LA BAILLITE

Cette belle maison au coeur de notre bourg serait, d'après certains, un ancien prieuré et son nom la déformation des mots "l'abbaye".
Pour d'autres, elle aurait été le siège du baillage de Meillant.

Il n'en est rien.

La Baillite est, tout simplement, la demeure cossue qu'un riche bourgeois meillantais, Jehan Lybault, se fit construire autour de l'an 1500. Ses armes parlantes, ornées de trois beaux lys (= Lybault), se voient encore, sculptés dans la pierre, sur une lucarne du grenier et au dessus de la porte principale.

Dans les contrats et autres documents antérieurs à la révolution de 1789 elle est appellée soit "la grande maison de feu maistre Jehan Lybault", soit "la grande maison des Libault".

Jehan Lybault était "bachellier en loyx, procureur du Roy nostre sire à Dun-le-roy, lieutenant de Charenton, Meillant, Chandeuil et le Pondiz, maistre des eaux et fourests desdicts lyeux et chatlin de Taumerais (Thaumiers)", comme nous l'apprend son épitaphe.



Une tradition familiale veut que la pièce de forêt appellée "les tailles à Jean Libault" lui ait appartenue et que Charles d'Amboise la lui ait gagnée au jeu.

Jehan Lybault mourut le 16 mai 1530 et fut enterré dans l'église. Sa tombe, surmontée de la statue grandeur nature d'une femme prostrée et en pleurs, s'y voyait encore en 1855.

Un de ses fils, François, était prêtre et desservait la chapelle du château, ainsi que messire Antoine Le Vert et plus tard Hermès du Chassin. Chacun d'eux y disait la messe une fois par semaine et recevait pour ses services cent sols tournois par an.

Son fils Jean lui succéda. Lieutenant en la justice de Meillant, notaire royal et procureur au baillage de Meillant, il avait épousé Allizon Roussard. Souvenons-nous que la belle-mère de Jacques Coeur était une Roussard. Ceux-ci étaient seigneurs de Givry, l'Osmois, le Chailloux et les Cloux. Un Pierre Roussard, sieur de l'Osmois, était maître des eaux et forêts de Meillant en 1454 et à ce titre on le retrouve le 30 avril 1470 en compagnie de N. de Gannay soutenant les droits du seigneur de Meillant contre les habitants de Dun dans l'affaire des usages de la forêt de Maulne.

Jean et Allizon eurent trois fils :
-Guillaume, qui devint conseiller au siège présidial de Bourges ;
-Antoine, qui fut prieur de Sainte-Catherine de Meillant;
-et Claude.

Notons en passant qu'en 1543 Jean signe une reconnaissance de rente à Catherine d'Amboise pour la Chaume de la Garde, au village aujourd'hui disparu de la Gâtée, joignant d'une part le bois de Coury et d'autre part les Tailles à Jean Libault.

Il est fort probable que Jean ait été condisciple de Calvin à l'Université de Bourges. Ce dernier logea-t-il chez lui quand il vint à Meillant ? C'est dans le domaine du possible. Dans ce cas, c'est à la Baillite que Jean Calvin aurait écrit le 13 septembre 1529 sa lettre à François Daniel.

Jean Libault étant mort vers 1553, son fils Claude devient à son tour lieutenant général de Charenton, Meillant, Chandeuil et Le Pondy, comme nous l'apprend sa pierre tombale. Il meurt le 24 juillet 1568 et est inhumé dans l'église où, quelques années plus tard, sa veuve Naulde Girault vient le rejoindre.

Arrivés à ce point, nous entrons dans une période confuse en raison à la fois du manque de documents et du nombre des Libault.

On les trouve partout : Sieurs de Crouron, Sarzay, Segogne, Saint-Rhomble, Billy et des Bouchailles. Ils sont notaires royaux, procureurs au baillage de Meillant, clercs jurés, gardenottes héréditaires, préposés aux contrats de la sénéchaussée de Bourbonnais... L'un est marchand à Bourges. D'autres sont bouchers, chirurgiens...

Ils sont alliés par mariage à toute la bourgeoisie de Meillant: les Seurre, Delafaix, Theurault, Charrier, Gousset, Bonnet, sans doute aussi aux Ternat ; alliés également aux Dupin de Bruère, ancêtres de George Sand.

Et ils ont de nombreux enfants qui portent souvent des prénoms identiques, et occasionnellement des bâtards, comme ce Pierre Libault "fils bâtard de Me Claude Libault et de Françoise Brung" baptisé le 9 novembre 1619.

On conçoit que les successions aient pu poser des problèmes. On hérite d'une ou de plusieurs pièces de la maison, d'une partie du parc, d'un tiers du jardin... Certains vendent leur part. D'autres rachètent. D'aucuns font des échanges.

Quoiqu'il en soit les Libault tiennent bien leur place. Ainsi en 1614 Claude Libault l'aisné et Jean Libault, notaire royal et procureur au baillage de Meillant, se mettent à la tête des habitants de Meillant, Segogne, Crouron et Arpheuilles contre Antoinette de la Rochefoucauld, Dame de Meillant, pour défendre leurs droits d'usage dans la forêt.

Bien plus, la transaction finale du 20 avril 1614 entre les parties est faite par devant un autre Libault. C'est donc un peu grâce à eux que ces droits sont encore nôtres aujourd'hui.

Il faut attendre 1624 pour s'y retrouver à peu près dans la filiation des Libault, mais sans pouvoir dire qui possède quoi.

En ce qui concerne la maison les choses commencent à s'éclaircir le 20 septembre 1672.

Ce jour là a lieu une vente sur saisie. Claude Libault, greffier à Meillant et à Saint-Rhomble, achète pour 1806 livres "une chambre basse, ung scellier y joignant, une cave, chambre haulte, grenier dessus ung galtas dans la grande maison de feu Me Jehan Libault"; le tout contigu au lot appartenant à Etienne Libault et à ses frères et soeurs, ainsi qu'au logis de feu Me Claude Libault et à celui de feu Me Pierre Libault.

Il achète en même temps le tiers du jardin situé au devant dudit logis, le domaine du Moulin du Pré, etc..

Après la mort de Claude Libault, le 25 septembre 1679, sa veuve, Jeanne Marie Charrier, qu'il avait épousée le 13 mars 1677, s'unit en secondes noces le 30 avril 1682 à Gilbert Avenier, conseiller du roi et contrôleur du grenier à sel de Saint-Amand.
Le 3 juin 1692 elle achète une autre partie de la maison : deux chambres basses ayant cheminée en l'une des dites chambres et un four, situées dans le grand corps de logis "vulgairement appellé la maison des Libault", ainsi que la moitié (soit deux boissellées) des terres situées autour du parc des dits Libault et devant son enclos.

Le 3 mars 1710, François Libault, né le 9 janvier 1678 du court mariage de Claude Libault et de Jeanne Marie Charrier, achète d'un autre Claude Libault, chirurgien à Meillant, "les deux chambres hautes de derrière la grande maison et une portion de terre dans le parc". Il est alors âgé de 32 ans et est qualifié de "sieur de Saint-Rombe".

Le 12 novembre 1705 il a épousé Marguerite Gousset qui lui donnera cinq filles en sept ans de mariage :
-Jeanne-Marie le 10 novembre 1706 ;
-Madeleine le 2 mars 1708 ;
-Marie le 28 avril 1709 ;
-une autre Marie le 2 septembre 1710 ;
-et Marie-Jeanne le 26 novembre 1711.

Avec de pareils noms allez savoir qui est qui.

Le 27 novembre 1712, âgé de 34 ans, le "sieur de Saint-Rombe" meurt et est lui aussi enseveli dans l'église.

Quand Jeanne-Marie Charrier, mère de François, trépasse le 18 septembre 1714, Marguerite Gousset devient usufruitière.


C'est la première fois depuis longtemps que la maison entière et le patrimoine des Libault sont réunis dans les mêmes mains.
La grande maison, le terrain qui l'entoure, les deux domaines de Saint-Rhomble, celui de Sarzay, le Moulin du Pré, etc.. Et
Marguerite en prend soin. Ainsi un document du 26 mai 1717 nous apprend qu'elle a fait effectuer des réparations dans les chambres et le grenier de la maison.

Hélas! Avec la mort de François, sieur de Saint-Rhomble, la famille est tombée en quenouille et bientôt on ne parlera plus des Libault. Pourtant leur sang coulera encore pendant deux siècles dans les veines des propriétaires de la Baillite.

Voyons plutôt : le 13 janvier 1728, Jeanne-Marie Libault, fille de défunt François, âgée de 22 ans, épouse Antoine Collas, procureur au baillage de Saint Amand. Les années passent. Le 24 juin 1742, Marie, une de ses soeurs, meurt encore fille à l'âge de 32 ans. Cinq mois plus tard, l'autre Marie, qui a 33 ans, épouse Pierre Collas, notaire royal à Meillant et frère d'Antoine. Des autres soeurs on ne trouve pas trace.

Sur ces entrefaites Marguerite Gousset, leur mère, meurt. L'acte de "partage de la succession de maistre François Libault et de damoiselle Marguerite Gousset, sa femme, entre leurs enfants" est daté du 1er février 1743. Il stipule que Jeanne-Marie hérite des deux domaines de Saint-Rhomble, et Marie de la maison de Meillant et du domaine de Sarzay. Cette dernière meurt sans enfants le 1 avril 1768. Sa part revient donc à sa soeur Jeanne-Marie qui est alors veuve avec deux filles.

Voici comment le "Registre sur lequel sont inscripts les maisons, héritages et rentes appartenant à Dame Jeanne-Marie Libault, veuve de Me Antoine Collas, vivant procureur au baillage de Saint-Amand, du 25e septembre 1769" décrit la maison de Meillant :

"Une grande maison située au bourg de Meillant consistante en deux grands corps de bastimens se tenant, deux caves, deux puits, deux cours, une grange, cuvier, écurie, etables, portail, etc.. le tout se tenant ensemble, jouxtant d'une part la rue tendante du prieuré de Sainte-Catherine à Saint-Amand au levant ditte la rue de Boutillon (l'actuelle rue de la Baillite), du septentrion la rue tendante du puy Renard à l'église dudit Meillant (l'avenue de Dun), du couchant une maison et jardin appartenante aux Jessé de Thiou (la maison de Mr Varin, bâtie en 1613 par André Delafaix), et du midy la terre du parc dépendante de la dicte maison".

Du mariage de Jeanne-Marie Libault et d'Antoine Collas deux filles étaient issues :
-la première, Marie-Jeanne, sans doute à Saint Amand ;
-la deuxième, Elisabeth, le 13 novembre 1746 à Meillant, sa mère ayant alors atteint la quarantaine.

Le 13 septembre 1768, Elisabeth Collas épouse en l'église de Meillant Antoine Fouquet des Roches, avocat en parlement et procureur au baillage de Meillant. Il est fils de Jean Fouquet, greffier en chef de l'élection de Saint-Amand et de Marie Catherine Lerasles. Son frère, Jean Baptiste Fouquet est régisseur des forges de Meillant et deviendra régisseur des terres de Mareuil et de Charost. Une de ses soeurs, Jeanne Marie Fouquet, est l'épouse de Me Jacques Bagnayt de La Chaulme, directeur de la forge de Mareuil puis de celle de Boutillon.

Antoine Fouquet des Roches et Elisabeth Collas donnent naissance à deux filles :
-Jeanne-Marie Fouquet, le 3 janvier 1770 ;
-Catherine-Elisabeth, le 2 juin 1771.

A la mort de Jeanne-Marie Libault, leur mère, la 4 février 1779, Elisabeth Collas et sa soeur Marie-Jeanne héritent de ses biens. Cette dernière ne s'étant pas mariée, ou bien étant morte sans postérité, la maison entière et les autres propriétés reviennent finalement à Elisabeth, l'épouse d'Antoine Fouquet.

On dit que la révolution de 1789 fut une révolution bourgeoise et non pas populaire. Les Fouquet de Meillant, apparemment, la traversent sans encombre. Il leur suffit de transformer "des Roches" en "Desroches". Et pourquoi pas ? Des Marans, le curé de Meillant, est bien devenu "Marans" tout court.

Le 12 juin 1792, Antoine Fouquet, qui désormais s'intitule simplement "homme de loi", marie solennellement ses deux filles en l'église de Meillant.
-Jeanne-Marie épouse Jacques-Claude Luyllier, juge de paix du canton de Meaulne, fils de feu Claude Luyllier, lieutenant des eaux et forêts de la maitrise de Cérilly et de Dame Madeleine Berthomier.
-Catherine-Elisabeth, elle, épouse Jean-Etienne Bonnelat, procureur de la commune de Vernais, fils de feu Etienne Bonnelat, bourgeois, et de Gabrielle Bujon.

A la mort de ses parents, Catherine-Elisabeth hérite le 30 mai 1808 de la maison de Meillant, des terres de Saint Rhomble, etc..

Hippolyte Bonnelat, maire de Meillant de 1831 à 1848 et à ce titre membre du conseil de fabrique de la paroisse, était-il son fils ? La chose serait à vérifier.

Quoiqu'il en soit, c'est sa soeur (?) Louise-Clémentine, née en 1807 de Jean-Etienne Bonnelat et de Catherine-Elisabeth Fouquet, qui héritera de la grande maison et des propriétés de Saint-Rhomble.

Louise-Clémentine Bonnelat épouse, à une date et en un lieu encore incertains, Gilbert-Jean-Amable Petit qui mourra à Meillant le 4 novembre 1871, âgé de 79 ans.

En 1842 un fils leur nait à Hérisson et reçoit le nom Edouard. Il épouse Leonie Lepetit, née à Saint-Amand le 2 juin 1851.

A la mort de sa mère, le 5 novembre 1881, Edouard Petit hérite de la maison et, bien sur, de Saint-Rhomble. Quand il meurt à Meillant, sans enfant, le 23 octobre 1912, maison et domaines passent à sa veuve. Celle-ci passe de vie à trépas le 3 mai 1926 à Meillant.

Mais depuis quatorze ans déjà le sang de "Maistre Jehan Lybault" est tari.

Pour la première fois, après plus de quatre siècles, sa "Grande Maison" est mise en vente. Mais, que diable ! depuis quand et pourquoi 1'appelle-t-on la Baillite ?

Meillant, le 30 novembre 1985

R. Challet, curé