AVENTURE INCROYABLE ET POURTANT VRAIE (1854-1855)
Note rédigée par Philippe Lacord, vicaire à Meillant de 1827 à 1841, puis curé de 1841 à 1868.
Le texte est entièrement de sa main, sauf les parties entre parenthèses qui contiennent : soit des corrections, soit des précisions jugées utiles. Les points de suspension indiquent un allégement du texte.
Jehan Lybault, (qui fit édifier la grande maison à l'angle de la rue de la Baillite), trépassa le premier Mai 1530. Il fut inhumé, comme il était alors d'usage, dans l'église, et sous la chaire. (Son épitaphe est aujourd'hui enchâssée dans le lambris de la chapelle de saint Joseph, où elle fut transportée vers 1877). Sur sa tombe on avait mis une pleureuse, c'est-à-dire une statue de grandeur naturelle et en pierre de Charly qui probablement représentait sa femme (Alizon Roussard). Elle était couchée sur la tombe, la tête appuyée sur le bras gauche, et dans la posture d'une femme abattue par la douleur. En voyant en effet les grosses larmes qui coulaient sur ses joues, on comprenait aisément qu'elle pleurait la perte douloureuse qu'elle avait faite.
Arrive la Révolution de 1792 (sic)...(La tombe ne fut pas détruite, peut-être parce que Antoine Fouquet Desroches, premier maire de Meillant, puis président du District de Saint-Amand, était par sa femme apparenté à Jehan Lybault. Néanmoins) la statue fut mutilée : on détacha du tronc la tête et les bras, qui devaient être bien faits si l'on en juge d'après les draperies de la robe qui recouvre le corps. Ainsi mutilée elle continua d'occuper sa véritable place jusqu'en 1820.
Mais en 1820, Mr Demenitroux mon prédécesseur de concert avec Mr Pennet, Maire de la commune, crurent devoir profiter de la présence d'un mauvais plâtrier, ou plutôt d'un gâcheur de plâtre, pour ... faire restaurer la susdite statue. Dans la crainte sans doute qu'on ne vint encore à la casser, et probablement aussi parce qu'elle gênait où elle était précédemment, on la plaça sur la corniche ou entablement de la grille en pierre qui ferme la chapelle où sont placées les soeurs et les petites filles des écoles (l'actuelle chapelle de la Sainte Vierge).
Elevée sur ce nouveau trône, bientôt on en fît une sainte et une sainte Madeleine ! Mais ne voila-t-il pas qu'une vingtaine d'années plus tard, une femme a le malheur de mettre au monde un enfant aveugle : elle en accuse naturellement la statue qui elle-même était aveugle, et qui par là l'avait frappée au moment de sa grossesse.
On voulut alors me faire détrôner la malencontreuse sainte. Mais dans la crainte de faire des mécontents et d'exciter la rumeur publique, j'en suspendis l'exécution. Et bien m'en prît, ainsi que nous le verrons plus tard. En effet, nos Soeurs qui, comme la mère du petit aveugle, ne voyaient qu'avec peine l'affreuse figure de la statue couchée à l'entrée de leur chapelle, se décidèrent à la faire disparaître à la veille de Noël.
A sa place on met des lampions. Le peuple, et les femmes surtout, font la remarque. On réclame la sainte. On s'informe à droite et à gauche. On se demande : « mais qu'en a-t-on fait ? Où l'a-t-on mise ? »
Le lendemain on l'apperçoit étendue sur l'herbe du cimetière, ce qui était d'autant plus facile que le mur s'était laissé aller dans deux endroits à la fois par suite du dégel. Alors on se recrie, on s'indigne de voir la sainte ainsi profanée.
On s'en prend aux Bonnes Soeurs, et par contrecoup au curé. On les accuse de détruire la religion. On ne veut plus aller à la messe, ni à confesse, que la sainte ne soit remise à sa place. Tout ce bruit pourtant se calme s'arrête même.
Depuis assez longtemps déjà on ne parlait plus de rien, lorsque, tout à coup, Lucifer et ses complices se mêlent de la partie. Ils suggèrent, non seulement aux habitants de Meillant, mais encore à ceux des communes voisines, que si l'hiver est si rigoureux, de si longue durée ; que si nous avons tant de contretemps, des pluies, de la neige, du givre et du verglas, comme on n'en a jamais vu depuis que le monde existe ; c'est au déplacement de la bonne sainte Madeleine qu'on doit attribuer tous ces malheurs.
Une vieille femme native d'Uzay, cabaretière de son état et qui portait le nom de Madeleine ainsi que son auberge, le comprit mieux que personne. (Il s'agit de Madeleine Dyon, née à Uzay en 1781. Elle avait épousé Pierre Thévenin à Uzay le 27 germinal 1809. Son auberge était située à l'angle de la rue Sainte Catherine et de la route d'Uzay. C'est là qu'elle mourra le 28 janvier 1861). ...Elle fit auprès de ses clients et surtout auprès de ses pays et payses les plus généreux efforts pour qu'on réparât l'outrage fait à la sainte, sa patronne.
Sa voix fut écoutée.
Les gens d'Uzay furent les premiers qui escaladèrent le mur du cimetière pour visiter la sainte. Ils la trouvèrent à leur grand étonnement plus belle qu'elle n'était avant qu'on ne l'eut exposée aux intempéries de la saison. Elle était donc vraiment sainte ! Et qui pourrait en douter ? Ils l'avaient vu remuer et verser des larmes. Les habitants de La Celle entendaient ses soupirs, ses plaintes et ses gémissements. Ceux de Saint-Amand prétendaient que depuis qu'elle était dans le cimetière c'était inutilement qu'on essayait d'en relever les murs, qu'ils s'écroulaient au fur et à mesure qu'on les relevait.Enfin on en dit tant et tant, et de tant de façons, que je n'en finirais plus si je voulais rapporter tous les contes, toutes les balivernes et billevesées, toutes les inepties, les sottises et les bêtises toutes plus grosses les unes que les autres qui furent dites et faites à cette occasion.
Les habitants d'Uzay ... furent les premiers qui se mirent en devoir de l'enlever.
Deux fois ils se présentèrent munis d'une voiture.
Les ouvriers des fourneaux, indignés de voir qu'on veut leur enlever ladite sainte Madeleine, s'excitent les uns les autres et se mettent en tête de la replacer sur son ancien trône.
Trois des plus zélés, bien qu'ils ne fussent pas des plus religieux ni des meilleurs citoyens, puisque tous les trois avaient été sur le point d'être transportés en Afrique comme ayant fait partie de la société secrète (de Meillant et du complot contre le Prince Président Louis-Napoléon Bonaparte en 1852) ; trois dis-je des plus zélés vont trouver le Maire pour lui demander son autorisation.Soit par crainte, soit par ignorance de ses devoirs, le Maire les laisse faire. Mais comprenant mieux le danger et les suites fâcheuses qui pourraient résulter d'une pareille démarche, je crus devoir intervenir et m'opposer à leur entreprise.
La majorité du conseil municipal, composée de gens ejusdem farinae (i.e. de la même mouture) en fut blessée. Elle ne pouvait m'attaquer. J'étais dans mon droit. Elle prit le parti de m'ôter le modique supplément de traitement que la commune m'avait toujours accordé jusque là, ne se doutant pas qu'en agissant ainsi à mon égard, elle me laissait toute ma liberté, mon indépendance.
En effet à chaque changement de Gouvernement, à chaque renouvellement j'étais menacé de voir mon supplément supprimé. Bien loin donc de m'en plaindre, je les remercie en ce qui me concerne de la mesure qu'ils viennent de prendre...(Le Maire, à cette époque, était Antoine Audebrand. En février 1852, 57 membres de la société secrète de Meillant avaient été traduits devant une commission spéciale à Bourges : 8 avaient été condamnés à cinq ans de forteresse en Algérie, 3 à cinq ans de travaux forcés en Algérie, 44 mis sous surveillance, et deux avaient été relâchés).
Bulletin municipal n° 9
Janvier 1992