Et Milan



Dans ce village, il y a un château. C'est un très beau château. À l'époque, pour le construire, ou l'orner d'autres constructions (ce qu'il y a de bien, avec les châteaux, c'est qu'on ne sait jamais exactement, à moins d'avoir l'œil, et encore, à quelle époque telle partie, etc., sans compter les fondations, ce qui a été rasé, et cet ajout, là, cet ajout XIIe, rajouté au XIIIe, vous le voyez cet ajout, non le contraire, excusez-moi - je devrais faire la même chose avec mon appartement à Paris : les étagères du couloir, par exemple, remontent à 1990, une facture très particulière, posées par le propriétaire qui souhaitait obtenir un effet de corniche, et surtout libérer la moquette, non elle n'a pas été conservée, des livres qui s'y entassaient, jusque dans la chambre, qui a subi peu de modifications, si vous voulez bien me suivre…) - on fit venir des architectes d'Italie, un élève de Michel-Ange entre autres, la plupart de Milan. D'où le dicton, qui me trotte dans la tête depuis que je suis ici, et que je le connais :

- Et Milan fit Meillant.

Je connais ce dicton, ou ce proverbe, ou cette rengaine, cette scie, oui ! depuis une quinzaine de jours : et j'en suis quasiment poursuivi. Marcher, me laver les dents, tapoter mon stylo sur le bureau, chantonner dans la baignoire, couper des carottes en rondelles, bientôt respirer ?

Tout ce qui se prête, y compris de loin, à une activité rythmée ramène tôt ou tard à ce slogan.

Les cris perçants des paons, dans le parc du château, en deviennent, quand le soir tombe, c'est à ce moment qu'ils crient, presque rassurants. Alors qu'ils sont horribles, glaçants, en temps normal, hors slogan.

Je sais bien ce qui me plaît, là-dedans : le et. Commencez par un et, et c'est interminable.

Comme, en somme, une nuance diabolique apportée à l'aphorisme de Paul Valéry : « Tout commence par une interruption. »

En plein Berry ? Et en plein Paris, ce serait autrement ?

Et à présent, j'aimerais aussi que Et Milan me lâche un peu, dans les jours qui viennent. Plus de deux semaines à ce tempo, on en devient idiot. Que faire ?

Appeler les gens du château ? À propos des paons ?




Frédéric Berthet (1954-2003),
dans Paris-Berry récit,
écrit entre décembre 1991 et avril 1992.

À cette période, Frédéric Berthet a résidé à Meillant, dans la « maison de la Baillite ».

Publié aux éditions Gallimard en 1993. Réédité depuis.