la garde-robe du roi, puis obtenu le régiment d'infanterie qui portait son nom. Il l'avait commandé au camp de la Moselle en 1732, à Gerra d'Adda et Milan en 1733, à Novare, Tortone et Parme en 1734, à Gonzague, Reggiolo en 1735, était rentré en France en 1736 et avait trouvé moyen d'avoir, à cette époque, un enfant de la duchesse de Fallary (106).

Ardeur trop martiale, imprévoyance trop féminine, ce cadeau de retour ne dut contenter ni l'un ni l'autre des deux amants. Que pensèrent de cet incident les confidents de la duchesse ? Hommes d'un siècle où la collaboration s'épanouissait plus en amour qu'en littérature, beaucoup sourirent, peu s'indignèrent.... pendant vingt-quatre heures, non pas tant de la trahison elle-même que de la preuve vivante de cette trahison. Quant à la coupable, inconstante mais spirituelle, elle répondit sûrement à celui qui l'accusait : « Et vous oserez me dire que vous n'êtes pas jaloux ! »

Pour Mmes d'Alluys et de La Fontaine-Martel, l'éclat dont elles avaient brillé jadis s'était transformé en lueur vacillante ; leur maison toujours ouverte accueillait également bien les gens en besoin d'affaires, les littérateurs en veine d'idées et les femmes seules en quête de compagnon. Il est douteux que ce soit en cette dernière qualité que la duchesse ait fréquenté le salon de ces anciennes conciliantes, dont le cœur racorni demandait une atmosphère de galanterie pour se raviver. Il est de même douteux que ce soit dans l'essai d'un puritanisme nouveau, car ces dames ne masquaient ni la liberté de leurs paroles ni la hardiesse de leurs pensées.

Mme d'Alluys avait comme chevalier servant un vieux mousquetaire nommé Morainville, et s'entourait d'écrivains qu'elle ne comprenait pas. Mme de La Fontaine-Martel comptait peu d'amis, mais parmi eux se trouvait Voltaire qui, à lui seul, en valait beaucoup d'autres. Ces deux femmes qui, pendant les trois quarts de leur vie, avaient moins prisé les beaux esprits que les jolis cœurs, essayaient pendant le dernier quart de rattraper le temps perdu. Malheureusement, alors comme aujourd'hui, l'esprit courait les rues et l'âge les avait rendues sédentaires. Chez la première on déjeunait, chez la seconde on soupait, chez toutes les deux on mangeait mal. Il fallait un estomac de philosophe ou un cerveau de poète pour célébrer ainsi cette déplorable chère :

Voyez-vous pas de tous côtés
De très décrépites beautés
Pleurant de n'être plus aimables.
Dans leur besoin de passion,
Ne pouvant rester raisonnables,
S'affubler de dévotion
Et rechercher l'ambition
D'être bégueules respectables ?
Bien loin de cette triste erreur,
Vous avez, au lieu de vigiles,
Des soupers longs, gais et tranquilles.

(Épître de Voltaire à Mme de La Fontaine-Martel.)

Le langage des muses flattait ces femmes de plaisir sans pourtant les satisfaire ; elles préféraient les actes aux paroles. Chez elles un barde semblait un oiseau de paradis au milieu d'une mare de grenouilles. On écoutait Voltaire, on applaudissait Mme de La Fontaine-Martel disant avec l'autorité de l'expérience :

« Quand on a le malheur de ne plus pouvoir être c...., il faut être m.... ! »

De 1732 à 1733, le grand écrivain vécut des heures douces sous le toit de Mme de La Fontaine-Martel. Il en sut gré à la vieille femme, dont la mort émut sa reconnaissance et stimula sa verve ironique :

On me saisissait Zaïre d'un côté, la baronne se mourait de l'autre... Figurez-vous que ce fut moi qui annonçai à la pauvre femme qu'il fallait partir. Elle ne voulait point entendre parler des cérémonies du départ, mais j'étais obligé d'honneur à la faire mourir dans les règles. Je lui amenai un prêtre moitié janséniste, moitié politique, qui fit semblant de la confesser et vint ensuite lui donner le reste. Quand ce comédien de Saint Eustache lui demanda tout haut si elle n'était pas bien persuadée que son Dieu, son Créateur, était dans l'Eucharistie, elle répondit :

Ah! oui,

d'un ton qui m'eût fait pouffer de rire dans des circonstances moins lugubres.


(Lettre de Voltaire à M. de Formont, 27 janvier 1733.)

Voilà le monde de Mme de Fallary (107). Elle ne s'y rendait plus avec l'oeil pétillant et la figure épanouie des jours regrettés de la Régence, elle emportait un masque sévère qu'elle s'empressait, d'ailleurs, de déposer à la porte. Sa licence austère et sa vertu de bâtons de chaise étaient bien affirmées et un malveillant l'eût vulgairement, mais justement définie, en lui donnant ce nom appliqué plus tard à une de ses semblables : La décente.... de la Courtille !






CHAPITRE IX

Mme de La Meilleraye. — Générosité de la duchesse pour ses frères. — Elle donne à jouer. — Installation d'un jeu. — Les joueuses du moment. — Naïve ignorance de Mme d'Haraucourt. — Dédain pour Mme de Pompadour. — Pâris-Duverney. — La conversation de Mme de Fallary. — L'archevêque de Reims. — Sa maladie. — Ses goûts sociables.


Devant ses beaux-frères, Mme de Fallary sortait ses griffes ; devant sa mère et ses frères, elle montrait patte de velours. D'un côté, c'était la femme méticuleuse, chicanière, aigre-douce, luttant pour l'argent ; de l'autre, c'était la fille ou la sœur compatissante, bénévole, charitable, qui laissait couler de sa main les sommes qu'elle venait d'enlever à la force du poignet. Sa mère vivait modestement en Bugey ; son frère cadet, le chevalier d'Haraucourt, nommé capitaine le 20 novembre 1727, trouvait sa solde bien maigre pour tenir son rang au régiment de Navarre, et l'aîné, le marquis, n'avait guère le temps de s'occuper de ses terres. Il faisait de courts séjours à Saint-André-de-Briord ou à Belley pour assister aux assemblées de la noblesse (108), puis revenait à Paris filer aux pieds de Mme de La Meilleraye, jolie femme dont l'esprit ne répondait pas au visage.

La belle La Meilleraye,
Qui n'a pas le sens commun,
Vint montrer sa fausse braye, etc.
(109).

Cette Mme de La Meilleraye, née en 1695, était la fille du prince de Soubise et avait été mariée en 1717 au fils du duc de Mazarin, le duc de La Meilleraye, espèce de fou et d'étourdi, mauvais sujet fréquentant une compagnie déplorable et mis à l'index de la société (110). Il avait été condamné à un an de prison pour avoir donné des coups de fouet à un prêtre et passait ses journées à boire, préférant de beaucoup le Champagne à sa femme. Il est vrai que l'un était plus capiteux que l'autre !

Mme de Fallary servait donc annuellement une rente à sa vieille mère, aidait de temps à autre son frère aîné et se dépensait de toutes façons pour le cadet. Celui-ci, qui tenait campagne en Bohême avec son régiment, avait été fait prisonnier le 19 août 1742 et, quoique relâché sur parole, avait fort besoin d'argent pour vivre et d'appui pour obtenir la liberté. Son frère se démenait dans le vide, ce fut sa sœur qui agit. Elle proposa d'abord son aide pécuniaire, ensuite sa recommandation auprès de la duchesse de Saxe qu'elle avait connue jadis et n'abandonna pas un instant l'officier malheureux, auquel le marquis d'Haraucourt écrivait de

Paris, le 20 janvier 1743 :
Mon cher frère,
Les nouvelles que je viens de recevoir de vous me rappellent à la vie et je la dois aux bontés de Mme la duchesse de Saxe et à l'amitié dont elle honore ma sœur. Celle-ci a volé à votre secours avec des entrailles dignes d'elle. La reconnaissance, vis-à-vis d'une personne aimée, est un fardeau bien léger et les sentiments de votre cœur m'assurent que vous n'avez pas besoin d'y être excité.


Le chevalier n'était pas un ingrat, du moins à cette époque ; il se plaisait à remercier sa sœur de ses bontés et ses lettres étaient des diplômes de générosité qu'il lui envoyait :

À Strasbourg, ce 5 mars.
Si j'avais eu un moment à moi, ma chère sœur depuis que j'ai été renvoyé prisonnier sur ma parole, je vous aurais remercié plus loi des marques d'amitié que vous m'avez données pendant ma captivité ; Mme la duchesse de Saxe s'est employée pour moi avec bonté, j'en ai reçu plusieurs lettres les plus obligeantes et, si le pur hasard m'a redonné la liberté, ce n'est pas manque d'attention de sa part. Elle me paraît avoir pour vous beaucoup d'amilié ; il faut avoir autant de talents que vous en avez, pour plaire, pour conserver une conquête d'aussi vieille date et qui, par ricochet, est venue jusqu'à moi.

Vous avez sans doute reçu par elle la réponse à la lettre qu'elle m'envoya à Tabor, après m'avoir fait chercher inutilement, pendant l'espace de deux mois, dans l'armée de la reine de Hongrie ; vous y aurez trouvé, en peu de mots, des témoignages sincères de ma reconnaissance ; vous n'ignorez pas qu'en pareille situation, ces sortes de permissions d'écrire en France sont vues et corrigées de toute la nation germanique et que l'on ne peut traiter telle matière qu'en forme de compliment.

J'ai refusé dans ce moment-là l'offre que l'on m'a faite, de votre part, de recevoir de l'argent dans un besoin aussi pressant ; j'avais alors à peu près ce qui pouvait m'étre nécessaire, mais, à mon arrivée au régiment, j'ai trouvé mon équipage si délabré que je me vois très embarrassé si je n'ai recours à vous.... Vous connaissez les secours que je puis tirer du Bugey et de la plupart de mes parents, il est inutile de vous en dire davantage.

Adieu, ma chère sœur, je vous demande toujours la continuation de votre amitié et soyez persuadée que la mienne pour vous ne saurait changer.
Le chevalier d'Haraucourt.




Au camp de Spire, ce 7 novembre 1743.
Vauvray
(111), après avoir lu la lettre que vous m'avez écrite, ma chère sœur, a consulté ses finances et ne les a pas trouvées en état de me remettre les 600 fr. ; il s'est retourné du côté de Caulet qui doit me les donner aujourd'hui et je vous en fais un sincère remerciement ; ils sont venus fort à propos, les frais de campagne étant meurtriers pour la bourse d'un capitaine d'infanterie.

Belley, ce 2 février 1744.
Je vous remercie, ma chère sœur, de l'argent que vous m'avez envoyé ; je sais depuis longtemps la ressource que l'on trouve dans la bonté de votre cœur, j'en ai ressenti souvent les effets. Je ne me vois pas encore délivré définitivement des griffes de la reine de Hongrie et, si je réussis, ce sera à cause de vous

P.S. — Mes tantes vous embrassent, celle de Bons me fait mourir de faim
(112).



Quant au marquis d'Haraucourt, après quelques efforts, il écrivait tranquillement à la duchesse qu'il comptait sur elle pour s'occuper de son frère. C'était moins fatigant pour lui et plus sûr pour le chevalier. Être veuve sans enfants et être écrasée par les charges de famille, voilà le lot de Mme de Fallary pendant une moitié de son existence. C'est la raison principale qui lui fit rechercher une manière d'augmenter ses revenus dont le montant ne suffisait ni à satisfaire sa libéralité ni à soutenir son train obligatoire de femme de condition.

En outre de son droit de méage, ses beaux-frères lui avaient rendu, après mille difficultés, les 75,000 livres de sa dot, et, depuis la mort du baron de Roise arrivée le 25 juillet 1737, elle luttait Code en main pour arracher à Béthune le remboursement de ses joyaux, l'augment de la fortune commune à elle et à son mari et une petite pension de viduité inscrite dans son contrat. Ce tournoi était judiciaire, c'est-à-dire éternel, il fallait trouver d'autres ressources. Spéculer ? Impossible. Travailler ? Fi. Écrire ? Difficile. Jouer ?.... elle joua, ou plutôt donna à jouer.

Cette résolution n'avait rien de l'héroïsme athénien, mais le jeu faisait vivre :

Des chevaliers sans ordre et tant de demoiselles
Qui sans le lansquenet et son produit caché
De leur faible vertu feraient fort bon marché
Et dont tous les hivers la cuisine se fonde
Sur l'impôt établi d'une infaillible ronde.

(Regnard : le Joueur)

À partir de 1740, Mme de Fallary organisa chez elle des parties de pharaon, de biribi, de brelan perpétuel, de lansquenet, qui lui attirèrent le médiocre honneur de changer le nom de son salon en celui de tripot.

« Un tripot, explique Mercier dans le Tableau de Paris, est accordé par protection à une femme de qualité pour rétablir sa fortune ; tous frais faits, elle recueille quatre cents livres chaque séance, compte avec ses valets et partage avec ses protecteurs ; on use pour dix louis de cartes, la ferme s'en trouve bien et l'on dit qu'il y a des choses qu'il faut tolérer. »

Cette esquisse pèche par une légère exagération, exagération qui porte malheureusement sur le point le plus sensible : la recette. Elle était plus souvent au-dessous de 400 livres qu'au-dessus, et les habitués ne ressemblaient pas tous à l'intendant des finances Orry de Fulvy qui, dans une seule soirée, perdait 20,000 louis contre M. Houël, l'ancien beau-frère du Régent. En outre, les frais, quoique réduits au strict nécessaire, nuisaient aux bénéfices.

Le matériel était simple ; un tapis vert, quatre bougies et des cartes pour le pharaon ; un tableau de toile cirée monté sur deux bâtons brisés chacun par un ressort, des jetons de couleur, des cuillers de buis et des petits paniers d'osier pour le biribi.

Le personnel se composait d'un tailleur qui tenait les cartes, d'un croupier chargé de payer les gagnants (ce qui n'était pas pénible) et de faire payer les perdants (ce qui était plus difficile), et d'un rabatteur qu'on surnommait par dérision le docteur Gobelius. Le tailleur devait avoir des yeux jusqu'au bout des doigts, moyennant quoi il touchait deux louis par jour en plus d'un carrosse et d'un souper ; la mode voulait qu'il fût choisi, comme le croupier, parmi les chevaliers.... de Saint-Louis! Quant à la maîtresse de maison, qu'on appelait tripotière, elle avait soin de s'entourer d'un essaim de jolies femmes, fleurs au bord du gouffre, sirènes intéressées dont les voix devaient se faire entendre au cachet (113).

Joli métier, pensera-t-on, que celui qu'exerçait la duchesse de Fallary ! Certes, mais elle n'était pas seule avec son déshonneur ; une noble compagnie l'imitait et les rapports de police nous donnent les noms de ces femmes qui se plaisaient aux jeux de hasard après avoir épuisé ceux de l'amour. C'étaient Mmes de Monasterolle, de Melfort, de Polignac, de Saint-Priest, de Curzay, de Marchainville, de Nesle, de Bouteville, de Morvilliers, de Nayves, etc., qui ne faisaient, en somme, que suivre le déplorable exemple de l'hôtel de Gesvres et de l'hôtel de Soissons.

Cette industrie productive n'allait pas sans quelques désagréments. Parfois le lieutenant de police se fâchait, exilait à trente lieues de Paris une joueuse trop intempérante, puis, en cas de récidive, l'envoyait à Fort-l'Évêque ; mais il avait à lutter contre les puissantes protections qui couvraient ces dames, et les précautions prises contre ses agents dont l'approche était signalée par un coup de sonnette que donnait un espion aux aguets (114).

Lorsqu'en 1741, l'hôtel de Soissons eut clos ses portes par suite de la mort du prince de Carignan et que le duc de Gesvres eut aussi fermé son hôtel, le roi fît rendre une ordonnance interdisant les jeux de hasard chez quelque personne que ce fût. Les nobles joueuses dédaignèrent cet avertissement qui, selon elles, ne pouvait s'adresser qu'au commun, non à des personnes de qualité, et le temps leur donna raison. Vingt ans après nous les retrouverons encore en action.

« Ces femmes n'ont d'autre occupation que de donner à jouer, écrit M. de Chevrier dans son Colporteur ; telles sont aujourd'hui la vicomtesse de P...., la marquise de M.... et l'éternelle duchesse de Phal.... qui n'a plus pour elle qu'une table de pharaon et le souvenir des plaisirs qu'elle goûta avec le duc d'Orléans (115). »

Elle avait encore autre chose pour elle, la sympathie et l'amitié de bien des grands seigneurs qui fréquentaient son salon. Le duc de Gesvres, chez lequel s'étaient effondrées des fortunes, n'en était pas moins aimé, et Mme de Fallary, avec sa psychologie maligne, connaissait le fond des caractères. Par elle-même elle savait que la chair est faible, par les autres, elle savait que l'âme l'est aussi. Il lui était loisible de juger tous les hommes égaux devant les cartes en voyant chez elle des généraux, des magistrats, des prélats amalgamés par la même passion.

Au jeu de brelan perdant ferme,
Un marquis dit à son voisin :
« Ce public mélangé renferme
Deux ou trois grecs, j'en suis certain. »
— « Ciel ! deux ou trois grecs! » — « Plus, peut être !
Et des grecs assez dangereux. »
— « Ah ! que ne peut-on les connaître....
De façon à parier sur eux ! »


Et c'est au moment où la duchesse s'efforçait d'opérer la fortune aveugle, consolidait son cercle de relations folâtres, poursuivait ses liaisons de natures diverses, que sa mère, Mme d'Haraucourt, lui écrivait naïvement :

Belley, 21 mai (1742),

Je suis enchantée de la vie tranquille que vous menez à présent ; votre jardin, délicieux, vous occupe agréablement, une sociélé de quatre personnes vous plait, vous vous couchez à minuit, voilà, selon moi, une vie lissée de soie ; mais je vous avoue que je voudrais un peu de jeux. J'ai vu un temps où vous aimiez le piquet et que vous le jouiez à merveille et très heureusement.


Le piquet était loin, envolé avec les jeux enfantins de Saint-André, les premiers succès de cour et les fêtes du Palais-Royal ! Mme de Fallary y songeait parfois dans ses courts instants de mélancolie, lorsqu'une tristesse renfermait quelques jours chez elle faubourg Saint Honoré, où elle était venue s'installer en face l'hôtel Duras. Le 13 décembre 1744, elle avait perdu une de ses parentes, et non des moindres, la duchesse de Ventadour, sa tante, la maman duchesse de Louis XV, bonne et charitable femme qui disparaissait à quatre-vingt-treize ans et que la raillerie populaire disait habiter au bout du monde. (116).

Sur l'avis de Mme d'Haraucourt qui regrettait « cette bonne parente », elle porta le deuil trois semaines.... et reprit avec un plaisir hatif ses robes de couleur, ses plumes, ses dentelles, tentant de compenser par les agréments de la toilette ceux que le temps lui enlevait et n'ignorant pas que la femme devient vieille quand elle ne plaît plus. Or elle avait besoin de charme, d'abord pour rassasier sa coquetterie innée, ensuite pour l'aider dans ses éternels conflits. Ses relations lui fournissaient bien certains appuis importants, mais sa superbe lui interdisait, comme jadis, la protection des gens en cour.

À son point de vue, le roi de France s'abaissait en jetant les yeux sur une favorite sortie de rien et elle n'avait pas assez de mépris pour une Poisson, elle une d'Haraucourt. Ce nom-là sonnait certes mieux que l'autre, sans avoir plus de valeur nobiliaire.

Pauvre duchesse ! son dédain ne cachait-il pas une source de jalousie? Cette attitude vis-à-vis de Mme de Pompadour lui aliéna toute la coterie de celle-ci, y compris Pâris-Duverney. Pourtant le financier était son compatriote et, de plus, un allié des siens, Mlle Gaillard de Beaumanoir, sa nièce, ayant épousé le vicomte de La Blâche. Après avoir été détesté, il était alors peu aimé ; on l'accusait de malversations, de spéculations sur la misère publique et, lorsqu'il se plaignait d'être soupçonné, M. de Puysieux lui disait : « Aie! aie ! quand le vent souffle un peu fort, les girouettes font du bruit ! »

Mme de Fallary n'était pas de nature à être arrêtée par ces détails, si cet homme eût été de ses amis ; mais elle se déclarait son ennemie et, par une logique éminemment féminine, tenait à se venger de lui. II ne fallait pas songer aux actes, c'est la parole qu'elle employa. Les gens qui la connurent assurent qu'elle s'en servait à outrance, l'appuyant d'une verve mordante et d'un esprit exempt de toute banalité.

De même que, dans les mines, les pépites d'or sont mélangées à des matières inutiles, de même se trouvaient toujours des choses brillantes dans ses phrases. D'un coup d'œil, elle jugeait le ridicule ou le grotesque de la vie et le logeait immédiatement dans un compartiment libre de sa cervelle hospitalière. Les idées noires de ses auditeurs fondaient au feu de son verbiage piquant qu'on n'osait lui reprocher, car la médisance est le défaut des gens d'esprit.

Connaissant la puissance et le résultat de la conversation, elle aimait dire avec la vicomtesse d'Houdetot :

Craignez ce charme suborneur,
C'est un appas funeste ;
L'oreille est le chemin du cœur
Et le cœur l'est du reste.


Un des hommes qu'elle enchaîna plus par son commerce verbal que par un autre fut celui qu'on appela d'abord l'abbé de Guéméné et qui, sous la Régence, devint archevêque de Reims, le prince Armand-Jules de Rohan. Peu de temps après avoir sacré Louis XV dans sa cathédrale, le malheureux prélat avait été frappé d'une maladie de nerfs qui lui rendait la marche fort difficile et avait fini par l'en priver. Quand il siégeait au Parlement en tant que premier pair ecclésiastique, on l'apportait à sa place et jamais la Faculté ne put améliorer son état, à l'exception d'un nommé Cigogne, espèce de médecin-chimiste, ancien soldat aux gardes, qui le soulageait et le faisait vivre par des remèdes et des secrets à lui. (117)

Il avait fini par abandonner peu à peu son diocèse à ses vicaires généraux et passait une partie de son existence à Paris, dans son hôtel de la rue de l'Université ou dans un cercle restreint qui tâchait de lui faire oublier ses misères. Le conseiller Menin va nous montrer, dans son Pot-Poury, quelles étaient les relations du prince de Rohan et de la duchesse de Fallary (118) :

« On reproche à Mgr l'archevêque de Reims d'admettre chez lui des femmes marquées au coin de la galanterie. Mais étant comme il est continuellement dans les souffrances, il est naturel d'avoir quelqu'un qui le réjouit et qui l'amuse.
« C'est dans cet esprit et pour n'être pas livré à son mal qu'il sort assez souvent pour aller chez la duchesse de Phallaris, où il me mène souvent avec lui passer une heure ou deux. Cette dame, qui aime beaucoup à voir et à entendre parler de tout, et donner à tout ce qu'elle dit ou raconte une tournure singulière et fort agréable, l'amuse infiniment et le fait rire au moment même de ses douleurs et de ses convulsions de nerfs, et il n'en sort jamais qu'il ne se trouve moins souffrant qu'il n'était lorsqu'il y est entré...

Il est vrai que cette femme abuse sans cesse de la facilité qu'elle a de parler, en déchirant habilement et à tort et à travers tout le monde. Sa langue est celle d'un aspic ou du diable.
»

Un peu plus loin, le même auteur nous donne un aperçu des choses bizarres que lui racontait son interlocutrice :


p 167

« La duchesse de Phalaris que je connais fort et chez laquelle je suis presque tous les jours, sans avoir été belle, plaît infiniment par son esprit et personne ne parle et ne conte aussi agréablement qu'elle fait.

« Elle était de toutes les parties de plaisir du duc d'Orléans, soupait et causait tous les soirs avec le prince, qui prenait ce temps pour se délasser des fatigues et des soins pénibles de la régence. Elle m'a juré, sans, me disait-elle, vouloir faire la vestale, qu'elle n'a jamais couché avec le duc d'Orléans, et qu'elle l'amusait tellement par ses contes qu'il ne pensait qu'à rire et à folâtrer quand ils étaient en tête-à-tête, ce qui arrivait au moment qu'elle y pensait le moins, et qu'il allait tout seul chez elle lui demander sans façon un poulet.

« À même d'avoir des millions en actions sur la Compagnie des Indes et en billets de banque, elle a fait la faute de n'en point vouloir, à ce qu'elle m'a juré et protesté plusieurs fois. Aussi est-elle restée, après le régent mort, avec elle et Emilie, avec son petit patrimoine et les faibles avantages que lui a faits son mari.


p168***

« C'est cette même duchesse de Phalaris qui m'a dit qu'étant un soir à Passy chez le duc de Lauzun à souper avec le duc et la duchesse de Châtillon, le duc de Lauzun, très âgé pour lors, leur jura et protesta sur son âme que tout ce qu'on avait dit et écrit sur son mariage avec Mme de Montpensier était faux et qu'ils ne s'étaient jamais épousés. (Il ajoutait qu'il n'avait tenu qu'à lui de le faire, mais il était très vain et très glorieux.)

« J'ai, pendant près de trente ans, beaucoup pratiqué et étudié cette dame qui faisait grand étalage de son titre de duchesse du pape qui s'achète 8 ou 10,000 livres ; elle était elle-même, d'une conduite fort relâchée et médisait de toutes les femmes.
»

Mme de Fallary n'était évidemment pas une société à produire dans les salons d'un archevêché, mais Rohan habitait Paris ! L'excellent prélat, tout en rendant justice aux mères de l'Église, confessait que celles-ci ne formaient pas le lot le plus intéressant du sexe féminin ; il aimait voir souvent la duchesse, trouvant, selon l'expression de Madame, que les femmes galantes sont plus amusantes que les femmes vertueuses, et il cherchait tous les moyens d'être agréable à elle comme aux siens. Avant la campagne d'Espagne, en 1733, il avait donné au chevalier d'Haraucourt un cordial de 500 livres, mettait son influence à la disposition du marquis lorsqu'il était dans l'embarras et n'oubliait jamais son amie, à laquelle un bijou discrètement présenté causait un plaisir vivace.

Pendant toute son existence, il ne cessa de lui témoigner son amitié, alliant l'accortise la plus délicate aux prévenances les plus naturelles, car, pour la moindre châtelaine d'or offerte à la duchesse, il pouvait dire, à l'instar de Benoît XIV, qu'il plaçait le tribut de la reconnaissance à côté de la grâce.






CHAPITRE X

Le duc et la duchesse de Chaulnes. — Leur fils le duc de Picquigny. — Sa jeunesse. — Procès entre Mme de Fallary et les Chaulnes. — La déconfiture de Vauvray. — Il se console. — Ricome de La Figarède. — Sa succession. — Les deux d'Haraucourt. — Mariage caché du marquis. — Bonté de cœur de la duchesse de Fallary. — Projets matrimoniaux du chevalier.


L'âge venait pour la duchesse. « Ceux qu'elle avait enchaînés à son char bientôt ne laisseront plus tomber sur elle qu'un regard de complaisance ! Ceux qu'elle a rebutés triompheront en voyant ses attraits flétris ! Ce monde, qu'elle a trompé et dont elle était l'idole, à peine se souviendra d'elle ! Bientôt elle ne devra plus à la politesse que ce qu'elle devait à l'amour.... Que fait-elle? Il se présente à elle deux ressources, la dévotion et le bel esprit, mais ces deux états sont surannés, que fait-elle alors? Elle intrigue. » (Tableau de Paris.)

Elle intrigue, ou elle plaide. C'est ce que fit Mme de Fallary. Ses ressources variées étaient suffisantes
... pour vivre honnêtement.
Mais vivre sans plaider, est-ce contentement ?
(Les Plaideurs, Racine, acte 1, s 7).

L'entêtée procédurière, tout en continuant la lutte contre les Béthune et quelques autres, venait de trouver un nouveau champ où donner libre cours à sa manie. Par contrat du 22 novembre 1745, elle s'était assuré une rente viagère de 5,000 livres au capital de 50,000 livres sur le duc et la duchesse de Chaulnes (119). Détermination malencontreuse. C'était un fort grand seigneur que M. le duc de Chaulnes. Il réunissait les dignités de lieutenant général des armées du roi, pair de France, commandant des chevau-légers, gouverneur de Picardie, membre honoraire de l'Académie des sciences, et cette dernière était peut-être celle dont il était le plus fier. Savant de valeur, aimant le travail, dépensant largement par amour de la science, il vivait de physique et d'histoire naturelle et avait fait construire une machine électrique, la plus grande qu'on eût vue.

Sa société préférée était celle des Clairaut et des Mairan, ses collègues de l'Académie, qui rendaient justice à ses connaissances étendues, à son aimable caractère, à sa conscience droite, autant que Louis XV qui le nommait l'honnête homme.

Le 25 février 1734, cet être calme et pondéré avait épousé une femme endiablée, Anne-Marie-Joséphine Bonnier, fille du trésorier des états de Provence. La voici dépeinte par des connaisseurs :

« Elle est radicalement folle, écrit Mme du Deffand ; elle ne connaît point d'heure pour ses repas. Elle a déjeuné à Gisors à huit heures du matin avec du veau froid ; à Gournay elle a mangé du pain trempé dans le pot pour nourrir un Limousin, ensuite un morceau de brioche, et puis trois assez grands biscuits. Nous arrivons, il n'est que deux heures et demie, et elle veut du riz et une capilotade ; elle mange comme un singe, elle ne cesse de bavarder. Sa prétention est d'avoir de l'imagination et de voir toutes choses sous des faces singulières, et, comme la nouveauté des idées lui manque, elle y supplée par la bizarrerie de l'expression. » ....

« Elle ne suivait rien, était incapable de réflexion, dit Senac de Meillan. Elle dépensait son esprit comme les prodigues leur argent.... Elle dissertait sans cesse sur l'esprit, c'était son domaine. L'esprit était tout pour elle et elle n'aurait pu s'empêcher de dire le défaut de l'esprit de l'homme qui lui aurait sauvé la vie. »

Les Goncourt, dans leurs Portraits intimes la résument ainsi :

« .... Une conversation qui bondissait et ricochait, courait et volait, sans jamais se poser, se lasser ni se mettre au pas ; une cervelle coiffée de grelots : une débâcle de folie et d'éloquence ; de l'esprit à toute volée ; des boutades partant comme des cris du cœur ; des mots à poignée qui claquaient comme des coups de batte ; des caricatures au ciseau ; une ironie de naissance, une médisance neuve, un rire qui était tout seul de sa famille, et le tout avec des gestes accommodés, la fièvre des yeux et du corps, réveil perpétuel du regard, de la tête et de la langue. »

Et cette amusante description tirée des Souvenirs de la marquise de Créqui (120) :

« La duchesse de Chaulnes était certainement la plus extravagante et la plus ridicule personne de France. C'était une grosse douairière toute bouffie, gorgée, soufflée, boursouflée de santé masculine et de sensibilité philosophique, qui se faisait ajuster et coiffer en petite mignonne et qui zézeyait en parlant pour se razeunir. »

Quant au fils d'une telle écervelée, on juge de ce que pouvait être son éducation : « On l'appelait le vidame d'Amiens dès l'âge de trois mois. On ferait un volume avec tous les détails de gâterie dont il avait été l'objet. C'était lui qui voulut absolument piocher sur un gigot de mouton qu'il voyait tourner à la broche ; et la scène avait lieu dans une auberge de Picardie, où les voyageurs du coche attendaient ce morceau de rôti pour leur souper. L'enfant pleurait, et sa mère envoya dire à l'hôtelier de le laisser faire, à condition que ce serait du côté du manche.

« Il était gaucher de nature et par entêtement, ce qui contrariait beaucoup sa tendre mère ; et un jour qu'elle le vit donner un soufflet à sa tante, la marquise de Plessis-Bellière, elle se mit à crier impatiemment : « Toujours de la main gauche ! » Et c'est tout ce qu'elle en dit à sa belle-sœur.
»

II n'est pas très étonnant que ce charmant enfant ait été plus tard, par ses désordres, une des causes de la mort de son père ; les autres causes furent la conduite fantaisiste, les vivacités, les inconséquences et les humeurs de Mme de Chaulnes. La réunion de la mère et du fils, lequel prit le nom de duc de Picquigny, eut pour résultat complémentaire de compromettre gravement la fortune du chef de famille, à la grande crainte de Mme de Fallary, qui tremblait continuellement pour sa rente.

Afin de soutenir la guerre de citations, de référés, d'appels, de contraintes qu'elle engageait avec les Chaulnes, celle-ci avait fort besoin d'un soutien masculin. D'ordinaire Vauvray était toujours là, mais depuis quelques années il avait fait preuve, envers la duchesse, d'une infidélité qui ne lui portait pas bonheur, ni à lui ni à ses finances.

En août 1750, le prince et la princesse de Conti l'avaient pris comme chef de leur conseil, à l'étonnement du public, mais non des renseignés, qui savaient que Mme de Vauvray, très avant dans les bonnes grâces du prince, était l'outil de cette nomination (121).

De son côté, Mme de Conti avait besoin d'un homme à tout faire ; et Vauvray endetté, à court d'argent, était celui qu'il lui fallait. À la mort de son frère et de sa mère, il avait été littéralement coiffé par la meute de ses créanciers, au milieu desquels se distinguait, pour une somme de 8,000 livres, Mme de Fallary, qui plaçait l'amitié un peu après l'intérêt. Il leur avait abandonné les deux maisons qu'il possédait à Paris et sa terre de la Cour-aux-Bois, près de Tousson, c'est-à-dire tout ce dont il avait hérité (122) ; aussi était-il disposé à l'emploi dont le chargeait Mme de Conti.

Cette situation embarrassée ne l'empêchait pas de rechercher, hors de son foyer, les émotions que ne lui procurait plus Mme de Vauvray. En 1761, se trouvant presque sans un liard, il dépensait 10,000 livres pour mettre dans ses meubles la demoiselle Frédérique, dite Sourville, et comme celle-ci passait bientôt aux appointements de M. de Boisgelin, il continuait l'association en partie double, lui faisant cadeau au 1er janvier suivant d'une très belle écuelle d'argent (123) . Vauvray avait l'indigence fastueuse.

Mme de Fallary s'était donc vue obligée de le remplacer et la tache n'avait pas été difficile. Un autre de ses intimes, Ricome de La Figarède, avait quitté l'armée comme exempt des Cent-Suisses, après avoir fait la campagne d'Allemagne en qualité d'aide de camp du marquis de la Fare, et le voyage d'Espagne avec le duc de Richelieu (124) . Sa brillante conduite dans la vie militaire avait été récompensée par la croix de Saint-Louis ; sa conduite beaucoup moins brillante dans la vie privée avait été couronnée par le départ de sa femme, Marguerite Cambon, fille d'un conseiller du roi, qui était allée habiter son pays natal, Montpellier, en compagnie de sa fille unique Jeanne. Celle-ci avait épousé en 1747 messire Joseph de Gévaudan, duquel elle se sépara cinq ans plus tard ; les deux femmes devaient donc parfaitement se comprendre. D'une habileté très inférieure à celle de Vauvray, La Figarède avait pourtant avec lui deux points communs : il était prodigue et déréglé. Mme de Fallary ne lui en confia pas moins ses intérêts, lui donna son cautionnement pour des emprunts et lui signa une procuration pour la gérance de ses domaines et de sa fortune mobilière.

Quand elle établit avec les Chaulnes le contrat lui assurant une rente de 5,000 livres, elle n'eut garde d'oublier Ricome, ou bien celui-ci n'eut garde de se laisser oublier ; la rente devait être partagée en deux ; la grosse partie, 4,500 livres, à la duchesse, et la petite, 500 livres, à La Figarède, celle-ci disparaissant à sa mort (125) . Par affection, et peut-être aussi par précaution, Mme de Fallary força, en 1764, son ami-régisseur à venir loger à côté d'elle faubourg Saint-Honoré ; elle habitait au n° 20 (126) , il choisit le 18, où il prit au premier étage un appartement de 500 livres. Elle l'aida à meubler ce nouveau local et, comme elle y passait une partie de ses journées, fit peu à peu porter là des objets et des tableaux qui lui étaient familiers.

La mort interrompit cette intimité. Ricome de La Figarède expira le 20 avril 1766, laissant les affaires de sa cliente dans un état médiocre et les siennes dans un état déplorable.

Les créanciers se présentèrent en troupe compacte. Mme de Fallary avait une telle habitude de cette espèce qu'elle n'éprouva pas le moindre étonnement ; sa passion tracassière trouva au contraire à se manifester.

Aussitôt le décès, elle eut le plaisir de faire opposition en réclamant à la succession : un lit de damas cramoisi, une pièce de damas blanc des Indes, une bague, une tabatière, un grand tableau de fleurs, un autre figurant une chienne barbette, son portrait où elle est représentée en Cérés (127) , des livres, des meubles, etc., tous objets lui appartenant qu'elle avait prêtés au défunt.

On vendit le reste des dépouilles du pauvre La Figarède, depuis son vis-à-vis bleu en velours d'Utrecht jusqu'au portrait de l'archevêque de Reims qui ornait sa chambre à coucher, y compris ses biens en Languedoc, et le produit fut si modeste en comparaison des dettes, que Mme de La Figarède et sa fille, Mme de Gévaudan, renoncèrent à l'héritage (128) . Bien que le conseiller disparu n'eût pas succombé à la tâche, son aide avait été d'une grande utilité à la processive duchesse, qui bataillait contre les Béthune, les Chaulnes et contre ses propres frères.

Aux fleurs dont ils la couvraient, ainsi qu'on l'a vu plus haut, avait succédé le papier timbré. Ils vivaient tous deux à Saint-André-de-Briord, retirés du monde après fortune peu faite. Le chevalier avait quitté le régiment comme commandant, en 1750, et l'aîné avait vu, cinq ans plus tard, son faux ménage détruit par la disparition de Mme de La Meilleraye qui portait alors le titre de duchesse de Mazarin. Faux ménage n'est pas exact en l'occurrence, car le duc était mort en 1738 et la rumeur publique prétendait que le marquis d'Haraucourt avait aussitôt épousé la veuve en cachette.

Ce qui est certain, c'est qu'en mourant celle-ci lui laissa, par testament, 5,000 livres de vaisselle et deux chevaux (129) , souvenir agréable pour un ami, mais bien maigre pour un époux. La vieille Mme d'Haraucourt était persuadée du mariage de son fils sans en tirer plus de vanité qu'il n'en tirait de profit. Elle correspondait ainsi avec sa fille à ce sujet :

Saint-André, 21 mars 1756.
....Voilà le marquis bien refait d'avoir passé sa jeunesse et manqué sa fortune que vous lui aviez tracée auprès de cette bête de Mazarin.

Saint-André, 17 juillet 1756.
....La Mazarin a eu beau cacher son mariage au public et surtout à sa famille avec le marquis et ne lui donner que le pitoyable legs que vous savez, dont je suis honteuse comme vous, mais je suis persuadée que, de la main à la main, il en a eu incognito quelque somme ; en tout cas, c'était son parent, le duc de Ventadour, son grand-père étant parent de feu ma mère, très proche.

Saint-André, 14 août 1756.
....Je trouve le marquis bien changé, comme tout le monde ; je crains qu'il ne se ressente d'avoir passé sa jeunesse et manqué sa fortune auprès de la Mazarin par le maudit fruit qu'il en a tiré. Il ne m'a jamais dit qu'il fût marié avec elle, mais, souvent, il lui échappe de dire : chez moi, en conversation.


Les cadeaux de Mme de Mazarin et les hasards de la guerre n'avaient pas augmenté de façon sensible la fortune des deux frères. En 1752, ils eurent l'idée saugrenue de demander à leur mère, qui habitait tranquillement avec eux à Saint-André, la reddition des comptes de la succession de leur père décédé quarante-six ans auparavant ! La vieille femme n'avait jamais eu que des notions d'ordre assez vagues, aussi la requête de ses fils ne servit qu'à jeter le trouble dans un intérieur paisible, empoisonner les jours d'une aïeule, brouiller les frères et la sœur et à n'apporter aucune amélioration dans leur état financier.

À peine la demande formulée, la duchesse de Fallary réclama sa part d'héritage, que ses frères essayèrent aussitôt de lui subtiliser avec une désinvolture sans pareille. C'était leur manière de répondre à ses bontés passées. Elle fut indignée et commença aussitôt contre eux des procès où ils n'eurent pas toujours le beau rôle. Leurs faits et gestes lui étaient connus par sa mère qui, de Saint-André, la tenait fidèlement au courant et se félicitait de pouvoir payer ainsi les cadeaux répétés que lui faisait sa fille. C'étaient des nippes, de l'argent, des dentelles, des pots de rouge et particulièrement des flacons d'élixir de Garus dont Mme d'Haraucourt faisait une grande consommation pour maintenir sa santé (130) .

Deux ou trois fois par mois, celle-ci écrivait à sa fille pour la remercier, lui donner de sages conseils et lui témoigner son amertume de la conduite de ses fils :

Saint-André, 20 avril 1754.
....Je ne vous fais pas mystère de vos frères ; ils me font souvent la mine, surtout le chevalier. Peu m'importe.

Saint-André, 21 mars 1756.
....J'oublie vos ingrats de frères et les laisse tels qu'ils sont. Par vos bontés, je me mets en peine des mauvais propos que le marquis tient de moi en disant que je les ai ruinés. Au contraire, je me suis mise presque à la misère pour leur éducation pendant dix années au collège comme des grands seigneurs. Cela vous donne plus de 6,000 fr., mais, comme vous êtes mon héritière, vous leur ferez bien rendre gorge des 45,000 fr. qu'ils vous ont volés. Je ne leur en fais pas mystère. Méprisez aussi les mauvais discours qu'ils tiennent de vous.... Ménagez-vous dans votre convalescence, surtout point de veillée et qu'à minuit vous soyez dans votre lit, et toujours vos parties de jeux !

Saint-André, 14 août 1756.
....Ne craignez rien, mes lettres ne nous sont point interceptées, par les sûretés que je prends. Je sens très bien que mes fils seraient curieux de savoir ce que nous nous écrivons ; leurs affaires me sont très indifférentes du moment qu'elles ne me regardent pas directement. Soyez persuadée que je me fais tenir le respect qu'ils me doivent.... Si le marquis a cru se justifier auprès de moi de son mauvais procédé à votre égard, il s'est totalement trompé. Je l'ai toujours trouvé très ingrat à l'un et à l'autre. N'en parlons plus et laissons-les pour ce qu'ils sont.... Je vous avoue qu'ils me considèrent comme étrangère, me faisant mystère de toutes leurs affaires. Ils ont beau faire, tout le monde me regarde toujours comme la maîtresse absolue de Saint-André et vous la serez peut-être un jour. Mille actions de grâce pour les cent écus dont vous avez la bonté de me faire encore cadeau.

Saint-André, 13 juin 1761.
....Merci encore, ma chère fille, pour vos quatre bouteilles d'élixir de Garus. Vous voilà donc assiégée de quatre procès ; je tremble que vos sollicitations n'altèrent votre santé.... Je ne vous parle pas de vos frères. Ce n'était plus la même chanson qu'à l'époque où elle terminait ainsi : Le marquis chante continuellement vos louanges et le chevalier fait chorus.


Le temps est un habile homme d'affaires qui résout bien des difficultés. Il finit par rapprocher Mme de Fallary de Pâris-Duverney, de Vauvray, et de ses deux frères.

Ces derniers se réconcilièrent par raison, elle se réconcilia par bon cœur, de si bon cœur même qu'elle voulut immédiatement leur prouver ses bonnes intentions.... en les mariant. De prime abord, l'idée leur sourit; après réflexion, le chevalier seul, qui avait passé l'âge des bêtises, persista à faire cette dernière. Ses soixante-trois ans lui semblant légers, il s'adressa à son oncle La Blâche, dont la sagesse ne s'émut pas de cette bizarre prétention.

Saint-André, 1er janvier 1763.
Mon très cher oncle,
Nous recevons avec bien de la reconnaissance les nouvelles marques d'amitié que vous voulez bien nous donner en voulant nous tirer l'un ou l'autre du célibat où nous nous étions consacrés ; mon frère est résolu irrévocablement d'y rester et moi je suis destiné, par conséquent, à donner postérité, si vous me donnez une femme qui en soit susceptible, bien résolu que je suis de ne me marier que de votre main et que vous dictiez le contrat. Il faut, pour cela, vous instruire de notre position présente dont voici en précis le détail sur lequel il n'y a rien à retrancher.
La terre de Saint-André vaut au moins 10,000 livres de rente et l'on nous en a offert plus d'une fois à Lyon 350,000 fr.; ladite terre me sera cédée en toute propriété par mon frère ; le château est meublé très convenablement, les domaines, réparés à neuf, et notre mobilier, avec l'argenlerie et les bijoux, valent au moins 40,000 fr. J'ajouterai à cela 2,000 livres de rents viagères sur M. le duc de Choiseul, minisire de la guerre, et 600 fr. de pension de la cour, l'un et l'autre objet provenant du fruit de mes services au régiment de Navarre. Il faut ajouter à cela les 43,000 fr. placés par nous sur le clergé de France qui nous viennent du surplus de la dot de Mme de Falaris et qui nous sont dévolus en toute propriété après elle.
Vous voyez que, quoique cadet, je deviens un assez bon parti et sans aucune dette. Si ma sœur qui, selon ce que vous nous marquez, a eu la première idée d'un établissement pour nous, voulait joindre au contrat quelque bienveillance de sa part, dont vous pouvez seul lui faire la proposition, elle ne doit pas douter de notre reconnaissance. Il faut à présent que les parents de la demoiselle que vous avez en vue veuillent mettre vis-à-vis de ce qui est énoncé ci-dessus, nous imaginons que ce pourrait être Mlle de Valerno à qui la renommée ne donne pas une jolie figure, mais je passerai facilement sur cet inconvénient à regard du visage pourvu que la taille ne soit pas défectueuse et qu'elle joigne un bon caractère.
Le chevalier d'Haraucourt.
Si cette affaire vient à manquer, j'en suis d'avance tout consolé, vivant très content et fort à mon aise.


Mlle de Valerno ne se décida pas à accepter ce candidat qui, âge mis à part, n'était point un trop mauvais parti. Au milieu des prétentions modérées de celui-ci pointait un peu de suffisance quand il se disait destiné à donner postérité à condition d'avoir une femme qui en fût susceptible et beaucoup de confiance quand il espérait voir sa sœur Fallary répondre par un acte généreux à son ingratitude passée. Son bon sens n'était cependant pas totalement disparu, comme le prouve le post-scriptum ci-dessus. Peut-être, en terminant sa lettre, leva-t-il les yeux et s'aperçut-il dans un miroir ?






CHAPITRE XI

Vie des d'Haraucourt à Saint-André-de-Briord. — Leur société. — Mort de Mme d'Haraucourt. — Un maigre héritage. — Reprise des pourparlers matrimoniaux. — Mort des deux frères. — La fortune de la duchesse. — Procès avec les Chaulnes. — Succession embrouillée du duc de Chaulnes. — M. de Giac. — Mme de Chaulnes se remarie. — Sa fin.


L'esprit de Mme de Fallary ne se manifestait que dans la conversation ; ses lettres en sont exemptes, du moins celles de l'âge mûr, leur contenu se résumant en questions financières et en nouvelles sanitaires. Sa santé demeura toujours aussi capricieuse que sa fortune et, si son estomac connut des perturbations répétées, la cause n'en fut jamais à un ascétisme trop excessif. Sa mère ne cessait de lui écrire : « Méfiez-vous des indigestions !.... Je suis fâchée de vous savoir encore une indigestion ! » Et comme ses nombreuses sorties du soir, jeu, Opéra, dîners, ne convenaient pas mieux à ses voies respiratoires qu'à ses voies digestives, les rhumes alternaient avec les gastrites.

« Prenez du lait d'ânesse ! » conseillait alors Mme d'Haraucourt ; la duchesse prenait du lait d'ânesse et, grâce à son tempérament de fer plutôt qu'à ce médicament bénin, pouvait recommencer le lendemain. Ses frères l'engageaient fort à venir les voir à Saint-André, suggérant avec justesse que le changement d'air serait pour elle une cure réconfortante, qu'elle y mènerait une vie calme et familiale, que la vie de la capitale devait la fatiguer à la longue, qu'une dernière réunion serait douce avant la séparation éternelle, toutes exhortations entremêlées de bons conseils hygiéniques, comme celui de se coucher de bonne heure : « Venez, disait le chevalier, nous vivons ici avec bonne table, beaucoup de domestiques et de chevaux et allons au-devant de ce qui peut vous faire plaisir. »

De son côté, Mme d'Haraucourt incitait sa fille à lui rendre visite à la campagne, sans lui en cacher les désagréments : « On respire ici un air bien pur, mais l'ennui y est extrême, surtout entre chien et loup. » Tous trois se réunissaient pour faire valoir l'agréable société qui les fréquentait; leur cousin le marquis de Vallins, les Pusigneux, dont le chef de famille commandait le Dauphiné en l'absence du comte de Clermont-Tonnerre, le marquis de La Poype, le ménage Sassenage, qui possédait des terres considérables dans le pays et qui était représenté par le mari « bête dévote » et la femme « grande p.... et grande amie de Mme de Pompadour (131) . »

À ces sollicitations, Mme de Fallary répondait : « C'est vrai, je sais Paris par cœur, il m'ennuie et n'est fait que pour la fougue de la jeunesse », puis se promettait de tenter le voyage.... à une date ultérieure. Elle avait encore en vue ses préparatifs de départ, lorsqu'au milieu de l'année 1771 elle apprit la mort de sa mère, qu'une extrême vieillesse n'avait pu affaiblir jusque-là. Elle s'abandonna à l'affliction, mais se redressa vite à l'idée qu'une succession qui s'ouvrait nécessitait la surveillance active de ses intérêts et, sans doute, une polémique judiciaire.

Au bout de quelques heures de lutte entre la passion procédurière et le respect filial, celui-ci eut le dessus. Elle décida de faire, pour une fois, violence à sa nature et de se montrer complètement désintéressée, ce dont elle avisa ses frères qui la remercièrent avec effusion. Jailli d'un premier mouvement, le mérite était grand chez une telle femme ; issu d'un second, après contrôle de la succession par exemple, il eût été médiocre. La pauvre douairière ne laissait comme héritage qu'un vieux lit de damas vert avec quelques galons d'argent à moitié usés, cinq ou six robes que lui avait données sa fille, une montre d'or et environ treize louis (132) .

« Cet inventaire nous fait honte, écrivait le chevalier à Mme de Fallary, le 7 juillet 1771 ; vous n'ignorez pas la conduite peu ménagée de feu notre mère pendant le cours de sa vie pour ses affaires ; nous l'avons ressentie depuis notre enfance, ce qui ne diminue pas les regrets que nous lui devons.... Elle vous aimait beaucoup et, avant le dérangement de la tête de la fin, ne parlait que de vous. »

Les deux d'Haraucourt n'acceptèrent l'hoirie de la défunte que sous bénéfice d'inventaire et, pour apporter au chevalier une consolation dont il n'avait pas grand besoin, la duchesse jugea à propos de reprendre les projets matrimoniaux. Depuis neuf années, ils n'avaient pas fait un pas en avant; mais le candidat avait soixante-douze ans, à peu près l'âge auquel avait convolé son père ! Sans envisager qu'au déclin de la vie la chaîne du mariage est bien lourde à porter seulement à deux, le chevalier se laissa aller au mirage.

Saint-André, 17 mai 1772.
Je me suis tâté, ma chère sœur, sur le projet de mariage dont vous me parlez et, si vous y trouvez lieu, nous vous laissons maîtresse du sort que vous me destinez. Si la proposition de Mme la marquise de Foucaud n'a pas été faite en l'air et simplement par politesse, vous pouvez aller de l'avant, sous les conditions dont vous m'avez parlé d'une fille de condition avec 50,000 écus de dot, son âge de trente ans n'en est que plus convenable au mien. Sa façon de penser sur l'égarement des jeunes gens d'aujourd'hui me donne bonne opinion de son caractère, puisqu'elle ne fait point de difficulté de vivre avec nous à la campagne. Je répète, comme vous le voyez, les termes de vos deux lettres, pour que la mienne vous prouve l'envie que j'ai que ce mariage puisse réussir. Mon frère le désire aussi. Il n'y a plus que quelques réflexions à faire de notre part et je crois que vous les approuverez. Si la figure n'a rien d'informe et si la conduite a toujours été bonne, sur quoi sera hypothéquée sa dot, quel sera le revenu fixe que j'en pourrai tirer ici sans en toucher le fond.

Nous voudrions, s'il y a conclusion à tout ceci, que le contrat se passât à Paris et que, lors de ma mort sans enfants, elle voulût se contenter pour douaire de 40,000 francs, dont elle trouverait la plus grande partie placée avec sûreté en Dauphiné et le supplément en argent entre nos mains. Nous aurions pour présent de noce deux diamants en bague assez beaux, et l'amitié que nous nous flattons que vous avez pour moi pourrait, de votre côté, augmenter ma fortune. Vous avez de l'esprit et des amis, voyez ce que vous devez faire.
Le chevalier d'Haraucourt.


Ces souhaits fort sages, parmi lesquels ne figurait plus la certitude de faire souche, ne devaient pas se réaliser. Le fiancé honoraire ne se berçait d'ailleurs pas d'une folle illusion, il pressentait que la prochaine cérémonie religieuse qui aurait lieu à son intention ne serait pas une messe de mariage ; aussi ne fut-il pas étonné quand il vit son roman conjugal finir en comédie.

Saint-André, 21 juin 1772.
Le personnage, ma chère sœur, qu'on proposait pour un mariage, se trouve si ridicule par votre dernière lettre, que l'on voit bien que votre amie ne s'en doutait pas lorsqu'elle vous en a parlé ; laide, bossue, voilà une belle occasion pour retrouver mes forces ! Il n'était pas possible que vous m'eussiez laissé tomber dans une pareille embuscade. Il y a longtemps que je suis déterminé à demeurer comme nous sommes et si quelque chose pouvait nous séduire agréablement, ce serait de passer avec vous le reste de nos jours comme vous vous en flattez ; vos affaires ne peuvent être éternelles et nous n'avons pas de temps à perdre pour faire une réunion aussi parfaite.


Mme de Fallary jugea bon de ne pas reprendre les démarches ; pour l'inslant, elle se contenta de correspondre avec ses frères, tout en étant tenue au courant de leurs actes par sa nièce Vallins, née Romanèche, qui habitait la Tour-du-Pin. Ce petit espionnage féminin dura peu, grâce à la disparition de la cause. Au mois de septembre 1774, le chevalier d'Haraucourt tomba malade chez le marquis de Pusigneux, où il était allé avec M. et Mme de La Blâche passer quelques jours. Ramené en toute hâte à Saint-André, il y expirait le 19 du même mois et peu après, le 11 avril 1775, son frère le marquis le rejoignait dans la tombe. L'âge forme autour du cœur une cuirasse sur laquelle vient ricocher la douleur. La duchesse avait supporté avec stoïcisme la mort de sa mère, elle resta aussi ferme devant celle de ses frères.

Bien qu'à la vérité elle eût eu le droit d'espérer qu'un héritage, simple dette de reconnaissance, adoucirait le désagrément de cette funèbre nouvelle, il n'en fut rien. Par une ingratitude complète, le chevalier d'Haraucourt légua tous ses biens à son petit-neveu Jean Falcoz de La Blâche, enseigne de la gendarmerie de France, sans même mentionner dans son testament sa sœur, à laquelle il devait beaucoup, et le marquis qui lui devait moins, tout en laissant sa fortune et son château au même neveu, pensa cependant à donner « à sa très chère sœur une somme de 2,400 livres pour lui témoigner l'amitié qu'il avait pour elle (133). » Elle eût certainement préféré moins d'amitié posthume et plus d'argent présent.

Le désappointement occasionné par ces dispositions dernières s'équilibra avec la jouissance d'entamer un nouveau procès contre son petit-neveu, l'heureux héritier. Après une année de silence préparatoire, elle se prévalut du testament de son père, dans lequel elle prétendit trouver une substitution en sa faveur. Son droit était-il contestable ? Ses sourires n'avaient-ils plus le même charme ? Les robins ne montraient-ils pas la galanterie des roués ?

Toujours est-il que, le 24 avril 1777, un arrêt fut rendu par lequel elle était déclarée purement et simplement non recevable dans ses demandes. C'était une blessure d'amour-propre, ce n'était pas une plaie d'argent. La duchesse, quoique se ruinant en procès pour arriver à faire fortune, possédait une réserve qui lui permettait de tenir bon rang. Elle avait environ trente mille livres de rente, représentées en grande partie par son droit de méage de Nantes et son placement sur les Chaulnes. Pour la perception de ce droit, une certaine demoiselle Le Houx était son prête-nom, mais les entrées étaient mal perçues, les comptes mal tenus, les paiements mal faits et, comme la titulaire se voyait incapable de mettre ordre à cette gabegie, elle adressa au roi une requête le suppliant d'accepter « la rétrocession de sa finance, dont elle ne pouvait profiter vu son grand âge. »

Le contrat de 1723 estimait la traite domaniale à 150,000 livres de capital ; par arrêt du 10 juin 1767, le roi la reprit moyennant une rente viagère de 18,000 livres sur les fermes générales (134). Mme de Fallary pouvait être tranquille de ce côté.

Elle l'était moins du côté Chaulnes, où elle allait d'ennuis en alarmes. Le duc de Chaulnes était un homme d'honneur, possédant la confiance de Louis XV et la faveur de Mme de Pompadour, qui lui écrivait en l'appelant poétiquement : « Mon cochon ».

On a vu plus haut que sa femme ne lui ressemblait en rien sur le rapport de la sagesse. De son père, elle tenait une fortune superbe qui lui permit de se livrer aux fantaisies les plus bizarres, aux caprices les plus changeants, auxquels le pauvre duc n'eut pas la force d'opposer son veto. Au mois de février 1755, elle résolut d'acheter au comte d'Houdetot la terre de la Mailleraye, située sur le bord de la Seine, près de Caudebec, magnifique propriété qui avait appartenu jadis au maréchal d'Harcourt. On lui en demanda un million, qu'elle paya en vendant une partie de ses biens en Normandie ! (135)

La cour trouva le geste beau. Mme de Fallary était bien un peu troublée des allures de Mme de Chaulnes ; pourtant sa confiance revint lorsqu'elle apprit cet achat princier et elle se dit qu'elle avait eu la main heureuse en plaçant sa rente sur des gens aussi fortunés. Elle allait déchanter. Dix ans après, la fortune des Chaulnes s'en allait en lambeaux, grâce aux inconséquences de la duchesse. Ils étaient obligés de vendre la Mailleraye au marquis de Nagu de La Boissière, l'hôtel de la rue de Varennes et la plupart des autres biens territoriaux qui leur restaient.

Aussitôt Mme de Fallary partit en guerre. Il serait plus exact de dire qu'elle fit face à ce nouvel ennemi, car elle était encore en instance avec les Béthune-Charost au sujet de la succession de son mari, tout en intentant des procès à ses fournisseurs, serruriers, peintres, bourreliers, pour s'entretenir la main. À son homme d'aflaires, M. Courlesvaux, procureur au Châtelet, elle écrivait :

Paris, 9 décembre 1767.
J'attends d'être instruite du nom de la personne à qui M. et Mme de Chaulnes ont vendu, en Normandie, leur terre de la Mailleraye, pour faire opposition au décret et de même qu'à la vente de leur maison, tous leurs biens me répondant de la rente de 4,500 livres viagères qu'ils me doivent solidairement sur leurs biens, de même que sur la charge des Chevau-légers avec des lettres patentes que j'ai obtenues.
Je compte sur vos bons services, monsieur, pour me guider là-dessus, de même que pour suivre mon opposition faite à Mme de Flavacourt et sa petite-fille, Mme d'Estampes, pour la maison qu'elles ont achetée rue de Varennes de M. le duc de Charost (c'était celle de Falary) sans avoir fait passer de décret. Il faut que vous ayez encore la bonté de me mettre en règle, avant les trente ans qui courent, sur mon opposition faite au décret de la terre de la Chapelle, qu'a acquise de M. le duc de Béthune M. Ménage de Mondésir ; celle terre m'est toujours affectée pour 4,000 livres de rente viagère, quoique M. le duc de Charost paraisse en répondre par les contrats que je vous ai remis.


Et talonnée par l'inquiétude, la malheureuse femme ne cessait d'assaillir Courlesvaux, lui soumettant des aperçus de jurisprudence, lui dictant des protestations, lui soufflant des compromis de législation, lui citant les pandectes, surmontant le tout d'une fausse retenue qui lui faisait écrire : « Vous savez que je n'entends rien aux affaires ! » (Lettre du 7 juillet 1769.)

Les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. Cette déconfiture, qui fouettait le sang de Mme de Fallary et lui donnait un regain de forces, minait lentement le duc de Chaulnes, dont la vitalité semblait s'effriter chaque jour. Les angoisses de la plaideuse redoublaient, non, pas à cause de l'état du moribond dont elle se souciait modérément, mais à cause de sa rente.

Un nouveau coup lui fut porté lorsqu'elle apprit que le duc avait vendu au duc d'Aiguillon sa charge de lieutenant des chevau-légers. L'honnête mais calme Courlesvaux fut aussitôt prévenu :

15 septembre 1769 au soir.
....J'ai été avertie par des gens de la cour, mes amis ; c'est ce que M. et Mme de Chaulnes auraient dû faire ; il n'est pas dans les règles de la probité de me cacher cette vente, sur laquelle ma rente est hypothéquée.


Quelques jours après, le 29 septembre, le duc de Chaulnes mourut et il se produisit dans sa succession un furieux chaos, suivant l'expression de Mme de Fallary. Celle-ci se trouvait prise entre deux feux : d'une part, Mme de Chaulnes désemparée cherchait à se débarrasser de cette rente de 4,500 livres (136), véritable tunique de Nessus ; d'autre part, le duc d'Aiguillon essayait de transférer cette dette qui grevait le brevet de retenue de lieutenant des chevau-légers qu'il venait d'acheter. Il fit proposer à sa créancière une délivrance d'hypothèque sur les voitures publiques ; la réponse à M. Courlesvaux ne se fit pas attendre :

Je ne veux aller ni en voiture, ni en fiacre, mon cher monsieur, ni renoncer à mon hypothèque pour une délégation sur un privilège de voiture qui peut être supprimé d'un moment à l'autre. Une pareille proposition est une vraie dérision et je suis surprise que les gens d'affaires de M. le duc d'Aiguillon aient imaginé de nous la faire. Vous avez trop d'esprit et mes intérêts que je vous ai confiés vous sont trop chers pour que, si j'étais assez folle pour y consentir, vous ne m'eussiez détournée par vos sages conseils.
D'Haraucourt, duchesse de Fallary, au Roule, ce 29 septembre 1770.


Et les assignations succèdent aux oppositions. Le 26 juillet 1771, le conseil donne raison à la plaignante, mais Mme de Chaulnes, quoique condamnée, fait la sourde oreille. Alors la duchesse s'irrite, s'impatiente, crible son homme d'affaires de courts billets tantôt indignés, tantôt ironiques, tantôt stimulants, tracés de sa grande écriture nette et masculine.

30 mars 1771. Ma rente de 4,500 livres n'a pas été payée depuis quinze mois ; cela crie vengeance.

12 août 1771. Mme la duchesse de Chaulnes vous est fort obligée des ménagements que vous avez pour elle à mes dépens.
d'Haraucourt, duchesse de Fallary.


27 août 1771. Je compte toujours sur votre amitié pour moi, quoiqu'elle ait été quelque temps en léthargie.
La duchesse de Fallary.


Elle quémande des appuis de tous les côtés, auprès de M. de Monteynard, auprès de M. de La Vrillière, mêle les soucis de sa santé à la direction de ses procès, confond Thémis avec Esculape, associe les arrêts de la circulation à ceux du tribunal et ne sait plus si elle est atteinte de crampes judiciaires ou de citations hépatiques ! Mme de Chaulnes avait une raison pour ne pas s'émouvoir outre mesure des agissements de son adversaire ; elle était occupée à convoler en secondes noces.

Courchamps nous raconte la chose dans ses Souvenirs de la marquise de Créqui : « On supposait bien qu'elle éprouvait la tentation de se remarier, mais ses héritiers ne s'en inquiétaient guère, en se reposant sur la difficulté qu'elle aurait à trouver un homme de la cour, ou même un simple gentilhomme qualifié qui voulût affronter une pareille exorbitance de chairs, de ridicules et de moustaches. »

« II y avait à Paris, d'un autre côté, car c'était dans une des chambres d'enquêtes, un certain conseiller sans barbe qui s'appelait M. de Giac, et qui était l'homme de justice le plus pédant, le plus risiblement coquet et le plus ennuyeux. Il avait l'air d'un squelette à qui l'on aurait mis du rouge de blonde et des habits de taffetas lilas. Il pinçait de la mandoline en se pinçant la bouche et jouant des prunelles. Il avait la prétention d'avoir composé la musique et les paroles d'un opéra tragique, mais par habitude, il ne fabriquait que des pièces fugitives, et c'était de la poésie d'autant plus légère qu'il n'y avait rien dedans. »

Ce Giac, très mince personnage, avait été nommé, en août 1773, surintendant de la maison de la dauphine, grâce à Mmes de Chaulnes et de Noailles qui extorquèrent par surprise le consentement de cette princesse. Au moment où celle-ci allait chez le roi, elle fut pressée vivement par les deux solliciteuses qui lui assurèrent qu'il n'y avait pas un instant à perdre pour soustraire cette charge à la main de la Dubarry. Dix minutes plus tard, Louis XV accordait la grâce demandée.

Les conseillers d'État poussèrent des clameurs, les ministres s'en mêlèrent, mais le consentement du roi était formel, on ne pouvait y revenir. La nouvelle situation de Giac ne devait pas en imposer à ses collègues. Voici ce que narre Mercy-Argenteau (137) : « Le 24 novembre (1773), les membres du conseil d'État présentèrent au roi une requête par laquelle ils demandaient que le sieur de Giac fût rayé du tableau des maîtres des requêtes, par conséquent exclu du conseil. Le grief allégué contre le sieur de Giac consistait en ce que ce maître des requêtes, prêt à épouser la duchesse de Chaulnes, avait contracté cette liaison dans le temps où il était rapporteur d'un procès de ladite duchesse contre son fils, lequel avait perdu ce procès, d'où il résultait que, le sieur de Giac s'étant ainsi exposé aux soupçons de séduction et de connivence, l'ordre de la justice exigeait qu'il fût privé de sa charge dans la magistrature.
Le roi acquiesça à cette demande et donna ordre au chancelier de faire signifier au sieur de Giac son expulsion du conseil.... Il est douteux qu'après une expulsion du conseil, le sieur de Giac puisse garder sa charge de surintendant (138). »


Tel était le cadeau de noces de Giac. Le 30 novembre 1773, il épousait la duchesse de Chaulnes, mais l'alliance de ce grotesque à conscience élastique et de cette extravagante grosse dame ne pouvait durer. Sans souci de troubler une lune où le miel était déjà rance, Mme de Fallary ne les lâcha pas, ce en quoi elle n'eut pas tort. Le 11 janvier 1776, elle accepta des nouveaux mais non jeunes mariés l'emploi fait à son profit des 90,000 livres produisant 4,500 livres par an sur l'ordre du Saint-Esprit (139), et put vivre provisoirement en paix, une paix comme pouvait la comprendre une batailleuse de son espèce. Quant à la duchesse de Chaulnes, devenue « la femme à Giac », ainsi qu'elle se nommait, après avoir eu des ennuis d'affaires interminables avec son fils Picquigny, des difficultés inévitables dans son ménage, des vicissitudes de fortune naturelles, elle se sépara de son mari et s'éteignit le 6 novembre 1782, éloignée du monde, oubliée, ayant de beaucoup dépassé la soixantaine, mais n'ayant jamais pu atteindre l'âge de raison.






CHAPITRE XII

Les La Blâche. — Le mariage du vicomte. — Un héritage surveillé. — Méfiance de Mme de Fallary. — Le titre de marquis d'Haraucourt. — Rapport de Chérin. — Autre rapport. — La succession de Pâris-Duverney. — Le comte de La Blâche et Beaumarchais. — La duchesse change de logement. — Vauvray reparait. — Sa façon de rembourser une dette. — En ménage.


Un héritage est une fête où il y a toujours trop d'invités. Celui des d'Haraucourt n'en comptait qu'un seul, le vicomte de La Blâche, et pourtant, de l'avis de la duchesse de Fallary, sa présence était encore indiscrète. Jusqu'à la mort de ses frères, l'héritière évincée avait toujours conservé de bons rapports avec son cousin le marquis de La Blâche et avec sa femme, Mlle de Roissy, petite-nièce de Pâris-Duverney. Ceux-ci divisaient leur vie entre le château d'Anjou et Paris, où ils habitaient rue d'Enfer, près le Luxembourg, « le jardin le plus triste du royaume. » Le marquis était un homme doux, aimable et faible; la marquise était d'humeur vive et inconstante, et depuis leur mariage célébré en 1738, ces deux êtres avaient conservé en commun leurs vies, mais non leurs goûts.

Des trois fils qu'ils avaient eus (140), les deux seuls vivants faisaient bonne figure à l'armée ; l'aîné, Alexandre-Joseph, était en 1770 maréchal de camp (141), après avoir débuté dans Royal-Dragons ; le cadet, Jean, avait servi comme lieutenant dans le même régiment que son frère et était alors guidon des gendarmes Dauphin. Absorbé par son métier et les distractions que peut rechercher un brillant officier de vingt-sept ans, ce dernier témoignait à ses oncles d'Haraucourt une affection aussi respectueuse que peu encombrante.

Ses visites irrégulières et espacées ne prouvaient pas un tempérament intéressé de coureur d'héritage et, quand Mme de Fallary, toujours ombrageuse, demandait à son frère Gabriel ce que devenait leur jeune neveu, il lui répondait d'un air un peu piqué : « Voilà plus de trois mois que nous ne l'avons vu. » La réflexion, sous une forme féminine, se présenta un beau jour. Le 23 mars 1772, le vicomte de La Blâche épousait Catherine Le Roy de Senneville. La lune de miel semble avoir comporté l'amour réglementaire, au moins de la part de l'époux, et le chevalier d'Haraucourt écrivait bientôt avec sagacité à sa sœur, qui lui signalait cette particularité :

« ....S'il commence à être jaloux, il a du temps devant lui pour s'y préparer. »

Tout en trouvant l'affection conjugale agréablement normale, la jeune Mme de La Blâche aiguilla son mari vers une carrière plus profitable, celle d'héritier. L'autre y prit goût, malgré des débuts qui ne furent pas heureux, car il escompta à tort les biens de Pàris-Montmartel, auxquels il n'avait aucun droit de prétendre. C'est alors qu'à l'aide de sa femme, il se découvrit une tendresse ardente pour ses vieux oncles d'Haraucourt, qui l'avaient déjà largement favorisé en lui donnant, comme cadeau de mariage, la terre de Saint-André-de-Briord et 2,250 livres de rente. Mme de Fallary, dont le flair n'était pas atrophié, s'aperçut vite du manège et commença vis-à-vis de ses frères une contre-attaque qui réussit médiocrement. « On vous a dépeint le vicomte de La Blâche sous un fâcheux jour, lui écrivait le chevalier, je crois qu'on a fort exgéré. » La méfiance de la duchesse fut si bien justifiée qu'après la mort de son frère cadet, elle n'eut plus la possibilité d'approcher son frère aîné et même de communiquer avec lui. L'officier avait pris la garde. Elle fut fructueuse, puisqu'on 1775 il était mis en possession de tous les biens de ses oncles.

Cette succession le gratifia de deux choses d'inégale valeur : une fortune et un titre. Par une substitution signée en 1774, les deux vieux célibataires l'avaient jugé digne de porter à l'avenir leur nom presque ancien (il avait alors un siècle) de marquis d'Haraucourt.

Grand seigneur, de noblesse authentique, bien apparenté, fort en cour, ayant présenté sa femme au roi (142), l'heureux vicomte jugea que cette nouvelle qualité ne lui était pas inutile pour augmenter son prestige. Il adressa donc une demande — simple démarche à son avis — pour obtenir la permission de prendre les noms et armes de la maison d'Haraucourt, suivant le désir formulé dans le testament de ses oncles.

Le généalogiste Chérin fut chargé de l'enquête et son rapport à M. de Malesherbes vaut la peine d'être cité (143) : « Il passe pour constant que l'ancienne et illustre maison d'Haraucourt, l'une des quatre de l'ancienne chevalerie de Lorraine, est éteinte. Le P. dom Calmet, si instruit de l'histoire de celles de ce duché, l'assure positivement. C'est sans doute dans cette persuasion que M. le comte du Chatelet, chevalier des ordres du roi, arrière-petit-fils de Louise-Elisabeth d'Haraucourt, de la branche de Chamblay, ajoute à son nom celui d'Haraucourt. Une autre branche de cette maison, connue sous la dénomination de seigneurs de Faulquemont, s'est éteinte au commencement de ce siècle dans celle de Thiard de Bissy, qui ne paraît pas avoir formé de prétention à ce sujet (144).

« Il est douteux que le marquis d'Haraucourt, qui avait épousé la sœur du grand-père de M. le vicomte de La Blâche, soit de la maison d'Haraucourt en Lorraine. On trouve sur ce marquis d'Haraucourt, à la marge d'une généalogie de la maison de Falcoz de La Blâche qui est au Cabinet de l'Ordre du Saint-Esprit, la note suivante :
Aventurier qui avait fait sa fortune auprès de Mme Christine de France, duchesse de Savoie.

« On apprend d'ailleurs qu'il était établi au Bugey et qu'il y mourut en 1706, âgé de près de quatre-vingts ans, et qu'il laissa une fille nommée Marie-Thérèse, laquelle fut mariée en 1715 à Pierre-François Gorge d'Entraigue, depuis duc de Fallari dans l'état ecclésiastique, et assista en qualité de cousine germaine au contrat de mariage du père de M. le vicomte de La Blâche de l'année 1738. C'est Mme la duchesse de Fallaris d'aujourd'hui.
»

« Ce serait une témérité et peut-être faire une injustice de donner une confiance sans bornes à cette note, mais comme l'assertion qu'elle contient est favorisée par le silence de tous les auteurs que l'on connaît qui ont traité la généalogie de la maison d'Haraucourt en Lorraine, elle peut autoriser une juste défiance. D'ailleurs, on est en droit d'exiger de M. de La Blâche la preuve que son grand-oncle était de cette maison. Cependant, on observe qu'on ne peut l'inviter à le faire, sans l'exposer au désagrément d'un refus mortifiant s'il y échoue ou de le compromettre avec M. le comte du Chatelet s'il y réussit. »

Ce rapport, où Chérin semble se promener sur des œufs, était pourtant plein de sagesse. Ne pouvant faire aucune preuve et voyant qu'on ne répondait pas à sa requête, le solliciteur simplifia les formalités ; il prit de lui-même ce nom qui lui était contesté. Tout le monde ne s'inclina pas devant cette propriété si facilement acquise ; les hommes de loi se firent un malin plaisir d'inscrire dans leurs actes l'héritier comme Jean de Falcoz de La Blâche se disant marquis d'Haraucourt ; la courtoisie, à laquelle on fait si souvent appel lorsqu'il s'agit de titres, se montra tant soit peu rébarbative et le litige resta en suspens.

La Révolution, en supprimant la noblesse, régla plus tard la question de manière provisoire, car le retour des Bourbons fit qu'on adora tout ce qui avait été brûlé. Le marquis illusoire se vit alors obligé de recourir aux témoignages de trois amis, le comte de Choiseul-Meuse, lieutenant général, le comte de Ruffo de Calabre, colonel, et le chevalier de Roissy, maréchal de camp, qui, le 2 mars 1815, signèrent un rapport constatant que M. Jean de Falcoz de La Blâche avait pris successivement : 1° Les noms de Jean de Falcoz de La Blâche, ainsi qu'il résulte de son acte de naissance ; 2° Ceux et le titre de M. de Falcoz, chevalier de La Blâche, comme fils cadet de M. de Falcoz, marquis de La Blâche ; 3° Les noms et titres de Falcoz, vicomte de La Blâche, ainsi qu'on le voit dans son contrat de mariage passé devant Me Chavet les 22, 24, 25 mars 1772 ; 4° Les noms et titres de Falcoz, marquis de La Blâche, qu'il porte et dont il est revêtu aujourd'hui, lequel titre de marquis il a pris à la mort de son père arrivée en 1771 ou 1772, et de celle de M. le comte de La Blâche, son frère aîné, arrivée en 1798, comme étant resté seul de sa maison.

« Qu'ils savent encore que M. le marquis de La Blâche a ajouté à son nom le nom d'Haraucourt, par suite d'une substitution qui avait été faite en sa faveur par MM. d'Haraucourt, ses grands-oncles, en l'année 1774, substitution dont il a perdu les avantages par suite de la Révolution ; et qu'ainsi il s'est fait appeler M. de Falcoz, marquis de La Blâche d'Haraucourt ; le titre de marquis n'a jamais pu frapper que sur le nom de La Blâche, celui de d'Haraucourt ne devant être considéré que comme un surnom qu'il avait pris pour distinguer la branche cadette de sa maison (145). Il était donc bien établi que ce titre de marquis d'Haraucourt n'appartenait pas plus au marquis de La Blâche.... qu'au premier gentilhomme qui l'avait porté.

Les La Blâche, officiers distingués et cavaliers émérites, n'attachaient pas leurs chevaux avec des licols lamés d'or. Malgré son indolente placidité, le vieux marquis retrouvait de l'énergie lorsqu'il s'agissait d'amener un renfort, même léger, à sa fortune déjà fort belle.

En 1771, on le voit qui réclame au marquis de Marigny une somme de 5,302 livres que son père devait à Pâris-Duverney dont lui, La Blâche, était petit-neveu par alliance, par conséquent héritier ; réclamation qui stupéfia Marigny, certain de n'avoir aucune dette paternelle à payer (146). L'empressement mis à exiger ce qui est dû n'est surpassé que par la résistance déployée à payer ce qu'on doit. Le comte de La Blâche, fils aîné du marquis, en est la preuve. Lorsqu'il fut en possession de la succession de Duverney, il prit la résolution de tourner le dos à tout créancier qui se présenterait.

Malheureusement, celte fois le créancier était Beaumarchais, qui réclamait la modeste somme de 15,000 livres, laquelle, disait-il restait des affaires traitées entre lui et le financier défunt. La Blâche fit la sourde oreille, et, dès ce moment, pendant des années, se vit cribler de traits dans des factums que lança contre lui le malicieux auteur. Celui-ci montra au public la conduite de son adversaire :

« Un des fidèles valets du mourant (Duverney) répondit de l'intérieur : Eh ! mon Dieu ! c'est M. de La Blâche qui le tourmentera jusqu'au dernier moment ; il voudrait encore lui faire signer quelque chose, il a peur de n'en jamais avoir assez. »

Le comte de La Blâche suivait auprès de Duverney la même tactique que son frère le vicomte auprès des d'Haraucourt. Elle fut heureuse pour chacun.

« M. Duverney nous a aimés tous deux, continuait l'écrivain, l'un austèrement, l'autre avec faiblesse, moi comme homme et vous comme un enfant. Il s'est trompé sur l'un de nous deux (147). »

Et le comte de La Blâche ripostait ingénument :

« Depuis dix ans, je hais ce Beaumarchais comme un amant aime sa maîtresse ! »

Tout en portant ces coups de pointe d'un côté, Beaumarchais cherchait d'un autre à en parer de beaucoup plus réels. Très lié avec le duc de Chaulnes (ex-Picquigny), fils de l'excentrique duchesse, il avait été introduit par celui-ci auprès de Mme Mesnard, sa maîtresse, à laquelle il trouva juste et naturel de faire la cour. Le duc devint jaloux, cria, menaça le galant en son domicile où il était allé le trouver pour lui faire des reproches violents, et, finalement, les deux hommes se prirent à bras-le-corps (148). Chaulnes était un colosse, sa fureur fut indescriptible et on fut obligé de donner une garde protectrice à son adversaire, qui savait mieux se servir de sa main pour écrire que de son poing pour frapper. Ses enthousiasmes belliqueux étaient si mesurés qu'il n'essaya pas de laver l'injure qui lui avait été faite par le duc ; aussi lorsque, quelque temps après, le comte de La Blâche, à son tour, lui adressa un défi, il put lui répondre avec dignité :

« J'ai refusé mieux ! (149) »
« O Monsieur de La Blâche ! O Monsieur le duc de Chaulnes ! qu'alliez-vous faire dans ces galères de la procédure où vous rencontriez ce don Quichotte-Scapin, ce patron des épouses délaissées, ce persécuteur des magistrats qui refusaient ses cadeaux, ce pamphlétaire qui se dressait contre vous, armé en guerre comme Aristophane, comme l'Arétin, comme le Pascal des Provinciales ?
(150) »

Mme de Fallary arrivait à l'âge où le seul amour que l'on conçoive est l'amour de soi-même. Elle résumait ses vœux dans un revenu régulier et un appartement confortable, vœux imparfaitement exaucés. Commençant à s'apercevoir que ses rentes multiples témoignaient d'une nature récalcitrante, elle essaya de leur adjoindre quelques contingents d'espèces diverses. La loterie militaire en fut un (151), sans que cette tentative réussît plus que les autres, comme le montre ce billet résigné adressé à M. Courlesveaux :

« Mme la duchesse de Fallary est toute consolée d'avoir perdu à la loterie militaire ; elle serait bien plus surprise d'y avoir gagné ; il faudrait pour cela être sorcière. Ce 3 février 1771. »

Quand on parcourt ses lettres éternellement inquiètes, on voit que jusqu'à son dernier jour elle ne put apprivoiser la fortune et que jusqu'à son dernier jour elle chercha le cadre qui convenait à sa grâce décrépite. Le faubourg Saint-Honoré, où elle resta plus de trente ans, ne lui porta pas bonheur. Elle eut d'abord pour voisine Mme de Pompadour qu'elle méprisait ; un peu plus loin, au n° 39, habitait le duc de Charost avec lequel elle fut toujours en rapports tendus, enfin son ami La Figarède mourut dans l'appartement qu'elle lui avait choisi à côté d'elle. Pour éviter la charge d'un loyer, elle songea un moment à obtenir de M. de Marigny — qu'elle ne méprisait pas, lui — un logement dans une maison royale, et comme il était inutile de chercher au loin, elle saisit sa plume rarement au repos :

« Je vous supplie, monsieur le duc (probablement Lévis), connaissant votre amitié pour moi, de vouloir bien me donner une marque, en témoignant ma reconnaissance à M. le marquis de Marigny sur la politesse qu'il vient de me faire ; elle est analogue à tous les biens que je vous ai entendu dire de lui et dont j'ai jugé par moi-même lorsque j'ai été à portée de le connaître ; je m'y suis prise un peu tard pour le supplier d'ordonner de faire élaguer les arbres de l'hôtel (les Ambassadeurs extraordinaires, ce qu'il a fait sur-le-champ ; mais, malheureusement, je n'en profiterai pas longtemps, venant d'apprendre que ma maison allait être vendue, ce qui m'afflige véritablement, par la privation de mon jardin, et logée pour 1,500 fr. de loyer, ce que je ne trouverai pas par la cherté dont sont à présent les maisons ; mes facultés ne me permettant pas de payer un logement plus cher, c'est donc à vous, monsieur le duc, à qui je m'adresse pour implorer vos bontés et votre amitié pour moi, pour obtenir de M. le marquis de Marigny un logement dans quelque maison royale, qui ne fût pas bien haut, mes jambes étant très faibles. Je lui aurai, et à vous, monsieur le duc, une très grande obligation, surtout si ce pouvait être dans un petit coin de l'hôtel des Ambassadeurs extraordinaires, j'y pourrai respirer le même air qui depuis trente ans me fait vivre, dans la maison que j'habite, mur mitoyen, soit là ou ailleurs. Monsieur le duc, M. le marquis de Marigny me rendra un grand service ; si vous ne l'obtenez de lui, je serai obligée d'aller traîner le reste de mes années en province, où l'ennui les aura bientôt terminées ; connaissant l'intérêt que vous me faites la grâce de prendre à tout ce qui me regarde, ma parfaite reconnaissance égale mon tendre respect, monsieur le duc (152).
d'Haraucourt, duchesse de Fallary.
À Paris, ce 22 avril 1767.
»

Aucune suite n'ayant été donnée à cette requête, et à cette menace d'exil champêtre, deux ans après la duchesse se retira.... au Roule, passé la première barrière, dans une maison appartenant à M. de Calonne, puis, en 1774, en son hôtel particulier, rue des Vieilles-Tuileries, où elle demeura six ans, seule survivante d'une génération joyeuse, ayant vu tomber autour d'elle tous ses amis, étoiles de son ciel à jamais disparues.

Un seul restait, Vauvray, qui, depuis le commencement du siècle, tenait avec la même maîtrise son rôle de débiteur perpétuel, riche d'un solide passif, d'une insolvabilité bien acquise, et confondant le moraliste qui a prétendu que les dettes abrégeaient la vie. Selon son principe d'accorder le moins possible à ses créanciers, il ne voulut même pas leur donner cette petite consolation et se contenta de vivre au jour le jour d'une manne à laquelle Mme de Fallary n'était pas étrangère.

On le voit en 1780 qui veut rembourser à celle-ci une somme de 2,400 livres qu'elle lui avait prêtée, mais de quelle façon s'y prend-il ?

« Ma chère duchesse, lui dit-il, nous sommes de vieux amis, hélas ! aussi de vieux personnages, nous nous connaissons depuis une éternité, pas d'ambages entre nous ; je vous dois 2,400 livres, je vais vous les rendre. Vous savez que M. le vicomte de Brosse m'a acheté ma terre de la Cour des Bois, il y a environ trente ans ; eh bien, je vous donne créance, intérêts compris, sur le prix d'achat.... qui ne m'a, du reste, jamais été payé (153). »

Le système était économique et l'on voit qu'en tant que mauvais débiteur, Vauvray n'était pas seul de son espèce. Il habitait alors rue Neuve-du-Luxembourg, un petit hôtel où la solitude lui pesait ; Mme de Fallary trouvait son appartement de la rue des Vieilles-Tuileries un ermitage ; ils fondirent un beau jour leurs doléances et le résultat fut la résolution de terminer en commun une vie qui s'avançait.

Ces deux êtres, qui avaient été liés dans leur jeunesse, puis séparés dans la maturité, réunissaient leurs deux vieillesses pour se donner l'illusion de recommencer une chanson dont l'air n'était plus le même que jadis.

Le couple, que l'âge empêchait d'être irrégulier, établit ses plans, discuta divers projets, s'occupa d'une organisation pratique et décida qu'un logement vaste et bien situé serait immédiatement retenu et meublé.... aux frais de la duchesse. Cette fois, c'était la cigale qui pouvait prêter, grâce à ce que pendant le temps chaud elle avait chanté dans les cours du Parlement.

Le 22 mai 1780, Mme de Fallary signa, avec Gaspard-Antoine Priou, chevalier du Rousset, un bail par lequel celui-ci lui louait, moyennant le loyer annuel de 4,200 livres, une maison située au n° 19 de la rue Basse-du-Rempart. Quoique situé au fond de la cour, cet immeuble était clair, aéré, et possédait un gai jardin. La duchesse s'installa dans la moitié du premier étage, Vauvray prit modestement l'autre moitié et ces deux vieux débris purent se consoler entre eux.






CHAPITRE XIII

Retraite mondaine de la duchesse. — Ses dernières années. — Incivilité des historiens à son égard. — La mère Jézabel. — Le taureau de Phalaris. — Calomnie de Lamothe-Langon. — Mort de Mme de Fallary. — Un curieux procès-verbal. — Les regrets de Vauvray. — Le duc de Charost exécuteur testamentaire. — Les héritiers La Blâche. — Inventaire. — L'éternel repos.


Le grand reproche qu'on a fait à Mme de Fallary a été celui de ne pas entrer aux Invalides de l'amour lorsque la caducité l'y contraignait.

Qui la blâmera cependant de n'avoir pas versé dans la dévotion, refuge des femmes blasées, des épouses malheureuses, des veuves inconsolées, temple à l'ombre duquel elles venaient se réfugier plus souvent par dépit que par foi, dernier asile que la mode assignait aux aristocratiques aïeules, sanctuaire où Dieu leur paraissait encore quelque chose à aimer ?

Qui la blâmera de n'avoir pas versé dans l'intrigue, de n'avoir pas encombré de sa personne les antichambres des ministres, de n'avoir pas transformé sa table de toilette en bureau diplomatique et de n'être pas morte prématurément d'une pléthore d'ambition comme Mme de Tencin ?

Qui la blâmera de n'avoir pas versé dans le bel esprit, d'avoir ignoré la préciosité et la pédanterie, de n'avoir pas voulu être une faiseuse de grands hommes, de s'être abstenue de pratiquer le culte de la morale qu'elle prisait peu ou de ne pas avoir enseigné la métaphysique (le sentiment qu'elle possédait à fond ?

« Peu de gens savent vieillir, » a dit la Rochefoucauld. Certainement ! Les uns parce qu'on ne leur laisse pas la faculté d'essayer, les autres parce qu'ils n'admettent pas que la vieillesse soit régie par des règlements traditionnels auxquels on soit tenu de se soumettre. Les historiens ne sont pas tendres dans leurs récits des dernières années de Mme de Fallary. Capefigue écrit :

« De toutes les femmes de ce temps d'oubli et de désordre que fut la Régence, seule elle avait survécu comme un vieux lustre tout chargé de clinquant.... Espèce de Ninon du XVIIIe siècle, aussi ridicule que la nymphe du Marais, elle était restée dans l'impénitence finale ; de sa main tremblotante elle voulut retenir les amours par le bout des ailes et enchaîner les cœurs de sa perruque blonde (154). »

Ce tableau étale un singulier mélange de confiance et de philosophie. La duchesse savait superlativement que l'amour n'a pas d'âge et que l'honnêteté perd de valeur chez la femme à mesure que celle-ci vieillit.

Le duc de Lévis, qui la rencontra vers 1780, nous en fait une peinture toute différente d'un Watteau :

« .... M. de Richelieu eut une grande représentation, mais sa maison était peu fréquentée par les jeunes gens et la société ordinaire était composée de ses contemporains. Il y avait, entre autres siècles, une duchesse de Phalaris, personnage passivement historique. C'était dans ses bras que le Régent avait expiré quelque soixante ans auparavant. Il fallait qu'elle fût belle alors, mais quand je la vis, elle était hideuse. Sa peau livide et ridée était recouverte d'une épaisse couche de blanc, rehaussée de deux placards d'un gros rouge ; une perruque blonde couvrait mal ses tempes chauves et faisait un contraste marquant avec ses sourcils peints en noir. Par une réminiscence de ses anciens goûts, elle se plaisait à embrasser les jeunes gens, et sous le prétexte de je ne sais quelle parenté, elle me fit cette faveur, dont on peut croire que je me serais bien passé. On l'appelait la mère Jézabel, et ce nom lui allait à merveille (155). »

Et Lemontey ajoute dans son Histoire de la Régence :

« Plusieurs personnes vivantes ont connu la duchesse de Falari. Elle étalait dans une extrême vieillesse les fruits de l'éducation de la Régence. Elle était si couverte de fard que, par une allusion aux beaux vers de Racine dans le songe d'Athalie, on la nommait vulgairement la reine Jézabel. Sénac de Meilhan nous apprend que, par un autre jeu de mots, les courtisans appelaient un autre gentilhomme provincial, qu'elle soldait pour le service de sa chambre, le taureau de Phalaris (156). »

Lemontey, historien sobre et consciencieux, a manqué là de précision. Il est impossible de trouver dans les œuvres de Sénac de Meilhan trace de cette allégation ; j'ai vainement parcouru de multiples volumes pour savoir quel pouvait être l'auteur de cette plaisanterie et je n'ai rien découvert. J'en suis donc réduit à supposer que le calme écrivain s'est laissé aller lui-même, dans un moment d'oubli, à un jeu de mots que son manque d'habitude l'a forcé à faire facile. La chance ne m'a pas aidé lorsque j'ai voulu connaître le nom du gentilhomme provincial. D'après M. le comte de Toulgoët (Revue des questions héraldiques, août-septembre 1902), Duclos aurait désigné le chevalier de Beringhen ; j'ai donc lu Duclos et j'ai constaté qu'il n'en soufflait mot. Que penser ? Pendant ses deux dernières années, Mme de Fallary habita en commun avec Vauvray, leur intimité ne se descella point, ils se voyaient à chaque instant, vivaient de la même vie ; Girardin de Vauvray fut un homme actif, remuant, laborieux, infatigable au plaisir, infatigable à l'ouvrage, il travailla comme un bœuf, mais de là à en faire un taureau !.... Je laisse à d'autres le soin d'éclairer cette question nébuleuse. Comme dernier témoignage, je citerai La-Mothe-Langon, dont l'imagination a guidé la plume dans les lignes ci-dessous. Il fait parler Louis XVIII (157) :

« En 1779 (158) mourut une femme galante qui avait survécu à son siècle, dont, à part sa décrépitude, elle était demeurée la représentation vivante. J'ai peu vu autant de déraison, de laisser aller, d'effronterie ; c'était une vieille avec toutes les passions de la jeunesse, une folle à l'air pétillant de malice, hardie, impudente même, ne rougissant plus et ayant toute honte bue ; depuis longtemps ne pouvant plus être galante pour son compte, l'âge y ayant mis bon ordre, elle l'était pour autrui ; on la voyait exciter les jeunes personnes à mal faire, les désigner aux hommes et puis jouir des scènes d'éclat lorsqu'on le lui reprochait.

« Que voulez-vous, répondait-elle, à chacun ses humeurs, il faut que je continue à me battre d'une façon ou d'une autre; je prétends mourir sur le champ de bataille. »

« Le duc d'Ayen, à qui on répéta ceci, dit alors : « Elle aura le regret que ce ne sera pas les armes à la main. »

« Cette dame était la duchesse de Phalaris, duchesse non de France, non de fait royal, mais du pape ; c'était de ces duchés qu'on faisait ronfler à la ville et qui étaient sifflés à Versailles où ils ne donnaient ni rang, ni considération, ni agrément.

« Venue de je ne sais où, mariée à un d'Entraigues, elle avait débuté brillamment dans les fastes de Cythère et obtenu, bien jeune encore, les honneurs du mouchoir de la part du duc d'Orléans.... Son trépas épouvanta la duchesse, mais ne la fit pas changer, et lorsqu'elle eut gardé le veuvage d'étiquette quinze jours ou trois semaines, elle reparut à la cour plus belle que jamais et surtout bien déterminée à marcher dans la route qu'elle s'était tracée d'aborder. Elle en fit tant qu'elle aurait eu beaucoup à dire. Sa conversation était très divertissante; je ne l'ai jamais vue, mais Montesquiou m'en a si souvent parlé que je la savais par cœur. Elle avait une haine plaisante pour Mme de Pompadour et la du Barry, haine fondée non sur le rôle qu'elles jouaient, mais sur la bassesse de leur naissance.

« Un roi, prétendait-elle, ne doit pas plus déroger dans sa vie privée que dans sa vie publique. Louis XIV se montra grand jusque dans ses maîtresses, et le roi de France d'aujourd'hui a des rivaux dans les cabarets; les c ne doivent lui plaire qu'autant qu'elles sont titrées. C'est une des charges de sa place, il ne doit pas s'en écarter sous peine de déchoir. »

Mme de Phalaris était bonne à entendre sur ce point, qu'elle traitait d'ailleurs ex professa et in cathedra ; je crois qu'elle ne venait plus à la cour lorsqu'y surgit la dernière favorite, mais elle fut du petit nombre que la marquise de Pompadour ne put soumettre, et ceci non par vertu délicate, mais par esprit de corps.

« Louis XV lui demanda un jour si elle aimait le Régent, et sur sa réponse affirmative :

« Mais, Madame, il y avait un grand nombre de nymphes qui l'aimaient avec vous.
« — Aussi, répliqua-t-elle, je me laissais aimer par un grand nombre d'autres beaux garçons du temps.
« — Que pensez-vous de lui ?
« — Que c'était un grand seigneur en notre compagnie, et un faraud des halles quand il se rapprochait de celles des rues. »

« Le roi emboursa cette malice, se prit à rire et ne revint pas à l'attaque de longtemps.

« Il y avait une dame à la cour dont les mauvaises langues faisaient les honneurs et qui affichait néanmoins des sentiments de collet monté peu convenables à sa vie positive ; la duchesse de Phalaris l'interpellant un jour devant trente personnes :

« — Ma chère amie, puisque vous battez monnaie du plaisir, épargnez-vous la façon de l'hypocrisie. »

« Très liée avec la duchesse d'Orléans (Mademoiselle de Bourbon), et bien digne d'une protectrice pareille, elle prit part aux bacchanales du Palais-Royal, quoique déjà elle fût plus que majeure :

« Mais, disait-elle, le goût que j'en ai me soutient. »

Et, dans une autre occasion :

« J'apprendrai aux doctes que dans les femmes la figure seule vieillit. »

« Et elle joignait l'exemple au précepte. Il me revint que, se trouvant avec l'archevêque de Toulouse, lorsqu'elle apprit le mariage de mon frère aîné (Louis XVI) :

« Voilà, dit-elle, la couronne de France qui va sortir de la maison royale. » « On vit une méchanceté dans ces paroles » c'était sans doute la pensée de la duchesse, et néanmoins peu s'en fallut que la plaisanterie ne soit devenue une prédiction.

« La duchesse de Phalaris conserva son esprit et sa gaieté jusqu'à son dernier soupir. On m'a rapporté que la veille de sa mort, elle appela un vieux domestique qui lui servait de secrétaire :

« André (159), lui dit-elle, je sens que je vais en finir avec ce monde; sais-tu si toutes mes dettes sont payées ?
« — Hélas! non, Madame, vous devez plus de 50,000 écus (160).
« — Tant mieux, mon garçon, cela me console, je partirai non comme une bourgeoise, mais en vraie personne de qualité. »
« Elle lui dictait chaque jour quelques pages des souvenirs qu'elle se remémorait, et à ce dernier inslant. elle dit au même domestique :
« Au .moins, André, si j'ai oublié un seul de mes amants, je le mets sur ta conscience. »
« Impie comme Voltaire, elle prenait plaisir à braver la religion. Le curé de la paroisse, instruit qu'elle touchait au terme fatal, se présenta chez elle, sous prétexte de quêtes pour les pauvres, mais la duchesse, trop habile pour se laisser prendre à ce détour, se mit à dire :
« — Monsieur l'abbé, je vous vois venir ; vous voudriez escamoter mon âme au diable au profit de votre ambition, mais comme vous ne m'avez jamais rendu aucun service, je ne vois pas pourquoi je vous procurerais cet avantage. Ainsi, bonsoir, et laissez-moi dormir. »
« Cela chanté, elle se tourne vers la ruelle et ne change de position qu'après le départ du zélé pasteur, et au bout d'une minute, s'adressant à ses femmes :
« — Mesdemoiselles, gardez-vous de faire comme moi, vous n'êtes pas d'assez bonne maison pour traiter le Père Éternel sans cérémonie; cela ne convient qu'à la haute qualité ».

Elle mourut dons ces belles dispositions ; était-ce de la force d'âme ou plutôt de la forfanterie? Je vois là les terreurs d'une âme impénitente que possède déjà la rage éternelle de l'enfer
. »

Cette esquisse poussée au noir, piquée d'exagérations et d'inventions fantaisistes, se termine par un récit macabre complètement faux. Sans vouloir imiter la conduite de Marie l'Égyptienne qui, après avoir mené longtemps une vie dissolue, se retira en plein désert où elle finit dans la sainteté, Mme de Fallary conserva toujours l'empreinte de la piété du jeune âge, non de la piété brûlante qui dévore le cœur de son feu, mais de la piété douce, facile, tamisée, qui garde sa flamme en veilleuse.

Trop spirituelle pour faire l'esprit fort, trop grande dame pour faire la libertine dans le sens de Saint-Évremond, elle se croyait obligée au respect extérieur par sa condition, considérant la religion comme un préjugé obligatoire et s'abandonnant à cette philosophie savoureuse de la femme du XVIIIe siècle qui ne tendait qu'à rechercher ici-bas le moyen d'être heureux. On ne peut nier qu'elle ait choisi ses directeurs en dehors des gens d'église, parmi les frères de la doctrine épicurienne, et qu'elle ait adoré le Très-Haut surtout dans ses manifestations terrestres, telles que la beauté, la grâce et la fortune, mais, duchesse des mieux alliées, femme de bon ton, Dieu était pour elle un si grand seigneur qu'elle ne pouvait lui faire grise mine, et sans doute pensait-elle comme je ne sais trop quelle patricienne, « qu'il doit gagner à être connu. »

Dans ses lettres à Courlesveaux, on la voit s'enquérir de la santé du « bon abbé Millet », regretter la mort du « pauvre abbé de Villebreuil, s'intéresser au cher abbé Herbiguier » , toutes marques d'une fréquentation quelconque avec les ministres du culte ; en outre, il suffit de lire son testament (voir Appendice) pour juger qu'elle n'était nullement impie comme Voltaire et ne tentait non plus de braver la religion.

« Je recommande mon âme à Dieu, écrit-elle suivant la coutume, puis, après avoir demandé d'être enterrée dans sa paroisse, elle continue en léguant 500 livres aux pauvres de la Madeleine de la Ville-l'Évêque afin de prier le Seigneur pour le repos de son âme, demande cent messes à son intention dans la huitaine de son décès et donne 10,000 livres au curé de Saint-Sulpice pour rétablissement de ses pauvres.

De telles dispositions testimoniales ne peuvent avoir été prises par une impie. On n'y sent point la haine et la rage de l'incrédulité, on n'y sent point la conversion tardive produite par l'affaiblissement, on n'y sent point la sécheresse de la dévotion exagérée ; c'est la simple mise au jour du vieux principe religieux semé pendant l'enfance et demeuré dans un repli de l'âme. Il était difficile à Mme de Fallary de ne croire à rien puisqu'elle n'était point sotte; elle n'avait jamais pu aller à la messe musquée (161), parce qu'on la disait trop tard, ni aux autres parce qu'elles se célébraient trop tôt, mais elle partageait l'avis du conseiller de Bachaumont :

« Une honnête femme doit vivre à la porte de l'église et mourir à la sacristie. »

Jusqu'en 1781, elle conserva sa bonne santé, se résignant à vivre chez elle dans un repos qui ravivait ses souvenirs. Afin que le sol aride où elle végétait ne l'attristàt pas, elle laissait son imagination l'orner des fleurs cueillies sur sa route ; ses regards scrutaient l'horizon étendu, fouillaient les espaces lointains au fond desquels s'estompait la lueur de son enfance, et le berceau qu'elle devinait dans la brume du passé lui voilait la tombe si proche d'elle. Elle ne craignait pas la mort, ou du moins la galanterie et la chicane ne lui avaient jamais donné le temps d'y songer ; loin de la maudire, de se débattre sous sa griffe, elle se prépara à la recevoir avec coquetterie, parée des atours qui avaient séduit tant de convives moins funèbres.

Pleine de sang-froid et de fermeté narquoise, elle tint à rester fidèle jusqu'au bout aux prédilections de toute sa vie et à se faire voir une dernière fois avec les agréments dont l'effet était malheureusement plus qu'atténué, sans qu'elle souffrît de cette décadence, car critiquée par la foule, elle eut la consolation de ne jamais se déplaire. Son scepticisme religieux, son théisme simple, ses pratiques de la bonne compagnie, lui faisaient envisager l'au-delà comme un endroit inconnu où une fontaine de Jouvence, en lui rendant la jeunesse, lui permettrait d'exécuter une entrée sensationnelle dans un monde valant certainement autant que celui-ci. Au commencement de juillet 1782, elle sentit ses forces l'abandonner. Le docteur des Chauvins, qui la soignait, se reconnut impuissant devant la vieillesse, et tandis qu'il cherchait un moyen de dissimuler cette constatation, la duchesse l'entretint avec sérénité de sa fin et se préoccupa de choisir une robe appropriée aux derniers sacrements.

Loin d'imiter la présidente d'Aligre qui se grisa pour noyer son agonie, ou de s'étourdir par des bruits de jeux et de danses comme plusieurs autres timorées, elle ne voulut qu'attiser sa forme matérielle, autrefois divine, aujourd'hui périssable, et quand elle eut déposé sur son lit le miroir qu'allait remplacer le crucifix, elle put, confiante en sa tenue d'une femme de son rang, écouter la femme de chambre dire :

« Madame la duchesse, le bon Dieu est là, permettez-vous qu'il entre? Il souhaiterait avoir l'honneur de vous administrer (162). » Le 18 juillet 1782, elle expirait (163).

Aussitôt son petit-neveu, le duc de Charost, qu'elle désignait comme son exécuteur testamentaire, fit apposer les scellés et assista aux formalités d'usage. Elles s'écartèrent cette fois de la tradition, car voici l'étrange procès-verbal dressé par le commissaire (164) :

« .... Nous étant apparu du décès de Mme la duchesse de Fallary par l'inspection d'un cadavre masculin qu'on nous a dit être le sien étendu sur un lit en ladite chambre où nous sommes, lequel cadavre a été par nous reconnu pour être celui de la duchesse de Fallary, etc.
« Signé : Carré.
»

Avoir été le charme, avoir été la galanterie, avoir été la passion, avoir été l'amour, avoir fixé l'esprit du maître de la France, avoir tenu enlacés par les chaînes de roses de sa grâce des Lévis, des Tessé, des Rohan, des Souvré, avoir détrôné les Parabère et les Sabran, avoir triomphé pendant plus de trente ans par un pouvoir essentiellement féminin, tout cela pour arriver à être prise pour un homme ! La mort exagérait l'ironie.

Le brave Carré devait être bien innocent, bien myope ou bien troublé. En sus de cette erreur bizarre, la défunte allait encore être entourée de la fantaisie qu'elle avait aimée en chaque chose. Son premier domestique Lagnier dit Baptiste fut préposé à la garde des empreintes, mais le lendemain il accourut effaré chez le commissaire conseiller du roi.

« Venez vite, lui dit-il, on a oublié les chats de Mme la duchesse, ils sont restés enfermés sous scellés, ont fait un vacarme épouvantable toute la nuit, et comme ils n'ont rien à manger, ils vont sûrement devenir enragés. »

Le magistrat se transporta immédiatement sur les lieux, s'installa à une table, prit sa plume, mit ses lunettes, étala ses papiers et commença, plein de gravité, deux procès-verbaux à la suite desquels, la loi étant repue, on donna la liberté aux matous.

Le pauvre Vauvray fut péniblement affecté par cette mort qui le privait d'une agréable compagne et d'une obligeante caissière ; il partagea ses regrets entre le souvenir reconnaissant et la pénible obligation d'être désormais privé des douceurs de l'existence que lui procurait sa vieille amie.

Les deux femmes de chambre, les deux valets, le cuisinier, le cocher, le portier, tous ces gens honnêtes et surtout utiles, allaient partir ; la berline de velours d'Utrecht cramoisi, la diligence de drap gris-blanc, les deux chevaux noirs, allaient être vendus aux enchères.

Vauvray soupira tristement, et depuis on n'entendit plus parler de lui.

Le duc de Charost, ne se souciant pas d'être exécuteur testamentaire, abandonna tous ses droits et legs aux héritiers naturels représentés par le marquis de La Blâche, qui ne devait pas en profiter longtemps. Onze mois après, il mourait dans son château d'Anjou, transmettant à ses deux fils l'héritage de la duchesse et le sien. Le premier ne contenait pas que des titres et des valeurs, il renfermait aussi les microbes de la maladie processive de la testatrice. Les deux La Blâche furent bientôt contaminés et, jusqu'à la Révolution, s'envoyèrent des assignations, absorbèrent les avocats, échangèrent des propos aigre-doux, et plaidèrent avec un entrain que leur grand'tante eût envié (165) . Une fois en possession des biens de sa parente, le marquis de La Blâche avait fait faire, le 19 décembre, une vente générale des meubles et des effets. L'inventaire dressé auparavant mérite un coup d'œil, surtout de la part des dames, qui y verront une partie de la garde-robe d'une vieille coquette du XVIIIe siècle. Il comprenait (166) :

Dans le petit salon : 1 petit lustre de cristal garni de 6 bobèches.
1 vieille table couverte de drap vert.
1 vieux lit de repos couvert de damas vert.
2 bergères, 5 fauteuils.
4 chaises couvertes de vieux damas d'Abbeville bleu et blanc.
6 rideaux de vieux taffetas vert.
2 tableaux peints dont 1 représente Andromède.
2 autres portraits.

Chambre à coucher : 1 porte-montre porcelaine du Japon.
1 commode à la Régence de bois de placage.
1 couchette à la Polonaise de 3 pieds 1/2 de large avec couvre-pied piqué d'indienne rouge, rideaux de damas cramoisi galonné en or faux.

Salon ayant vue sur le jardin et la cour : 2 grandes bergères de bois recouvertes de satin fond blanc à colonnes bleues et fleurs violettes.
2 tableaux peints sur toile représentant un portrait d'homme et l'autre M. de Lowendal, un autre représentant la marquise de Prie.
2 pastels.
Un grand nombre de très jolies porcelaines, petits déjeuners, tasses, écuelles, plateaux, etc. (Porcelaines de Saxe, de Monsieur, de Sèvres, de Chine, etc.).

Garde-robe : 1 robe et son tablier de salin hollande fond olive à fleurs.
1 robe et son jupon de damas aurore.
1 robe et son jupon de mousseline blanche à fleurs d'or.
1 robe et son jupon de tafifetasflambé fond blanc.
1 robe et son jupon de gaze noire.
1 robe et son jupon de pékin jaune garnie en gaze.
1 robe el son jupon de Perse fond paille à grandes colonnes et à fleurs.
1 robe et son jupon de velours cramoisi brodée en or.
1 robe et son jupon de satin fond gris brodée or et soie.
1 robe et son jupon de gros de Tours broché à fleurs de soie et argent.
1 robe et son jupon de satin violet à fleurs d'or.
1 robe et son tablier de velours d'Italie noir brodée et garnie.
1 robe et son jupon de satin de Lyon fond blanc, rose et gris.
1 robe et son tablier de satin de Hollande fond bleu à grandes fleurs de couleur.
2 robes et leur tablier d'indienne.
1 vieille robe et son jupon de mousseline rose.
1 robe et son tablier de colon blanc brodée en laine.
1 robe et son jupon de taffetas des Indes noir et blanc.
1 robe et son jupon de satin à grandes raies noires et blanches.
1 douzaine d'autres robes de différentes couleurs.
6 paires de chaussures de différentes étoffes. (Toutes les robes sont estimées 800 livres.)

Dans une armoire à côté de la chambre : 60 ouvrages de piété, de dévotion et d'histoire, en grande partie dépareillés. (À rapprocher de la garde-robe !)
Vaisselle plate estimée 6,499 livres, vaisselle montée 1,102 livres, etc., etc.
On trouva, en surplus, dans une cachette pratiquée dans la boiserie d'un petit cabinet proche la chambre à coucher, deux cassettes remplies de louis en argent, lesquels, avec les pièces ramassées dans les tiroirs, représentaient une somme de 52,638 livres.

Au moyen de ces fonds et de ceux provenant de la vente, le marquis de La Blâche remit au comte de Ruffo, au marquis de Foucault, à M. de Gévaudan, au clergé, aux domestiques, etc , les différents legs que leur faisait la défunte, puis il gratifia celle-ci d'un pleur fade parce qu'elle avait été aussi généreuse pour lui que bonne pour les autres, et d'une critique intérieure parce qu'elle avait été aussi testamenteuse que codicillante.

Les obsèques furent simples ; cinq ou six parents, peu d'amis, plusieurs hommes d'affaires, de courtes prières ; la doyenne de la Régence gagnait sa dernière demeure. Le silence se fit vite autour de ce mince événement, et l'oubli enveloppa de son ombre cette existence qui avait excité plus de sourires que de larmes. Seuls quelques vieillards se rappelèrent l'enchanteresse d'un monde étourdissant où, succombant à la tentation de l'esprit et des sens, elle s'était jetée avec l'excès et la frénésie de sa nature.

Ah ! l'âme de ces femmes du siècle galant ! Aucune d'elles ne voulut exercer « le métier de cruelle », aucune d'elles ne consentit à l'amour platonique des d'Angennes ou des Sablé ; leur caractère vif étant naturellement assoiffé de passion, elles eurent la franchise et l'élégance de la chute. Parmi ces élues de la volupté, notre duchesse, avec sa double nature d'amoureuse et de procédurière, figure sans réclamer des circonstances atténuantes, tout en demandant pourtant à l'histoire qui désirera la juger de remettre l'arrêt à quinzaine. Si la postérité leur cherche une excuse, elle la trouvera dans la naïveté, dans la rusticité de la morale du temps ; fidèles à des principes élémentaires, elles admirent toujours qu'une transaction exigeait des arrhes et que la plus belle victoire est de faire vaincre son cœur. Et sous la terre où elle fut légère, la duchesse de Fallary dort en attendant l'heure qui lui permettra de faire opposition au jugement dernier.



APPENDICE




TESTAMENT DE LA DUCHESSE DE FALLARY

Par-devant les conseillers du roi, notaires au Châtelet de Paris, soussignés, fut présente très haute et très puissante dame Madame Marie-Thérèse d'Haraucourl, veuve de très haut et très puissant seigneur Monseigneur Pierre-François Gorge d'Antraigues, duc de Fallary, demeurante à Paris, rue Basse-du-Rempart, n° 19, paroisse de la Madeleine de la Ville-l'Evéque, étant en bonne santé de corps, saine d'esprit, mémoire et entendement ainsi qu'il est apparu auxdits notaires soussignés par ses discours et actions, s'étant transportée à cet effet des présentes en l'étude de Me Brichard, l'un desdits notaires, où Me de Caux, son confrère, pour ce mandé, s'est exprès rendu.

Laquelle, dans la vue de la mort, a fait et dicté auxdits notaires soussignés son testament ainsi qu'il suit :
Je recommande mon âme à Dieu. Je veux ètre enterrée dans la paroisse sous laquelle je décéderai sans aucune cérémonie ; je donne et lègue aux pauvres de ladite paroisse une somme de cinq cents livres pour prier Dieu pour le repos de mon âme, laquelle somme sera remise entre les mains de M. le curé sur sa simple quittance. Je veux qu'il soit dit dans la huitaine de mon décès cent messes basses pour le repos de mon âme, dont je fixe l'honoraire à cent livres. Je veux qu'il soit remis une somme de dix mille livres entre les mains de M. le curé de Saint-Sulpice, pour être par lui employée à l'établissement qu'il a fait pour les pauvres de la paroisse. Je donne et lègue à la nommée le Comte, ma première femme de chambre, si elle est encore à mon service au jour de mon décès, la somme de cinq mille livres une fois payée. Je donne et lègue à chacun de mes autres domestiques qui se trouveront à mon service au jour de mon décès une année de leurs gages, outre ce qui pourra leur être dû sur leurs gages.
Je donne et lègue la somme de dix mille livres, une fois payée, à M. le marquis de La Blâche, mon cousin germain. Je donne et lègue pareille somme de dix mille livres, une fois payée, à M. le comte de Kuflfo, mon parent, colonel en second du régiment de Corse. Je donne et lègue pareille somme de dix mille livres, une fois payée, à M. de Gévaudan le fils, demeurant à Montpellier. Je donne et lègue à M. le marquis de Foucauld, ancien capitaine de vaisseaux, un diamant de la valeur de douze mille livres, et je le prie de se charger de l'exécution de mon testament.
J'entends expressément que tous les legs ci-dessus soient payés sur les deux contrats que j'ai sur le clergé, l'un de cent mille livres et l'autre de quarante-cinq mille livres, que j'y affecte limitativement, en sorte qu'il sera donné à chacun de mes légataires une portion dans le capital de l'un ou l'autre contrat, pareille à la somme que je lui ai léguée, et ils auront la jouissance à compter du premier jour d'avril ou de celui du jour d'octobre qui suivra mon décès, attendu que ce sont les époques des paiements, à l'exception cependant de ceux de mes domestiques à qui je ne donne qu'une année de leurs gages, lesquels seront payés en deniers comptants. Au moyen de cet arrangement, le surplus de mes deniers comptants, mes bijoux, ma vaisselle d'argent et la totalité de mon mobilier se trouveront libres dans ma succession si je n'en dispose pas par la suite.
Je révoque tous testaments et codicilles que je pourrais avoir faits jusqu'à celui-ci, auquel seul je m'arrête comme contenant mes dernières volontés.
Ce fut ainsi fait et dicté par ladite testatrice auxdits notaires soussignés et à elle par l'un d'eux, l'autre présent, relu ce qu'elle a dit avoir bien entendu et y persister.
À Paris, en l'étude dudit Me Brichard susdésigné, l'an mil sept cent quatre-vingt-un, le sept juin après midi sur les cinq heures, et a signé la minute des présentes demeurée à Me Brichard, l'un des notaires soussignés, qui a délivré ces présentes ce jourd'hui vingt-neuf août mil sept cent quatre-vingt-deux.

Sur le premier reclo de la minute dudit testament est la mention dont la teneur suit :
Vu au bureau des insinuations sous réserve des droits à Paris, le dix-neuf juillet mil sept cent quatre-vingt-deux.
Signé Durey. De Caux. Brichard.

Et le vingt-cinq juin audit an mil sept cent quatre-vingt-un, heure de midi, est comparue par-devant les conseillers du roi, notaires au Châtelet de Paris soussignés, madame dame duchesse de Fallary y dénommée, qualifiée et domiciliée en son testament des autres parts, étant en bonne santé de corps, saine d'esprit, mémoire et entendement, ainsi qu'il est apparu auxdits notaires soussignés par ses discours et actions, s'étant transportée à l'effet des présentes en l'étude de Me Brichard, l'un d'eux, où ledit Me du Caux, son confrère pour ce mandé, s'est exprès rendu.
Laquelle, après que lecture lui a été faite par l'un desdits notaires soussignés en présence de son confrère, de son testamenl des autres parts qu'elle a déclaré approuver et confirmer, a par les présentes dicté auxdits notaires soussignés, par forme de codicille, ce qui suit :
Je donne et lègue à Mme de La Blâche, ma filleule, fille de M. le comte de La Blâche, mon cousin issu de germain, la somme de quarante mille livres à prendre limitativement sur mes deux contrats, l'un de cent mille livres et l'autre de quarante-cinq mille livres sur le clergé de France, dont il lui sera donné une portion jusqu'à due concurrence, comme je l'ai déjà ordonné par mon testament pour mes autres légataires, avec la jouissance du premier jour d'avril ou de celui du mois d'octobre qui suivra mon décès, le surplus de ces deux contrats demeurant libre en ma personne pour en disposer comme bon me semblera.
Je donne et lègue à M. de Vauvré, ancien maître des requêtes, les douze mille livres que j'ai prêtées à M. le duc de Charost, mon petit-neveu, sans intérêts, suivant le titre que j'ai entre les mains et qui sera remis à M. de Vauvré après mon décès.
- Je donne et lègue tous mes meubles meublants qui se trouveront dans mon appartement, au jour de ma mort, à Mgr de Ruffo, évêque de Saint-Flour, mon parent.
Je donne et lègue à Mme la duchesse d'Ancenis, ma nièce, toutes mes porcelaines sans aucune exception, comme ne faisant point partie de mes meubles meublants ci-dessus légués.
Je donne et lègue à la nommée le Comte, ma première femme de chambre, et à la nommée Richard, ma seconde femme de chambre, si elles sont à mon service au jour de mon décès, tous les habits, linge et dentelles (sans autre exception que les toiles de Perse et les étoffes en pièces) qui composeraient ma garde-robe au jour de mon décès, à partager entre elles, savoir deux tiers à ladite le Comte et le dernier tiers à ladite Richard. Je leur donne encore ainsi qu'aux autres domestiques qui seront à mon service au jour de mon décès, les lits dans lesquels ils couchent, tels qu'ils se trouveront garnis et même tous les meubles qui se trouveront garnir lesdites chambres ; le tout, sans préjudice du legs que j'ai fait à ladite le Comte par mon testament et de l'année de gages que j'ai donnée à tous mes domestiques qui se trouveront à mon service le jour de mon décès.
Je me réserve, comme je l'ai déjà exprimé par mon testament, mes deniers comptants, mes bijoux, ma vaisselle d'argent, ainsi que les portions de mes contrats sur le clergé dont je n'ai point disposé par mondit testament et le présent codicille auxquels seuls je m'arrête comme contenant mes dernières volontés.
Ce fut ainsi fait et dicté par madame dame codicillante auxdits notaires soussignés et à elle par l'un d'eux, l'autre présent relu ce qu'elle a dit avoir bien entendu et y persévérer.
À Paris, en l'étude dudit Me Brichard, ledit jour vingt-cinq juin mil sept cent quatre-vingt-un, heure de midi, et a signé la minute des présentes et ensuite de celle du testament dont expédition est des autres paris, le tout demeuré audit Me Brichard, notaire, qui a délivré les présentes ledit jour vingt-neuf août mil sept cent quatre-vingt-deux. De Caux. Brichard.

Et le quatorze août audit an mil sept cent quatre-vingt-un, est comparue par-devant les conseillers du roi, notaires au Châtelet de Paris, soussignés, madame dame duchesse de Fallary, dénommée, qualifiée et domiciliée en son testament des autres parts. Laquelle étant en assez bonne santé, saine d'esprit, mémoire et jugement ainsi qu'il est apparu auxdits notaires par ses discours et actions et après que lecture lui a été faite par l'un d'eux de son testament et de son codicille étant ensuite des autres parts a, par ces présentes, fait, dicté et nommé par forme de codicille auxdits notaires soussignés ce qui suit.
Je confirme les legs que j'ai faits par mesdits testament et codicille aux nommées Le Comte et Richard, mes femmes de chambre, et en y ajoutant, je lègue et donne à la nommée Le Comte ma belle écuelle d'argent ciselée avec le couvercle et le plateau aussi d'argent, plus deux cuillers et deux fourchettes d'argent et un couteau à manche d'argent. Et à la nommée Richard, mon autre écuelle commune avec le couvercle et le plateau d'argent, plus deux cuillers et deux fourchettes d'argent et un couteau à manche d'argent. Le tout pourvu qu'elles soient encore à mon service au jour de mon décès.
Je déclare que j'ai déjà remis par anticipation à M. de Vauvré le billet de douze mille livres sur M. le duc de Charost et que j'ai légué à M. de Vauvré, pour en recevoir le montant quand bon lui semblera.
Je déclare que lous les meubles et effets mobiliers qui sont dans l'appartement que M. de Vauvré occupe chez moi lui appartiennent.
Je révoque purement et simplement le legs que j'ai fait par mon codicille des autres parts à Mgr de Ruffo, évèque de Saint-Flour, de tous les meubles meublants qui se trouveraient dans mes appartements au jour de mon décès. J'avais nommé M. le marquis de Foucault mon exécuteur testamentaire ; des raisons particulières me font révoquer cette disposition, mais je le prie toujours de vouloir bien garder le legs de douze mille livres que je lui ai fait par mon-dit testament.
Quant au surplus de tous mes biens, en quoi qu'ils consistent, j'en fais don et legs à M. le duc de Charost, mon petit neveu, ou, à son défaut, à M. le comte de Charost, son fils, que je nomme et institue à cet effet mes légataires universels.
Je prie aussi M. le duc de Charost de vouloir bien être mon exécuteur testamentaire et de me donner cette dernière marque d'amitié. Je confirme, au surplus, mesdits testament et codicille auxquels je m'arrête ainsi qu'au présent codicille révoquant toutes les dispositions antérieures.
Ce fut ainsi fait et dicté et nommé par ladite dame codicillante auxdits notaires soussignés et à elle par l'un d'eux, l'autre présent relu ce qu'elle a dit, avoir bien entendu et y persévérer.
À Paris, en l'étude de Me Brichard, ledit jour quatorze août mil sept cent quatre-vingt-un, sur les cinq heures un quart après midi, et a signé la minute des présentes étant ensuite de celles du testament et codicille dont expédition sont des autres parts, le tout demeure audit Me Brichard, notaire, qui a délivré ces présentes ce jourd'hui vingt-neuf août mil sept cent quatre-vingt-deux. De Caux. Brichard.

Et le treize juillet mil sept cent quatre-vingt-deux est comparue par-devant nous les conseillers du roi, notaires au Châtelet de Paris, soussignés, madame dame duchesse de Fallary, dénommée et qualifiée en son testament des autres parts, demeurant à Paris, rue Basse-du-Rempart, n° 19, paroisse de la Madeleine de la Ville-l'Évèque, dans une maison appartenant à M. le chevalier du Housset, trouvée par les notaires soussignés dans une chambre à coucher au premier étage d'un corps de logis, au fond de plusieurs autres bâtiments, ladite chambre ayant vue sur la cour et le jardin, madame la duchesse au lit, malade de corps, mais saine d'esprit, mémoire et bon jugement, ainsi qu'il est apparu auxdits notaires soussignés en conversant avec elle.
Laquelle, après que lecture lui a été faite par un des notaires, en présence de son confrère, de son testament et de ses deux codicilles des autres parts, a, par ces présentes, fait, dicté et nommé par forme de codicille, auxdits notaires soussignés, ce qui suit.
En ajoutant au legs que j'ai fait par mon codicille du vingt-cinq juin mil sept cent quatre-vingt-un des autres parts à Mme de La Blâche, ma filleule, fille de M. le comte de La Blâche, d'une somme de quarante mille livres, je veux que ledit legs soit augmenté de cinq mille livres, en sorte que je lui donne et lègue la somme de quarante-cinq mille livres, toujours à prendre limitativement sur mes deux contrats sur le clergé avec la jouissance du premier jour d'avril ou de celui du mois d'octobre qui suivra mon décès.
L'écuelle, le couvercle et le plateau d'argent que j'avais légués à la nommée Richard, ma seconde femme de chambre, par mon codicille du quatorze août mil sept cent quatre-vingt-un, des autres parts, n'étant plus en nature, je veux que ladite Richard soit indemnisée de la valeur desdits objets, suivant que mon exécuteur testamentaire arbitrera cette valeur.
Je donne et lègue à Mme la duchesse d'Ancenis, ma nièce, toutes mes toiles de Perse et étoffes étrangères, ainsi que toutes les étoffes qui se trouveront en pièces. Je confirme, au surplus, la nomination de M. le duc de Charost pour mon exécuteur testamentaire. Ce fut ainsi fait, dicté et nommé par madame dame duchesse de Fallary auxdits notaires soussignés et à elle par l'un d'eux, son confrère présent, relu ce qu'elle a dit avoir bien entendu et y persévérer.
À Paris, en la chambre susdésignée, ledit jour treize juillet mil sept cent quatre-vingt-deux, heure de midi, et a signé la minute des présentes étant ensuite de celle des testament et codicille dont expédition sont des autres parts, le tout demeure audit Me Brichard, notaire, qui a délivré ces présentes ce jourd'hui vingt-neuf août mil sept cent quatre-vingt-deux.
De Caux. Brichard.
Et madite dame duchesse de Fallary, s'étant mise en devoir de signer, n'a pu former en différentes reprises que les caractères ci-dessus, ainsi qu'elle l'a déclaré auxdits notaires soussigné par eux de ce enquise suivant l'ordonnance aini qu'il est dit en fin de la minute des présentes.
Insinué à Paris, le six septembre mil sept cent quatre-vingt-deux.
Reçu sept cent trente-trois livres dix sols, compris les dix sols pour livre sans préjudice du 100 denier à payer dans le délais des règlements.






NOTES GÉNÉALOGIQUES

GORGE D'ENTRAIGUES

Etienne Gorge, marchand d'eau-de-vie à Nantes, marié avec Perrine Le Mercier, eut, outre : Jeanne Gorge, mariée en 1681 à Charles Le Pennec +1701, seigneur du Bois-Joalland, et Paul Gorge, chanoine à la cathédrale de Nantes :
-Pierre Gorge, chevalier et seigneur d'Entraigues, baron de Roise, la Chapelle, la Porte et autres lieux, secrétaire du roi, conseiller au Parlement de Metz, né en 1643, mort à Paris le 31 mars 1723.
Il se maria deux fois :
-1ères noces, le 31 janvier 1671, à Marguerite du Moley, fille d'André du Moley, avocat au Conseil et secrétaire du roi, et de Marie Couturier. Elle mourut le 23 décembre 1675 ;
-2èmes noces, le 12 février 1685, à Julie d'Estampes, fille de Dominique d'Estampes et de Marie-Louise de Montmorency-Bouttevîlle. Elle mourut le 23 décembre 1705.
Du premier lit :
Chrestien-François, baron de Roise, conseiller au Parlement, doyen de la 4e chambre des enquêtes, né le 25 mars 1678, mort le 25 Juillet 1737. Il épousa Jeanne-Françoise Joubert de Gondouville, morte en 1731. Sans postérité.
Du deuxième lit (4 enfants) :
1° Marguerite, religieuse aux Filles de la Visitation du faubourg Saint-Jacques ;
Pierre-François, comte de Meillant, seigneur de Charenton-du-Cher, de Claix et de Saint-Germain-de-Cubillac, duc de Falary, né en novembre 1685, mort à Moscou le 10 septembre 1740.
Il épousa d'abord, le 22 septembre 1710, Louise-Madeleine-Thérèse de Brichanteau de Nangis, morte le 6 mai 1713,
puis, le 1er novembre 1715, Marie-Thérèse d'Haraucourt, morte le 18 juillet 1782. Sans postérité ;
3° Julie-Christine-Régine, née le 22 septembre 1688, morte le 24 août 1737, mariée le 3 avril 1709 à Paul-François de Béthune, marquis d'Ancenis. Dont postérité ;
4° Henri-Pierre, seigneur de Claix, né le 8 septembre 1690, mort à Strasbourg en 1709.

HARAUCOURT

Claude-Ballhazar, de son vrai nom Blonel, prit vers 1648 le nom de marquis d'Haraucourt et devint baron de Charantonay et Saint-Marcel, seigneur de Puisgros et Vougry, coseigneur de Montregard, chevalier d'honneur au Sénat de Savoie et de la Sacrée religion des Saints-Maurice et Lazare, commandeur de Notre-Dame de Vions.
Né en 1626, il mourut le 23 février 1706 et épousa, le 8 septembre 1695, Thérèse Falcoz de La Blâche, née vers 1679, morte en juin 1771, dont :
1° Claude-Joseph, marquis d'Haraucourt, mestre de camp d'infanterie réformé, né le 21 octobre 1699, décédé à Saint-André-de-Briord le 11 avril 1775. Non marié ;
2° Gabriel, chevalier d'Haraucourt, ancien chef de bataillon au régiment de Navarre, né en 1700, mort le 19 septembre 1774. Non marié ;
Marie-Thérèse, née en 1697, morte le 18 juillet 1782, mariée à Saint-André-de-Briord, le 1er novembre 1715, à Pierre-François Gorge d'Entraigues, duc de Falary. Sans postérité.

FALCOZ DE LA BLÂCHE

Dans cette ancienne famille noble du Dauphiné, qui possède une filiation régulière depuis 1447, nous commencerons à :
Alexandre de Falcoz, seigneur de La Blâche, de Nerpol, etc., capitaine de cavalerie, qui épousa en 1674 Gabrielle de Levis-Chateaumorand, dont il eut douze enfants :
1° Pierre-François, comte d'Anjou, mousquetaire du roi ;
2° Victor-Amédée, né en 1679, page de la Grande Écurie ;
3° Jean-Armand, sieur du Mestral, mousquetaire, puis brigadier des armées du roi ;
4° Hélène-Henriette, abbesse de Bons-en-Bugey ;
5° Françoise-Marie, mariée le 30 avril 1693 au marquis de Yailins de Châteauvillain ;
6° Anne, abbesse de Bousse, en Languedoc ;
7° Thérèse, mariée au marquis d'Haraucourt ;
Cinq autres enfants morts jeunes.
Des trois fils, deux eurent une descendance mâle : le cadet, Jean-Armand, chef de la branche du Mestral, qui s'est éteinte au milieu du XVIIIe siècle,
l'ainé qui suit :
Victor-Amédée Falcoz de La Blâche, comte d'Anjou, page de la Grande Écurie en 1696, marié : 1° le 30 octobre 1703, à Louise du Bosc de Solignac, d'une ancienne famille du Vivarais ; 2° à Françoise du Puy de Murinais.
Du second lit, il eut une fille mariée à Claude de Murât, marquis de L'Estang,
et du premier il eut :
Alexandre-Laurent-François Falcoz, marquis de La Blâche, brigadier des armées du roi, né en 1704, mort le 11 juin 1783, marié le 3 mars 1738 à Marguerite de Poissy, dont trois fils :
1° Alexandre-Joseph, né le 11 avril 1739, mort le 5 décembre 1799, marié à Charlotte Gaillard de Beaumanoir, dont une fille mariée en 1802 au comte d'Haussonville, qui eut postérité ;
2° N...., mort à neuf ans au collège Louis-le-Grand ;
3° Jean, né le 28 décembre 4743, mort en 1821, marié le 23 mars 1772 à Catherine le Roy de Senneville, dont une fille, Gabrielle-Joséphine-Marguerite, née le 6 juillet 1773, décédée en 1849, rue de Sèvres, au couvent des dames Saint-Thomas.
C'est entre les mains d'Alexandre-Joseph et de Jean que tombèrent les biens, fortune, terres, meubles des deux frères d'Haraucourt et de la duchesse de Fallary ; leur biographie nous intéresse donc particulièrement.

ALEXANDRE-JOSEPH, comte de La Blâche
Il naquit au château d'Anjou et entra très jeune dans la carrière des armes. Voici ses états de service :
Lieutenant réformé sans appointements à la suite du régiment Royal-Dragons, 1er avril 1761
Admis dans les chevau-légers de la garde ordinaire du roi, 4 janvier 1758
Capitaine, 20 février 1785
Mestre de camp lieutenant, 14 juin 1787
Brigadier de dragons, 25 juillet 1762
Maréchal de camp, 3 janvier 1770
Chevalier de Saint-Louis, 1er février 1763
Campagnes 1760 et 1761 en Allemagne.
Il fut élu, le 2 janvier 1789, député de la noblesse aux états généraux par la province du Dauphiné, siégea sur les bancs de la droite et fut un des signataires des protestations générales des 12 et 15 septembre 1791 contre les actes de l'Assemblée. Il habitait rue Harlay, au Marais, lorsque la Révolution le força d'émigrer.
Son gendre, le comte d'Haussonville, pair de France, chambellan de l'empereur Napoléon 1er demeura le seul héritier des d'Haraucourt, des La Blâche et de la duchesse de Fallary. Son fils l'a signalé dans son intéressant volume de souvenirs:
« J'ai hérité d'une parente éloignée restée fille et qui portait le nom d'Haraucourt. » (C'était Mme Gabrielle-Joséphine-Marguerite Falcoz de La Blâche d'Haraucourt, la cousine germaine de Mme d'Haussonville.)
« Mon père avait connu dans le monde de Lon-dres Mme de La Blâche, fille du comte de La Blâche, député de la noblesse du Dauphiné à l'Assemblée constituante. Mme de La Blâche, fiancée pendant l'émigration à M. de Sombreuil, qui périt d'une façon si tragique à la malheureuse affaire de Quiberon, était rentrée à Paris pour recueillir l'héritage de son père ; elle y était alors retenue par des affaires qu'elle ne pouvait terminer.... (Il l'épousa.) Mes parents s'établirent dans une maison rue de la Ville-l'Evéque, n° 1. Ils passaient une partie de la belle saison au château de Plaisance, sur les bords de la Marne. Celle habitation faisait partie de la succession de M. Pâris-Duverney, dévolue au comte de La Blâche, son neveu, et qui fut, en 1775, l'occasion du procès soutenu par Beaumarchais. » (Ma jeunesse, par le comte d'Haussonville. Paris, 1885.)

JEAN DE FALCOZ, vicomte de La Blâche, DIT LE MARQUIS D'HARAUCOURT
Né à Paris, paroisse Saint-Nicolas des Champs, il entra au service dans le même régiment que son frère :
Lieutenant réformé au régiment Royal-Dragons, 15 janvier 1758
Lieutenant, 7 décembre 1759
Capitaine, 29 avril 1761
Réformé, 1763
Capitaine, 28 mars 1764
Guidon des gendarmes Dauphin, 29 juin 1770
Enseigne des gendarmes de Provence, 18 août 1771
Rang de mestre de camp, 17 mai 1773
Second lieutenant des gendarmes de Monsieur, 24 février 17??
Premier lieutenant des gendarmes anglais, 3 juin 1778
Émigré, 1789
Maréchal de camp, 1er janvier 1795
Remis en activité à Gand, 19 juin 1815
Grade honorifique de lieutenant général, 10 mai 1816
Chevalier de Saint-Louis, 17 mai 1773
Cinq campagnes.
Le 14 mars 1783, il acheta au marquis d'Abo pour 103,000 livres, la charge de premier chambellan de Monsieur, frère du roi, en survivan avec adjonction de M. le chevalier de Montagna
À partir de 1784, l'Almanach royal le cite uniquement comme marquis d'Haraucourt, nom très irrégulier, ainsi qu'on l'a vu.
Il habitait à Paris, rue Neuve Saint-Charles des Pépinières, faubourg Saint-Honoré, mais se trouvait à Belley au moment des premiers troubles de 1789 et, ayant manifesté dans les assemblées primaires tenues en cette ville son attachement à la royauté, on l'emprisonna.
Au bout de trente deux jours de détention, il fut relâché et s'empressa de quitter la France. Ses biens, qui étaient considérables, furent alors saisis, vendus le 9 février 1792 et il se trouva presque sans ressources. Ayant rejoint l'armée des Princes, on l'incorpora dans le corps de gendarmerie ; il fut attaché au comte de Bassompierre, maréchal de camp, et fit la campagne de 1792. Après le licenciement, il partit pour Londres où il devint aide de camp du marquis de Miran, lieutenant général, lequel devait faire partie, en 1798, d'une expédition commandée par Lord Moira. Il toucha la pension anglaise jusqu'en 1801, époque de sa rentrée en France. Il regarda passer l'empire et, en 1818, partit pour Gand. S'étant présenté à Alost, au duc de Berry, celui-ci le fit entrer aux mousquetaires noirs. Il escorta le roi à son retour et fut admis à la retraite, n'en continuant pas moins à faire son service dans la garde nationale à cheval. Louis XVIII, pour récompenser cette recrue de soixante-treize ans qui en avait soixante-deux de service, lui donna le grade honorifique de lieutenant général.
Sa fille unique, morte en 1849, ne s'étant pas mariée, ses biens allèrent à Mme la comtesse d'Haussonville.

Les familles Gorge d'Entraigues, d'Haraucourt et Falcoz de La Blâche n'ont plus, de nos jours, aucun descendant mâle.


Sur la famille de Girardin de Vauvré, et sur Madame de Prie (née Berthelot), voir en bas de la page des notes généalogiques de l'ouvrage sur René Louis de Girardin, par André Martin-Decaen.


DU MÊME AUTEUR
Poésies
Rasure et ramadons (poésies comtoises).
Chansons poudrées.
Au petit bonheur.
Claironnées.
Grayloiseries.
Prose
Franches contées.
La première levée.
À travers ma vie (Souvenirs d'Armand Marquiset, 1797-1859). H. Champion, éditeur
La phrase et le mot de Waterloo. H. Champion, éditeur.





NOTES
















(1)
Nobiliaire du département de l'Ain, par Jules Baux. Bourg-en-Bresse, 1864.














(2)
Archives de l'État. Turin. — Relation de la Cour de Savoie. Paris, 1667. — La Bibliothèque royale de Turin possède un manuscrit sur lequel ce dernier libelle a été imprimé, avec peu d'exactitude d'ailleurs, car l'éditeur a défiguré les noms propres. Dans l'opuscule, le comte Tana est appelé Lanna et Blonel est changé en Blond.














(3)
Archives du département de l'Ain, E. 75. — Dans les nombreuses pièces qui se trouvent à Bourg, le mot Haraucourt est écrit Rocour, Raucourt, d'Arrocour, d'Araucourt, etc., mais il ne faut pas oublier qu'autrefois on écrivait ce qu'on entendait. L'orthographe fixe des noms propres est une chose moderne.
















(4)
Mémoires de Mme de Montpensier, Paris, 1728.














(5)
Archives du département de l'Ain E 76.














(6)
La Chesnaye-Desbois. — Bibliothèque nationale. Ms. Chérin 76. — Archives nationales T°540. — D'après ces deux premières sources, on ne trouve que sept enfants d'Alexandre de Falcoz de La Blâche, mais MM. Martinon, directeurs des Archives de la noblesse 100, rue de Miromesnil, ont eu l'obligeance de m'autoriser à consulter leurs nombreux documents, dans lesquels existe une lettre adressée le 20 septembre 1762, de Saint-Marcellin, au libraire Duchesne : celui-ci écrivait : « Alexandre de Falcoz, mon père, épousa Gabrielle de Lévis-Châteaumorand, dont il eut cinq fils et sept filles, dont plusieurs moururent en bas âge. »
















(7)
Registres paroissiaux de la Métropole de Chambéry.














(8)
Archives du département de l'Ain, E. 76. — Archives d'Haussonville. J'indique sous ce titre général les nombreuses lettres ou pièces de procédure que M. le comte d'Haussonville a bien voulu mettre à ma disposition. Je tiens à remercier encore une fois ici le distingué académicien de sa parfaite obligeance et de son extrême courtoisie.
















(9)
Ce nom de d'Ocrain, que d'Haraucourt donnait à une branche de sa soi-disant famille, n'existe dans aucune généalogie ; il y avait seulement les d'Haraucourt, seigneurs de Germiny, qui portaient le titre de baron de Lorquin. L'aventurier devenu grand seigneur ignorait probablement le nom exact de ses parents.
















(10)
Archives du département de l'Ain, E. 76. — Archives nationales» T 1130 Y 55. — Nobiliaire du département de l'Ain, par Jules Baux.














(11)
Dans la préface de son livre : Intrigues et missions du cardinal de Tencin, M. Maurice Boutry a écrit : « Son frère, le président de Tencin, eut l'avantage de précéder le Régent dans les bonnes grâces de la duchesse de Phalaris.» Cette assertion n'est appuyée d'aucun témoignage contemporain et je n'en ai trouvé nulle trace dans les Mémoires du temps.














(12
) Edmond et Jules de Goncourt : La Femme au XVIIIe siècle, Paris, 1877. — Victor de Bled : La Société française 5e série.














(13)
Pierre Gorge eut un frère cadet, chanoine de la cathédrale de Nantes, et quatre sœurs.














(14)
Bibliothèque nationale — Ms. Dossiers bleus 321. — Archives nationales Ms. MM 818 — Histoire du parlement de Metz. Biographie id., par Emmanuel Michel. Chose curieuse, un grand nombre de familles des quatre coins de la France comptent à leurs débuts dans la noblesse un conseiller au parlement de Metz. Les offices délivrés, moyennant finances étaient héréditaires et transmissibles ; celui de conseiller lui valait 36,000 livres. Avant d'acquérir une charge, le postulant devait montrer les documents établissant qu'il réunissait, sous le rapport de la naissance, de la famille, de la bonne conduite, les conditions nécessaires. Le roi accordait des dispenses d'âge, de service, de parenté ou d'alliance ; bonne précaution en faveur des candidats du genre Gorge. Pour rehausser son lustre, la haute compagnie se montrait assez facile pour attirer à elle la vertu et le talent ; vis-à-vis de la fortune, elle était tout à fait coulante. Quant à la charge de secrétaire du roi, voilà ce qu'en dit le Tableau de Paris : « Le nouvel anobli qui vient d'acheter cette charge, tout étonné de sa génération, est presque honteux d'avoir été roturier. Il s'éloigne de toutes ses forces de la chose dont il sort.... Le fils d'un secrétaire da roi sera plus noble que son père, aussi l'acheteur de la charge n'envisage-t-il qu'avec un certain respect ce fils qui, épurant la race, devient la tige d'une famille de gentilshommes. »














(15)
Journal et mémoires de Matthieu Marais, t. II. Paris, 1863. — Journal du marquis de Dangeau, t. II. Paris,, 1855.














(16)
Bulletin de la Société d'archéologie de la Drôme, t. X : La vie de province au XVIIIe siècle, par M. de Gallier.
















(17)
Correspondance entre Boileau et Brossette, Paris, 1858.














(18)
Biographie du Parlement de Metz, par Emmanuel Michel.














(19)
Registres du grand séminaire de Saint-Sulpice.














(20)
Frère et sœur de François Gorge d'Entraigues :
- Chrétien François Gorge d'Entraigues, baron de Roise (1675-1737), et
- Julie Christine Régine (1688-1737), épouse de Paul François de Béthune, duc de Charost, duc d'Ancenis.














(21)
Archives nationales, Y 44.
















(22)
Quoique Meillant fût une baronnie, François Gorge prit le titre de comte. Mystère commun dans l'aristocratie !
















(23)
Bibliothèque nationale, Ms. Dossiers bleus 321. Archives du ministère des affaires étrangères. — Journal et mémoires de Matthieu Marais t. II. Mercure de France














(24)
Archives du Vatican. — L'origine de ce nom semble être l'ancienne Faleria, près de Civita-Castellana (États romains), ou la ville du même nom située dans l'Étrurie méridionale, dont le territoire s'appelle actuellement Sancta Maria di Falleri. Quant aux causes de l'anoblissement, elles étaient : la recommandation particulière du cardinal de Valençay et l'illustration de la famille Gorge d'Entraigues. Le pape n'était pas difficile ! Bien que Falari soit l'orthographe exacte du titre donné par la chancellerie romaine (non : voir ci-dessous), le duc et la duchesse francisèrent leur nom.... de façon différente et fort variable. La duchesse signa toujours Fallary et le duc tantôt Falary tantôt Falari ; certains factums imprimés pour des procès portent aussi Fallaris. Pour résumer, j'adopte la forme française : le duc de Falary, la duchesse de Fallary. L'orthographe Phalary est une erreur ou une fantaisie des historiens.
- Sec. Brev., Reg. 2369, ff. 23r-29v : breve del 23 maggio 1714, contenente al suo interno copia del chirografo dell’11 maggio del medesimo anno per il conferimento del titolo di duca di Falleri, con descrizione della varie facoltà connesse, tra cui cenni circa l’utilizzo dello stemma.


Pape François, Pentecôte 2017















(25)
L'Écho de Vaucluse du 29 juillet 1841 parle du séjour de Fallary à Avignon en 1715. Il cite comme trace de son passage une obligation notariée de 3,000 livres souscrite par lui en faveur du sieur Martin, traiteur. Et il y en eut d'autres ! — L'appui de Mme de Piombino était d'ailleurs médiocre. Elle accompagnait Elisabeth Farnèse, qui se rendait à Madrid pour épouser Philippe V. Le mariage eut lieu le 16 septembre 1714. La reine s'embarqua à Gênes, mais une tempête la força à débarquer à Monaco, d'où elle gagna l'Espagne en traversant le midi de la France. Mme de Piombino était une grande amie de Mme des Ursins, or celle-ci allait être exilée par Elisabeth dès son arrivée dans son royaume.














(26)
Pour cette partie de la vie de Falary, j'ai suivi le récit qu'en fait son père dans une longue lettre qu'il adressa au duc de Lévy, le 26 février 1721. La copie de cette lettre se trouve aux archives du ministère des Affaires étrangères.














(27)
Archives de Me Raffîn, notaire à Paris.
















(28)
Archives nationales Y 296, T° 540. — Le Journal historique sur les matières du temps, du 10 janvier 1716, annonce le mariage comme célébré à Saint-Menellin en Dauphiné. Divers auteurs et annotateurs l'ont répété et ont ajouté que la duchesse était née en ce lieu.... qui n'existe pas.














(29)
Bibliothèque nationale. Ms. Pièces originales 329.














(30)
Archives nationales. Ma. MM 818.














(31)
Archives nationales, Y 296.
















(32)
Archives d'Haussonville.














(33)
La Chesnaye-Desbois. — Journal du marquis de Dangeault, XIV. — Mémoires de Mme de Stael. Paris, 1755.
















(34)
Victor du Bled : La Société française 4e série.














(35)
Gazette de la Régence. Paris, 1889. — Les correspondants de la marquise de Balleroy, t. I. Paris, 1883.














(36)
On a écrit que Mme d'Haraucourt était alors dame d'honneur de la duchesse de Berry. Son nom ne figure, ni en 1717 ni en 1719, dans l'État de la maison de cette princesse qui se trouve aux Archives nationales.
















(37)
Archives du ministère de la guerre.














(38)
Archives du département de l'Ain. E. 76.
















(39)
Archives d'Haussonville.














(40)
Fallarira dondène, fallarira donde,
Trois petits couteaux dans une gaine :
L'un est rouge et l'autre est blanc,
L'autre est emmanché d'argent ; fallarira, etc.
« Les trois petits couteaux sont les trois amants de la duchesse, qui sont le marquis de Tessé, Lévy et Préaulx. Et ainsi le Régent a appris qu'il avait des précurseurs. » Matthieu Marais t. II.














(41)
H. Thirion ; Madame de Prie. Paris, 1905.














(42)
Archives du ministère des Affaires étrangères.














(43)
Correspondance de Madame, t. II.














(44)
Le Régent n'était pas heureux dans ses tentatives légitimes avec la duchesse d'Orléans, qui « ne faisait que des filles. » L'opinion s'en émouvait, témoin cette lettre anonyme adressée à Philippe par une dame qui regrettait de ne pas lui voir d'enfants mâles : « J'ai entendu dire par une vieille grand'mère que pour avoir des garçons, il fallait, après quarante ans passés, se reposer un mois et que le mois de septembre et le mois de janvier ordinairement faisaient des garçons. Que Mme la duchesse d'Orléans prenne du chocolat pendant un mois devant le mois de septembre et vous, Monseigneur, faites divorce avec vos belles qui peut-être ne le paraissent qu'à vous. Buvez peu de vin, il vous donnera mille incommodités qui vous ôteront goût de toutes choses. »
— Archives nationales K. 138. Les conseils étaient bons et la recette facile à suivre.














(45)
Bibliothèque de l'Arsenal. Chansons du temps de la Régence. Ms. 3277.














(46)
Archives d'Haussonville.














(47)
Mémoires du chevalier de Ravanne.














(48)
Michelet : La Régence. Paris, 1871-74.














(49)
Journal de Mathieu Marais t. II. — Capefigue : Philippe d'Orléans. — Journal des règnes de Louis XIV et Louis XV par Pierre Narbonne. — Capefigue : La comtesse de Parabère et le Palais-Royal. — Histoire de France pendant le XVIIIe siècle, par Charles Lacretelle. — Le Cabaret de la Maison-Rouge par Emile Faure. — Michelet : La Régence.
















(50)
Pour savoir ce qu'était réellement la duchesse en son beau temps, il suffit de regarder son portrait en Cérés placé en tête de ce volume. C'est le seul authentique qui existe. Il appartient à M. le comte d'Haussonville, qui l'a eu par héritage de sa grand-mère, née Falcoz de La Blâche, petite-nièce de Mme de Fallary.
À l'exposition des portraits nationaux organisée au Trocadéro en 1878 figura une toile de forme ovale que le catalogue, dressé par M. Henry Jouin, indique comme étant le portrait de la duchesse de Fallary, par François de Troy, toile appartenant au baron Seillière. Cette attribution est sûrement erronée. La facture est de Largillière et la dame représentée est une femme de cinquante à soixante ans portant une coiffure en Louis XIV. En outre, François de Troy est mort en 1730, époque à laquelle la duchesse de Fallary n'avait que trente-trois ans. Il y a donc une erreur de peintre et de modèle.
Le portrait appartenant à M. le comte d'Haussonville doit être attribué à la Rosalba, « ce miracle des roses. »














(51)
Les maîtresses du Régent, par M. de Lescure. Paris, 1861.














(52)
Chansonnier Clairambault-Maurepas, t. III. Paris, 1880.














(53)
Voir page 167.

















(54) Marais, probablement par lassitude, ne continua pas les litanies des ruptures et des raccomodements. Quatre mois plus tard, la duchesse était toujours en faveur, puisqu'on trouve cette note dans les Pièces inédites sur les règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI (par Soulavie), t. II. Paris, 1809 : « 30 mai 1721. — Le Régent manda encore Mme de Falaris pour souper au Palais-Royal. »











(55)
Bibliothèque Mazarine : Recueil de chansons et anecdotes. Ms. 3983.
















(56)
Correspondance de Madame. — Lescure : Les maîtresses du Régent. — F. Barrière : Tableaux de genre et d'histoire. — Souvenirs du comte de Caylus, — Saint-Simon, t. XV. — Arsène Houssaye : La Régence.














(57)
Mémoires de Saint-Simon. — Duclos : Mémoires secrets. — Correspondance de Madame.














(58)
Lemontey : Histoire de la Régence, Paris, 1832.














(59)
Les Correspondants de la marquise de Balleroy, t. II.














(60)
Cette anecdote fut mise en chanson et se trouve dans le tome III du Chansonnier Clairambault-Maurepas.














(61)
Mathieu Marais, t. II. — Archives du ministère des Affaires étrangères, Ms. 1245. — Bibliothèque de l'Arsenal, Archives de la Bastille. Ms. 10731.














(62)
Légendes et archives de la Bastille par Frantz Funck-Brentano. Paris, 1898.
— Maintenant que l'histoire se clarifie sous la lumière des documents, que les romans de Michelet ou les feuilletons de Louis Blanc font sourire le lecteur, la Bastille nous apparaît ce qu'elle fut réellement au XVIIIe siècle, une geôle de luxe et, pour beaucoup, une maison de repos. Si la perte de la liberté pouvait trouver ici-bas sa compensation, il est probable que les pensionnaires de M. de Launay eussent toute leur vie regretté son régime tutélaire après leur libération par le peuple triomphant.
Que la chute de la Bastille soit un symbole, une époque, une date, je l'admets ; que la Révolution se glorifie d'avoir, le 14 juillet, démoli une dynastie vermoulue, je le veux bien ; mais qu'elle se vante d'avoir pris une forteresse qui se livrait, il n'y a pas de quoi.
La Bastille renfermait comme garnison un gouverneur incapable, trente-deux suisses et quatre-vingt-deux invalides, pas un seul coup de canon ne fut tiré de l'intérieur et les assiégés ne résistèrent même pas aux quatre cents assiégeants appuyés des dix mille curieux qui ne songeaient nullement à forcer des portes s'ouvrant d'elles-mêmes. C'est de l'héroïsme à bon compte. Quand on voit la misère publique, quand on voit les hôpitaux remplis, les asiles de nuit bondés, les soupes populaires insuffisantes, on se met à regretter la Bastille. De nos jours elle refuserait du monde.














(63)
Archives du ministère des Affaires étrangères, Ms. 1245.














(64)
Archives de la Bastille, par François Ravaisson. Paris, 1882, t. XIII.














(65)
Pièces inédites sur les règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI (Soulavie). Paris, 1809, t. II.














(66)
Plus tard, on les nomma : Folie. Les noms de la Folie-Méricourt et de la Folie-Saint-James sont venus jusqu'à nous. Voir à ce sujet : Mémoires tirés des Archives de la police par Peuchet. Paris, 1838.














(67)
Archives de la Bastille, par François Ravaisson. Paris, 1882, t. XIII. — M. Ravaisson a évidemment mal lu l'original de cette lettre. Le grade de maréohal de camp réformé n'existait pas et les Archives de la guerre portent que Claude-Joseph d'Haraucourt fut nommé le 3 septembre 1721 mestre de camp réformé sans appointements à la suite du régiment de Navarre, dans lequel son frère servait comme lieutenant. C'est le second grade qui est le vrai.
















(68)
Archives d'Haussonville.














(69)
Étude de Me Mouchet, notaire à Paris. — Archives nationales, T° 540.














(70)
« Depuis quelques jours, on s'est plaint des robes rabattues des femmes, qu'elles portent partout et jusque dans les églises. Le Régent a répondu qu'il ne ferait jamais aucun changement sur cela, qu'il avait toujours troussé les femmes et qu'il ne voulait pas que, sous sa régence, on dit qu'il les avait fait se trousser elles-mêmes. Il tourne tout en raillerie et vient à bout de tout ». (Journal de Mathieu Marais, t. II).














(71)
Feuillet de Conches : Les causeries d'un curieux. Paris, 1862, T. II. — De Cabanès : Les indiscrétions de l'histoire, 2e série. — La vie privée d'autrefois par Alfred Franklin. Paris, 1887. — Les élégantes de l'époque, ainsi travaillées en pleine pâte, ne captivaient point tous les suffrages, témoin cette Anglaise qui, passant à Paris en 1718, écrivait : « À propos de contenance, il faut que je vous dise quelque chose des dames françaises. J'ai vu toutes celles qu'on cite comme des beautés, et vraiment ce sont, je ne puis m'empêcher de prononcer cette grossière expression, de dégoûtantes créatures. Elles sont absurdes dans leurs fantaisies de parures, monstrueusement hors de toute nature, par le rouge dont elles se fardent, et leurs cheveux coupés courts et bouclés autour de leur figure et poudrés excessivement, leur donnant l'air de porter des perruques de laine. Sur leurs joues s'étend un rouge aussi vif que celui du Japon, qui les fait paraître toutes enflammées ; enfin, elles n'ont vraiment pas figure humaine. Je suis tentée de croire qu elles ont pris la première idée de leur coiffure sur la toison d'une brebis. » (Œuvres de Lady Montague, Paris, 1804, t. II.) Appréciation sévère, mais probablement juste !














(72)
Journal de Verdun, octobre 1724.














(73)
Mémoires de J.N. Dufort, comte de Cheverny, Paris, 1886.














(74)
Archives du ministère des Affaires étrangères, ms. 1247. — Bibliothèque nationale, Nouv, acq. fr., ms. 9674.














(75)
Journal de la Régence par Jean Buvat, t. II. Paris, 1865. Mme de Fallary ne dut pas conserver longtemps cette place, car son nom ne figure ni dans l'État et menu général de la maison de Mme Infante, de 1722, ni dans celui de 1724, conservés à la Bibliothèque Mazarine.














(76)
Archives du Ministère de la guerre.
















(77)
Bibliothèque nationale, Nouv. acq. fr., ms. 4995.














(78)
Archives nationales R 3 91. — Journal de la Régence, de Buvat.














(79)
Archives nationales, X Ia 9162.
















(80)
Archives nationales, E 2435, Y 13118. Ce droit de méage était un droit d'entrée dans certaines villes de Bretagne.
















(81)
Archives nationales, K 884.














(82)
Comte de Chastellux : Notes prises aux archives de l'état civil de Paris, Paris, 1875.














(83)
Voir Buvat, Duclos, Saint-Simon, Mme de Balleroy, Barbier, Marais, Bois-Jourdain, Leniontey, Capefigue, Lescure, etc. — Les historiens ne sont pas d'accord sur la façon exacte dont mourut le prince ; la question n'a point par elle-même très grande importance, puisque le résultat fut le même dans les différentes narrations. Les deux compères Marais et Barbier avancent, comme d'habitude, une version assez crue. Marais surtout qui, dans son récit, a la préposition plus cynique que Barbier. — Le Régent expira au rez-de-chaussée du palais de Versailles, salle n° 49.














(84)
Correspondance entre M. de Saint-Fonds et le président Dugas publiée par William Poidebart. Lyon, 1900.
















(85)
Bibliothèque Mazarine, ms. 3983.














(86)
Chansonnier Clairambault-Maurepas, t. III.














(87)
Archives principales de l'État de Saxe. Correspondance du maréchal comte de Flemming, vol. LXVIII, loc. 685.














(88)
Il n'était pas duc de Charenton, mais seigneur de Charenton (Charenton-du-Cher, à proximité de Meillant, Cher).














(89)
Archives du Ministère des Affaires étrangères, ms. 1247.
















(90)
Archives du Vatican.
- Sec. Brev., Reg. 2646, ff. 104r-108v : conferma dell’erezione del ducato di Falleri (26 settembre 1725).


Pape François, Pentecôte 2017















(91)
Archives du ministère des Affaires étrangères, Autriche, Vol. 152, fol. 42.














(92)
Bibliothèque du Conseil de Leipsick : Chronique manuscrite.














(93)
Archives de l'État de Saxe : Correspondance du comte de Brühl, loc. 454, fol. 137, 138, 141.














(94)
Archives de l'État de Saxe : Correspondance du comte de Brühl, loc. 454, fol. 142, 144, 146, 147.














(95)
Pour ce roman résumé de la vie de Falary, j'ai eu recours, en outre de celles déjà citées, aux sources suivantes : le comte Henri XXIV de Reuss de Köstritz et le duc Charles-Léopold de Mecklembourg-Schwerin, par le D G.-C. Frederik Lisch. Schwerin, 1848 (Bibliothèque-Schwerin). — Archives du district de Nuremberg Délibérations du Conseil, 1732 et 1737. — Archives d'Haussonville. — Archives de la Bastille par François Ravaisson, t. XIII. — Archives du ministère des Affaires étrangères : Correspondance du marquis de La Chétardie, ms. 35.
— Le duc de Luynes, dans ses Mémoires, t. XI, s'est trompé en annonçant, le 14 juin 1741, la mort de Falary à Constantinople. Il est probable qu'il se fit simplement l'écho d'un bruit qui courait. D'autre part, l'un des plus érudits collaborateurs de l'Intermédiaire des chercheurs y signe : duc Job, abonné, dans le numéro du 20 janvier 1901, une biographie de Falary extraite du premier des ouvrages ci-dessus signalés, mais il a conclu faussement que l'aventurier n'était pas mort en Russie le 10 septembre 1740 et qu'il était revenu en France, où on l'avait perdu de vue.














(96)
L'homme au masque de fer. Mémoire par le chevalier de Taulès. Paris, 1825.














(97)
Ce diplomate n'avait pas eu une naissance banale. Son père, le marquis de La Chétardie, habitait avec son frère, curé de Saint-Sulpice, lorsqu'à l'âge de quatre-vingts ans (sic), il éprouva l'irrésistible envie de se marier. On lui trouva au couvent une jeune pensionnaire de quinze printemps, Mlle de Bérard de Montalet de Villebreuil, qui n'avait aucune fortune et accepta ce mariage disproportionné. Le soir même des noces, le vieux mari expirait dans la chambre de sa femme, laquelle se retira le lendemain en un cloître, où elle conserva son nom de Bérard de Montalet de Villebreuil (remariée en1708 au comte de Monastérol). Neuf mois après son premier et rapide mariage, lui naissait un fils, plus tard ambassadeur de France en Russie et amant de l'impératrice Elisabeth, qu'il aurait peut-être épousée, si ses maladresses n'avaient ouvert les yeux de la souveraine.














(98)
Archives d'Haussonville.














(99)
Mathieu Marais, t. III.
















(100)
Bibliothèque nationale. Lettres du président Bouhier, ms. fr. 25541.














(101)
Mathieu Marais, t. IV. Dans sa lettre du 14 juillet 1730, Marais écrit qu'il a vu à Passy Mme de Fallary avec quelques autres dames et qu'elles « en disaient des plus belles. »














(102)
Archives d'Haussonville.
















(103)
Archives nationales, T 741.














(104)
Archives d'Haussonville.














(105)
Nouvelles de la cour et de la ville, publiées par le comte E. de Barthélémy. Paris, 1879.














(106)
C'est du moins ce qu'avance un anonyme (Bibliothèque nationale, ms. Dossiers bleus 321), qui commet évidemment une erreur de date en assignant celle de 1735 à cet événement, puisque Souvré ne rentra en France qu'en 1736. Malgré mes recherches, il m'a été impossible de trouver la confirmation de ce fait et la trace de l'enfant.














(107)
Senac de Meilhan, Duclos, Auger, Saint-Simon, chronologie de Pinard, d'Argenson, lettres de Voltaire, Capefigue, Lescure, etc. — Capefigue écrit que Mme de Fallary ne sut pas garder la vertu résignée de la retraite et qu'elle resta liée avec Mmes d'Alluys et de La Fontaine-Martel, lorsque déjà sa voix tremblotante annonçait les années. Capefigue se trompe. À la mort de ces douairières, la duchesse avait environ trente-six ans. La plupart des femmes trouvent que, pour elles, cet âge équivaut à vingt ans passés.














(108)
Nobiliaire de l'Ain, par Jules Baux.
















(109)
Chansonnier Clairambault-Maurepas, t. IV.
















(110)
C'est l'archevêque de Reims qui avait conclu ce mariage, manquant ainsi une belle occasion de s'abstenir.














(111)
C'était le frère du maître des requêtes.
















(112)
C'était une des sœurs de Mme d'Haraucourt, une demoiselle Falcoz de La Blâche, abbesse de Bons. — Ces lettres, comme presque toutes celles de ce volume, sont tirées des Archives d'Haussonville.














(113)
Le Colporteur, par M de Chevrier. Londres (1761). — Archives nationales, Y 9538.














(114)
Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 10268, 11425, etc.














(115)
Voilà l'avis de M. de Chevrier sur la duchesse : voici celui de Grimm sur M. de Chevrier : « Aussi détestable écrivain que mauvais sujet, il a publié à Bruxelles ou à la Haye une rapsodie intitulée Le Colporteur et remplie de sottises et de satires contre les gens de tout état et de toute espèce. Cet exécrable ramas est vendu assez cher ici, parce qu'il se trouve toujours des oisifs qui aiment à fouiller dans les ordures. » (Correspondance littéraire de Grimm, t. III.) Favart émet le même jugement dans ses Mémoires, t. II.














(116)
Journal de Narbonne. — Anecdotes diverses des règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, Paris, 1790.














(117)
Saint-Simon, t. XIX. — Duc de Luynes, t. VIII et XI.
















(118)
Bibliothèque de la ville de Paris : Pot-Poury de Menin, ms. 29388. — Ce manuscrit a été analysé par M. Paul d'Estrée, en une intéressante étude parue dans les Souvenirs et Mémoires publiés par Bonnefon, janvier-juin 1900.














(119)
Étude de Me Legay, notaire à Paris.














(120)
Je sais la défiance que doivent inspirer ces Souvenirs, composés par Cousin, dit le comte de Courchamps. Pourtant, quand M. Léon Duval les appelait une polissonnerie spirituelle, Berryer lui répondait fort justement que l'auteur avait vécu autant au XVIIIe siècle qu'au XIXe, qu'il avait été lié avec Mme de Créqui et même emprisonné avec elle, qu'ainsi il avait dû apprendre soit d'elle, soit des personnes qui l'entouraient, une foule de détails intéressants. Je crois donc que, dans ce champ d'imagination, il y a de la vérité à glaner.














(121)
Journal et Mémoires du marquis d'Argenson.














(122)
Archives nationales, V 200.
















(123)
Journal des inspecteurs de M. de Sartines.














(124)
Archives du Ministère de la guerre. — Archives nationales, ZiA 507.














(125)
Étude de Me Legay, notaire à Paris.
















(126)
Ce fut plus tard l'hôtel Sébastiani, célèbre par le meurtre de la duchesse de Praslin.














(127)
C'est le portrait dont la reproduction est en tête de ce volume.
















(128)
Étude de Me Durant des Aulnois, notaire à Paris.














(129)
Duc de Luynes, t. XIV.














(130)
Cet élixir était une teinture composée de safran, de muscade, de cannelle, d'aloès, etc., additionnée de sirop de capillaire et colorée avec du caramel. L'épicier Garus se borna à rajeunir l'élixir de propriété inventée au XVIe siècle par le Suisse Paracelse. L'habile Garus et son élixir eurent une grande vogue sous la Régence. Ce médicament n'était ni meilleur ni pire que la plupart de ceux d'aujourd'hui.














(131)
Mémoires et journal du marquis d'Argenson, t. VI.














(132)
Archives d'Haussonville.














(133)
Archives nationales, T 1130S T 540-542, T 1616.














(134)
Archives nationales, E 2435.














(135)
Mémoires de Mme d'Epinay, t. I. — Mémoires du duc de Luynes, t. XIV. — Mémoires du comte Dufort de Cheverny. Paris, 1886.














(136)
La rente viagère faite par les Chaulnes se montait à 5,000 livres, dont 4.500 à la duchesse et 500 à La Figarède. À la mort de celui-ci, elle resta donc de 4,500 livres.














(137)
Correspondance secrète entre Marie-Thérèse et le comte de Mercy-Argenteau, t. II. Paris, 1875.














(138)
Il la conserva pourtant jusqu'en 1775 et porta le titre de surintendant honoraire.














(139)
Étude de Me Legay, notaire à Paris.














(140)
Le second fils était au collège Louis-le-Grand lorsqu'il mourut à l'âge de neuf ans.
















(141)
Petit-neveu d'un homme influent comme Pâris-Duverney et protégé de Mme de Pompadour, Alexandre de La Blâche avait été nommé capitaine à seize ans.
















(142) Archives nationales, O 1 529.
















(143) Bibliothèque nationale, ms, Chérin, 76.
















(144) Les quatre Grands-Chevaux de Lorraine étaient les d'Haraucourt, Lénoncourt, du Chatelet et Ligniville Cette dernière famille seule est encore représentée aujourd'hui.


















(145)
Archives du Ministère de la guerre. Cette affirmation n'est pas exacte, puisque l'Almanach royal, à partir de 1784, ne l'indique que comme « marquis d'Haraucourt ».
















(146)
Archives nationales, O 1 1252.














(147)
Beaumarchais : Mémoires.
















(148)
Grimm : Mémoires secrets, t. II.














(149)
Chamfort : Œuvres.
















(150)
Arsène Houssaye : Le 41° fauteuil. Paris, 1861.
















(151)
La loterie pour l'école militaire était assez compliquée. Elle consistait en quatre-vingt-dix numéros, à chacun desquels était joint un nom de tille pour les distinguer. On pouvait mettre de trois façons différentes, par extrait, par ambe et par terne. Il y avait huit tirages par an.... et l'on ne gagnait jamais, comme à toutes les loteries.














(152)
Cette lettre, trouvée aux Archives nationales par M. O'Kelly de Galway, a été publiée dans l'Intermédiaire des chercheurs et curieux du 10 novembre 1901.














(153)
Étude de Me Legay.














(154)
Capefigue : La comtesse de Parabère.














(155)
Duc de Lévis : Souvenirs et portraits, publiés par Barrière. Paris, 1879.
















(156)
Les neuf dixièmes des lecteurs auront oublié, comme je l'avais oubliée aussi, l'histoire du taureau de Phalaris ; la voici, d'après Bouillet : Phalaris, tyran d'Agrigente, qui vivait vers 566 avant Jésus-Christ, était effroyablement cruel. Un habile mécanicien, nommé Pérille, inventa pour lui un fameux taureau d'airain destiné à enfermer les condamnés qu'on voulait brûler à petit feu. Phalaris en fit l'essai sur le créateur lui-même, manière répréhensible d'accorder un brevet d'invention.














(157)
Soirées de S. M. Louis XVIII, par le duc de *** (Lamothe-Langon), t. I. Paris, 1835.
















(158)
On verra plus loin que Mme de Fallary mourut en 1782.














(159)
Il n'y avait aucun André dans la maison de la duchesse. Le premier domestique se nommait Baptiste et le second Picard.
















(160)
Chiffre fantaisiste. À la mort de Mme de Fallary, son passif se montait à la somme de 12,057 livres 12 sols (Archives nationales, T° 540).














(161)
Cette messe se disait au Saint-Esprit, à deux heures.














(162)
Journal de Collé, t. I. Paris, 1805.
















(163)
Comte de Chastellux : Notes prises aux archives de l'état civil de Paris. Paris, 1875.
















(164)
Archives nationales, Y 11277.














(165)
Archives nationales, T 510-542.














(166)
Étude de Me Legay.























Une grande partie de cet ouvrage été remasterisée depuis :

https://archive.org/stream/laduchessedefal00marqgoog/laduchessedefal00marqgoog_djvu.txt
que je remercie ici.