L'ÉGLISE
DE
LA CELLE-BRUÈRE
(CHER)

E. Lefèvre-Pontalis
1910

La date de fondation du prieuré de La Celle-Bruère, qui dépendait de l'abbaye bénédictine de Déols, est inconnue, mais une charte de 1150 en fait mention. Raoul de Charenton pilla cet établissement religieux en 1156 (1). La présence de deux débris de stèles dans l'absidiole nord et dans le mur méridional mérite d'être signalée : d'ailleurs la voie romaine de Bourges à Néris passait dans le village, qui se trouve un peu éloigné de l'église. Il est probable qu'un édifice religieux plus ancien s'élevait sur le même emplacement car on a réincrusté au XIIe siècle dans la façade des sculptures pré-romanes.

L'église du prieuré, classée parmi les monuments historiques, est encore intacte. Sa construction, commencée vers le milieu du XIIe siècle, se poursuivit en deux campagnes. À la première, il faut rattacher le choeur, le transept, la quatrième et la cinquième travée de la nef. À la seconde, on peut rapporter les trois premières travées de la nef et la façade, qui portent l'empreinte d'un style roman plus avancé. Le plan comprend une nef bordée d'étroits bas-côtés, un large transept flanqué de deux absidioles de profondeur inégale dans chaque croisillon, et un chevet en hémicycle dont les travées droites communiquent avec de véritables collatéraux qui précédent les absidioles tangentes au choeur.

Cette curieuse disposition, qui se retrouve en Berry à Châteaumeillant, où les moines de Déols avaient fondé d'autres prieurés, dérive d'une influence bénédictine qui se fit sentir aussi bien à Anzy-le-Duc (Saône-et-Loire) et à Saint-Sever (Landes) qu'à Sainte-Marie-d'York.

La nef divisée en cinq travées, est recouverte d'une voûte moderne en berceau plein cintre, soutenue par des doubleaux à profil carré sans moulures. Cette voûte, en briques creuses, a été construite par M. Darcy, vers 1898 pour remplacer l'ancien berceau, de 0m 40 d'épaisseur, qui poussait au vide. Les grandes arcades en plein cintre à double ressaut retombent sur des tailloirs en biseau ou à deux cavets : mais dans les trois premières travées, qui sont plus jeunes, leur ouverture est réduite à 4 mètres, tandis qu'elle atteint 3m 69 dans les deux dernières travées, seules éclairées par des oculi (2) qui sont percés dans les reins de la voûte. De même, l'imposte est plus élevée dans les travées voisines de la façade, dont les piles sont plus minces que les autres. Ces observations suffisent à prouver la réalité des deux campagnes déjà signalées. L'appareil à larges joints des piles cruciformes se compose d'assises qui mesurent en moyenne un pied de hauteur. L'unique colonne engagée de ces supports correspond à l'un des doubleaux de la nef. Sa base a la forme d'un glacis. La plupart des chapiteaux couronnés d'un tailloir en biseau sont frustes : des animaux affrontés, des masques d'angle ou des palmettes se détachent sur quelques corbeilles.

Les bas-côtés, larges de 1m 90 seulement, sont voûtés en berceau plein cintre, comme la nef. Les trois derniers arcs-doubleaux qui s'appuient sur des pilastres, portent un mur assez haut sur l'extrados de leurs claveaux carrés, comme à Saint-Amand-Montrond. Au contraire, dans les deux travées occidentales la courbe des doubleaux épouse celle de la voûte en blocage : on voit encore des corbeaux frustes destinés à porter les cintres de charpente, comme dans le déambulatoire de la crypte de Montmajour. Une cage d'escalier moderne s'élève dans la première travée du bas-côté nord au revers de la façade.

La hauteur des collatéraux dont les fenêtres en plein cintre suffisent à éclairer la nef et leur voûte destinée à contre-buter celle du vaisseau central prouvent les influences de l'école poitevine dans le Berry déjà signalées par notre confrère M. Deshouliéres (3). Vers la fin du XVe siècle l'église de La Celle-Bruére fut menacée du même accident que celles de Saint-Jouin-de-Marnes et d'Airvault (Deux-Sèvres). Le déversement des murs des bas-côtés faillit causer la ruine de la voûte de la nef mais des arcs-boutants ajoutés aussitôt purent conjurer le péril. Aux angles de la croisée, quatre piles cruciformes, ftanquées de trois colonnes et d'un pilastre, sont reliées par de grands arcs en plein cintre, à doubles claveaux et à deux ressauts, qui retombent sur des chapiteaux d'un relief assez faible.

Sous l'angle des tailloirs en biseau, on remarque des têtes humaines encadrées de feuillages que les sculpteurs romans du Berry aimaient à reproduire. Je puis en signaler d'autres exemples dans le déambulatoire de Saint-Benoit-sur-Loire à l'entrée des chapelles rayonnantes.

Malgré leur caractère un peu plus archaïque, les chapiteaux du transept de l'église de La Celle-Bruère ne peuvent pas remonter au XIe siècle, comme M. Buhot de Kersers l'a prétendu. La coupole centrale octogone, assise sur une moulure en biseau se compose de pans inégaux : les plus petits correspondent à quatre trompes en cul-de-four.

La première travée du croisillon nord, de même largeur que les bas-côtés, est recouverte d'une voûte en berceau qui s'élève à un niveau supérieur à celle de la seconde travée, afin d'épauler la coupole comme à Orcival (Puy-de-Dôme). Ce système de butée généralement réalisé en Auvergne par deux petites voûtes en quart de cercle avait donc pénètré dans le Berry, car les architectes des églises de Châteaumeillant, de Lignières et de Puy-Ferrand adoptèrent ce dernier parti. La voûte de la seconde travée est encadrée par un doubleau en plein cintre qui s'appuie sur deux colonnes. Une fenêtre de la même forme s'ouvre dans le mur de fond.

Le bas-côté voûté en berceau qui longe le choeur et qui précède la première absidiole voûtée en cul-de-four communique avec le choeur par trois arcades. Une disposition du même genre se rencontre aux Aix-d'Angillon, à Blet, à Charost, à Châteaumeillant, à Chezal-Benoit, à Devres, à Plaimpied, à Saint-Oustrille (Cher), à Méobecq, à Saint-Genou (Indre) et à Saint-Benoit-sur-Loire, comme dans les églises normandes. La partie droite du mur est décorée par trois arcatures en plein cintre qui s'appuient sur des pilastres.

La seconde absidiole plus large et moins profonde, est encadrée par deux colonnes et par un arc cintré qui précède la voûte en cul-de-four. Les chapiteaux, ornés de têtes de femmes et de feuillages méritent d'attirer l'attention. Un bandeau biseauté passe sous l'appui de la fenêtre de l'hémicycle. Toutes ces dispositions se répètent dans le croisillon sud.

Des masques de femmes et des monstres qui tirent la langue ou qui avalent des boules se détachent sur les chapiteaux de l'absidiole la plus éloignée du sanctuaire.

La voûte en berceau du choeur précède une voûte en cul-de-four : deux colonnes viennent s'engager dans le décrochement des murs. De chaque côté dans la partie droite s'ouvrent trois arcades en plein cintre qui retombent sur deux grosses colonnes monolithes et sur deux colonnes engagées. Une large scotie surmontée d'un petit tore se développe autour des bases.

Au nord les chapiteaux sont garnis de larges palmettes et de feuillages qui se relient à l'astragale : on voit des dragons affrontés sur une corbeille.

Les sculpteurs ont découpé huit dés sous les tailloirs à double cavet comme au sommet des chapiteaux corinthiens. Du côté sud les chapiteaux sont remarquables. Le premier qui couronne une colonne engagée, est orné de deux masques et de feuillages. Le second qui correspond à un fût isolé se distingue par quatre têtes d'hommes barbues très saillantes, dont les cheveux se divisent en mèches, suivant la mode du XIe siècle.

Au milieu de chaque face de la corbeille, des figures de femmes alternent avec les masques d'angle.

Il faut mentionner ensuite huit oiseaux dont les cous s'entrelacent et quatre dragons affrontés qui dévorent la tige d'une volute. À l'entrée de l'hémicycle, éclairé par trois fenêtres en plein cintre qui s'ouvrent entre deux colonnettes, on remarque à droite un chapiteau où deux lions se dressent au milieu d'élégantes palmettes ; à gauche, deux têtes d'angle barbues et trois masques intermédiaires.


Ne quittons pas l'intérieur de l'église sans étudier le remarquable tombeau de saint Silvain, placé dans le croisillon sud. M. l'abbé Duroisel a décrit cette oeuvre d'art, qui provient d'une chapelle bâtie au XVe siècle dans la paroisse et dont les peintures étaient très originales (4). Le gisant, de petite taille, vêtu du costume sacerdotal, a la tête appuyée sur un coussin, entre deux anges mutilés. On ne peut plus lire que vingt mots de l'épitaphe :

..................................................ques
............................................reliques
....................patron et noustre dame
....................lieux invoque et reclame
......................tant y leurs pères faire
.......paradis Dieu nous veuille retraire

Le socle, de style flamboyant est rehaussé de bas-reliefs. Au nord, le Christ, monté sur une ânesse et suivi par les douze apôtres, fait son entrée à Jéricho, sous les yeux de Zachée qu'on aperçoit dans un arbre. La scène qui correspond à la tête du gisant représente saint Pierre envoyant les deux moines saint Silvain et saint Silvestre évangéliser la Gaule. Dans le panneau méridional, encadré par des moulures et des colonnettes, comme les autres, saint Silvain et sainte Rodène ensevelissent saint Silvestre dans son cercueil. On voit ensuite saint Pierre qui remet le bâton pastoral à saint Silvain, la résurrection de saint Silvestre et le baptême de sainte Rodène par saint Silvain. Le bas-relief qui se trouve sous les pieds de la statue est difficile à interpréter, mais comme sainte Rodène y figure, on peut supposer que saint Silvain la présente aux fidèles après son baptême.

Épaulée par des contreforts d'angle peu saillants, la façade en petits moellons conserve une porte en plein cintre dont les deux colonnettes ont disparu : le tailloir en biseau de leurs chapiteaux est orné de palmettes et d'entrelacs. Le tympan nu, qui repose sur un linteau appareillé est encadré par deux rangs de claveaux sans moulures et par un cordon garni de damiers et d'entrelacs en forme de losanges. Au-dessus des modillons et du glacis qui amortissent la saillie du portail, s'ouvre une fenêtre en plein cintre à boudin continu : son cordon mouluré forme un bandeau à la hauteur de l'imposte. Une croix, qui se compose de cercles entrelacés, couronne le pignon, dont les rampants sont décorés de billettes.

Sous les fenêtres percées dans l'axe des collatéraux, on voit deux bas-reliefs, d'un caractère très archaïque et d'une facture très grossière, qui représentent des lutteurs.

À droite, les combattants, vêtus d'un court bliaud à petits plis et chaussés de souliers, s'empoignent par la tête et par la ceinture. Des serpents s'agitent au-dessus de leurs têtes : on distingue entre leurs jambes un renard courant et un disque emmanché. Le nom de FROTO ARDUS se lit entre les deux personnages.

Dans le groupe de gauche, la lutte est encore plus vive. Les deux hommes plus frustes, se saisissent mutuellement par la tête : un carquois se détache à l'angle de la pierre et le nom de FROTO ARDUS est gravé sur un fragment d'arcade.

Trois autres sculptures également réemployées décorent la façade, notamment un masque humain et un taureau qui pose le pied sur une boule.

À quelle date peut-on attribuer les bas-reliefs des lutteurs ? M. Buhot de Kersers les fait remonter à l'époque carolingienne, mais les rares figurines humaines du VIIIe ou du IXe siècle que nous possédons, comme celles de Saint-Germain-sur-Vienne ou de Saint-Martin d'Angers, sont beaucoup plus grossières. Je ne crois pas ces sculptures antérieures au commencement du XIe siècle, d'autant plus que dans le centre de la France le caractère archaïque de tel ou tel débris réincrusté dans les façades est très trompeur, comme on peut s'en convaincre à Saint-Jouin-de-Marnes, à l'Octogone de Montmorillon et au nord du porche de Saint-Benoit-sur-Loire.

Frotoardus est-il un des lutteurs ou un sculpteur? C'est le même problème qui se pose dans le portail royal de Chartres pour le nom de ROGERVS gravé sous la statuette d'un boucher. Néanmoins, et malgré l'absence du mot « me fecit », j'opinerais pour une signature, car nous sommes ici en présence de deux personnages, et le second devrait être également identifié si l'artiste roman avait voulu faire connaitre le nom des lutteurs. (*)

Les murs extérieurs des bas-côtés sont bâtis, comme la façade, en moellons pris dans des bancs de très faible épaisseur mais les dix contreforts, peu saillants, forment chaînage et leurs pierres d'appareil présentent un bon exemple de taille en feuilles de fougère. Des modillons à copeaux aussi répandus dans le Berry et le Poitou qu'en Auvergne et des masques variés soutiennent la tablette en biseau de la corniche.

Les quatre arcs-boutants qui épaulent le mur méridional doivent remonter à la fin du XVe siècle ou au commencement du XVIe siècle, mais ceux qui se trouvent au nord ne doivent pas être antérieurs au XVe siècle car ils ne sont pas extradossés comme les autres. M. Georges Darcy, architecte de l'église, qui a bien voulu me communiquer ses observations est d'avis que le mur du sud s'est déversé le premier. Il fallut donc le contre-buter, mais la poussée des voûtes ne tarda pas à se reporter du côté nord où la même opération a du coïncider avec l'année 1735, époque ou l'église fut l'objet d'importantes réparations, qui coûtèrent 3.000 livres. On peut signaler un autre exemple de devers unilatéral à l'église de Plaimpied (Cher), où le mur méridional fut épaulé par des arcs-boutants dès le XIVe siècle.

L'abside épaulée par quatre colonnes qui jouent le rôle de contreforts, comme à Alichamps et aux Aix-d'Angillon (Cher), est décorée d'arcatures en plein cintre dont les claveaux nus taillés en pointe, retombent sur des colonnettes. Les tailloirs à bec des chapiteaux épannelés ont leur arête abattue en biseau ou remplacée par deux cavets. Il est intéressant de signaler dès le XIIe siècle, un exemple de cette forme de tailloir si fréquente à l'époque gothique. Au-dessus des fenêtres, on voit les modillons à copeaux de la corniche semblable à celle des absidioles, dont les murs en hémicycle sont renforcés par deux colonnes. L'absidiole, accolée au choeur du côté nord est reliée à l'autre par un arc à claveaux pointus qui forme une véritable niche : l'un des chapiteaux de ses contreforts est orné de dix têtes d'hommes, d'animaux et de chouettes. Un cordon biseauté encadre les fenêtres du chevet. Toutes ces dispositions se répètent du côté sud.

Le clocher central, très restauré, présente deux baies en plein cintre sur chaque face recoupées par une colonne engagée dans une pile et par deux arcs secondaires dont les claveaux sont taillés en pointe à l'extrados. Le toit en pavillon est moderne.

L'église de La Celle-Bruére porte l'empreinte d'une influence bénédictine dans le plan du chevet, d'une influence poitevine dans le système d'épaulement des voûtes de la nef et d'une influence auvergnate dans la solution adoptée pour contrebuter la coupole du transept. La pureté de son style, ses belles proportions, ses magnifiques chapiteaux décorés de feuillages et de têtes humaines, ses bas-reliefs réemployés permettent de la considérer comme un des meilleurs types de l'architecture romane dans le Berry.


E. Lefèvre-Pontalis


Société française d'archéologie. Bulletin monumental / publié sous les auspices de la Société française pour la conservation et la description des monuments historiques ; et dirigé par M. de Caumont. 1910.


Ce document est disponible sur le site Gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France





*** Depuis 2016, chacun peut participer à la restauration de l'église en faisant un don par la Fondation du Patrimoine

https://www.fondation-patrimoine.org/les-projets/sculptures-de-l-eglise-saint-blaise-de-la-celle










(1)
Bibliographie : Buhot de Kersers, Histoire et statistique monumentale du département du Cher, T VI, 1892, p 111.















(2)
Cette diposition très rare à l'époque romane se retrouve à Saint-Rémi de Reims, et dans la première travée du choeur à Saint-Jouin-de-Marnes (Deux-Sèvres).















(3)
Les églises romanes du Berry, dans le Bulletin Monumental, t. LXXIII, 1909, p. 487















(4)
Saint-Silvain, sa chapelle, son tombeau, son culte à La Celle-Bruère, Bourges, 1893, in 8°.

























(*) A propos de ces deux bas-reliefs de lutteurs signés Froto Ardvs, pourrait-on avancer une hypothèse plus "chrétienne" ? A gauche, les lutteurs, sur un plan d'égalité luttent loyalement ; et si cela montrait notre quête, notre lutte, tout au long de notre vie, pour nous rapprocher du Seigneur ?
A droite du portail, et à la même hauteur que les lutteurs, ces lutteurs font la paix, se congratulent ; ils sont couronnés de fruits d'abondance : n'est-ce pas là l'expression de ce qui nous est promis si nous nous réconcilions, au-dedans de nous-même, et avec notre prochain ? (Suggéré par Eric M. le 05/07/2018).