PUYFERRAND


par M. François DESHOULIÈRES


Introduction
Intérieur
Extérieur
Mobilier




Introduction

L'abbaye de Puyferrand (1), qui était une fondation de l'ordre des chanoines réguliers, doit avoir une origine ancienne puisqu'elle serait nommée dans un titre de l'abbaye des Pierres daté de 1070 (2), mais les détails manquent sur son histoire. Elle acquit certainement une rapide prospérité, car, dans la seconde moitié du XIIe siècle, un de ses abbés, Isambert, figure dans plusieurs actes importants (3). D'ailleurs, l'église abbatiale est un grand édifice qui, malgré sa simplicité primitive, n'en témoigne pas moins d'un établissement conventuel capable de donner asile à un grand nombre de religieux.

On peut affirmer que l'agglomération de Puyferrand est antérieure à celle du Châtelet qui l'absorba depuis. Celle-ci doit son existence à un château jadis d'une certaine puissance, mais, suivant l'opinion d'Emile Chénon (4), elle n'est que postérieure à la fondation religieuse.

L'abbatiale attira donc autour d'elle, à une époque indéterminée, quelques habitants auxquels elle assura le service paroissial, aussi, leur nombre croissant, dut-on, dans le courant du XIIIe siècle, agrandir l'église par une annexe destinée aux laïcs. Nous savons d'une façon plus précise que l'église fut dévastée et sans doute atteinte lors de l'incendie qu'en 1569 les reîtres huguenots du duc des Deux-Ponts allumèrent dans les bâtiments conventuels (5). À partir de cette époque, l'abbaye, déjà mise en commende, fut abandonnée des religieux qui n'y rentrèrent pas ; elle ne demeura plus que comme un bénéfice (6).

- Les péripéties qui durent accompagner l'existence de cette église et les exigences d'un service paroissial à exercer dans un édifice conventuel, enfin la dévastation des protestants lui firent subir des modifications que nous chercherons à reconnaître mais qui n'en ont guère altéré le caractère primitif. Celui-ci est aisé à retrouver.


Nous sommes devant une église à nef unique, suivie d'un transept sur lequel s'ouvrent deux absidioles et un choeur terminé par une abside demie-circulaire comme les absidioles. Mais une disposition spéciale est à noter ici ; les absidioles et le choeur sont reliés par un mur en segment de cercle qui renferme ainsi de chaque côté du sanctuaire une petite salle servant de sacristie ou de débarras. Ces « secretaria », qui sont assez rares ailleurs, se retrouvent en Berry aux églises d'Ineuil, de Lignières, de Saint-Hilaire-en-Lignières, de Bommiers ; on les voyait jadis dans l'église détruite de Rezay, et Albert Mayeux m'a dit en avoir constaté les traces dans celle de La Berthenoux. M. Pradel m'a signalé une disposition analogue aux églises de Saint-Désiré, de La Chapelaude, de Domérat, d'Huriel et de Saint-Pierre de Montluçon (Allier).

Au sud de la nef, un grand vaisseau parallèle, fermé par le mur occidental du croisillon sud, a été construit vers la fin du XIIIe siècle.



Intérieur

- La nef, haute et large, du type de celles de Charost et de Léré, était entièrement couverte d'une charpente apparente, et éclairée par des fenêtres en plein cintre, ouvertes près du sommet de ses murs gouttereaux. Les fenêtres sont encore visibles à l'extérieur, mais elles ont été bouchées et remplacées par des baies plus jeunes. Le carré du transept devant nécessairement être moins large que la nef pour qu'il soit possible de le recouvrir de dur, il fut nécessaire de lancer ses arcs d'encadrement latéraux à une certaine distance et à l'intérieur du prolongement des murs gouttereaux de celle-ci, et d'étroits passages berrichons furent ouverts au nord et au sud de l'arcade occidentale, pour permettre un accès plus facile dans les croisillons.

Nous avons dit en étudiant l'église de Saint-Jeanvrin combien ces passages furent fréquents dans les églises de la région. Toutes ces arcades sont de tracé brisé, mais celle qui fait communiquer le carré du transept et le choeur est surmontée d'un arc de décharge en plein cintre. Les supports en sont des colonnes engagées, aux lourdes bases moulurées d'un quart de rond volumineux, surmonté d'une gorge large et peu profonde et d'une bande. Certains chapiteaux sont demeurés lisses comme beaucoup de chapiteaux de la Saintonge, d'autres sont revêtus d'une sculpture plate : cercles enlacés, rinceaux, masques d'angles ;

sur l'un, au contraire, ces angles sont émoussés par un petit câble encadré dans une ove, tandis qu'à côté, un câble souligne le tailloir.

Les tailloirs sont d'une ornementation non moins variée. Ici une simple moulure y trace une bande et un cavet ; ailleurs, des damiers le rehaussent ; sur l'un, enfin, on a tracé le cartouche carolingien. Mais on ne doit pas être impressionné par ces signes d'archaïsme, car les arcs brisés que nous avons signalés et la note dominante de l'ensemble ne nous permettent pas de placer la construction de l'église avant la première moitié du XIIe siècle.

Au-dessus, s'élève une coupole circulaire montée sur des pendentifs appareillés au-dessus d'un bandeau. Or, les pendentifs sont rares en Berry et on ne peut citer que peu de transepts qui en possèdent : celui d'Ineuil, dans le Cher, et dans l'Indre, plus voisin du Limousin, région des pendentifs, ceux de Gargilesse et de Saint-Gaultier (7).

Il est vrai qu'on voit encore des pendentifs sous les petites coupoles des tours du clocher de Neuvy-Pailloux, de Primelles et de Germigny-l'Exempt, mais cette dernière est suspecte. Ici la coupole elle-même, faite de blocage, est maintenue par un système de butement analogue à celui que nous avons observé à La Celle-Bruère et qui existait aussi à Ineuil ; il consiste, rappelons-le, en un étroit berceau plus élevé que celui de la partie extrême du croisillon, et qui forme comme une seconde travée appuyée sur la coupole. Mais celle-ci n'était ainsi soutenue qu'au nord et au sud, et si le berceau en plein cintre du choeur lui donnait aussi de la sécurité à l'est, la poussée vers l'ouest n'était pas garantie.

Aussi, de ce côté, le constructeur crut-il devoir appliquer des colonnes qui ne portent rien et n'ont d'autre office que de raidir le mur, comme le feraient des contreforts.

Des absidioles ouvertes dans les bras du transept, celle du nord a seule conservé son cul-de-four en hémicycle, éclairé par une unique fenêtre ouverte entre des colonnettes. L'absidiole sud et l'abside, détruites par l'incendie de 1559, furent fermées par un mur droit qui, à l'extérieur, porte la date de 1595. La fenêtre primitive a été replacée dans le mur plat du chevet, et, sous le berceau du choeur, deux fenêtres latérales, nues, distribuent la lumière.

Telles sont les dispositions de cette église, qui résultent de sa construction primitive. Mais nous avons vu qu'au sud la nef a été doublée. On y voit, en effet, une salle spacieuse dont le plafond, plâtré au XIXe siècle, a remplacé une voûte d'ogives, ainsi qu'en témoignent les vestiges des supports engagés qui les soutenaient.

À l'extrémité orientale, qui a été fermée pour faire une sacristie moderne, on retrouve des amorces de voûtes d'arêtes. Peut-être cette disposition avait-elle pour but de marquer le sanctuaire. Buhot de Kersers voit dans la construction de cette chapelle vouée à saint Blaise, les conséquences de l'accroissement de la population, suite de la charte d'affranchissement qui fut octroyée en 1203.

En réalité, il s'agit d'une seconde église qui fut annexée à la première, car la baie de communication qui les relie ne fut percée qu'au XIXe siècle. Est-ce pour répondre aux besoins du culte paroissial que sont dues les transformations apportées à la nef primitive ? La chose est probable, car celle-ci fut aussi reprise au XIIIe siècle. Au dernier tiers de sa longueur, on y a élevé un mur percé d'une large ouverture en tiers-point ; des colonnes aux chapiteaux à crochets et des amorces de nervures toriques témoignent de l'âge de cette réfection. Comme conséquence des voûtes d'ogives qui furent alors lancées, le mur gouttereau septentrional fut doublé par une arcade qui apporta à la voûte un surcroît de sécurité. D'ailleurs cette voûte fut reprise au XIVe siècle avec des nervures flamboyantes, et des colonnettes rapportées les reçoivent sur des tailloirs polygonaux et des chapiteaux moulurés.

D'autres colonnettes devenues sans emploi furent placées à différents endroits de la nef. Peut-être voulut-on, en établissant cette séparation, permettre aux fidèles d'assister, du dehors de la clôture, à certains offices conventuels. Peut-être, après les dégradations de 1569, qui auraient atteint aussi cette partie de l'église, l'abbé commendataire fit-il réparer l'édifice avec l'espoir d'une existence nouvelle de l'abbaye. Nous ne pouvons que formuler des hypothèses devant ces restaurations encore très énigmatiques.




Extérieur


- La façade, construite en pierre d'appareil, est peut-être la plus belle partie du monument, et elle se rattache, dans de très heureuses proportions, à un type que j'ai jadis étudié, où des niches à fond plat, ou fausses portes, flanquent un portail parfois surmonté de deux zones horizontales, la première décorée d'une rangée d'arcatures, et la seconde ajourée de fenêtres.

On retrouve, en Berry, ce type plus ou moins développé et plus ou moins complet, à Saint-Genès de Châteaumeillant, à La Berthenoux, à Lignières, à Choudey, à Drevant, à Jussy- Champagne, à Avord, à Vornay, à Osmery, etc. J'ai démontré qu'il dérivait de celui que beaucoup d'églises de la Charente ont adopté (8). Ici, nous en avons un des exemples le plus complet.

Au rez-de-chaussée, s'ouvre une porte centrale dont la voussure en plein cintre, comme tous les arcs de cette façade, est rehaussée d'un gros tore naissant sur des colonnettes aux chapiteaux à volutes et aux bases taillées en glacis. Le tympan, garni de losanges, repose sur un linteau à crossettes dont la clé est décorée de rinceaux et que soutiennent deux colonnettes du style des précédentes. De chaque côté, deux niches à fond plat, séparées par un pilastre, sont formées d'un seul rang de claveaux.

Sur la zone intermédiaire, une triple arcature bordée d'un boudin est établie sur des colonnettes jumelles. Leurs chapiteaux sont sculptés d'une scène champêtre où l'on voit des cultivateurs travaillant, plutôt qu'une scène funèbre que Buhot de Kersers avait cru reconnaître, ou encore des masques dont la bouche serre des rubans-; ici l'astragale est double et câblé.

À l'extrémité de l'arcature, une pierre du pied-droit a été, comme à Châteaumeillant et à Saint-Jeanvrin, enrichie d'entrelacs copiés sur un modèle carolingien.

Enfin le dernier étage est ajouré de trois fenêtres semblables aux arcatures inférieures, mais la baie du centre est surmontée d'une archivolte de billettes, dont les extrémités engendrent un cordon qui épouse les contreforts divisant la façade en trois zones verticales. Remarquons le chapiteau à godrons de l'une de ces fenêtres. Le pignon est entièrement nu.

Au sud, la façade de l'église est prolongée par celle de la chapelle Saint-Blaise, percée d'une porte dénuée de tympan et dont le contour brisé est bordé de trois boudins soutenus par des colonnettes aux chapiteaux à crochets et aux bases creusées d'une scotie entre deux tores aplatis. L'un d'eux déborde sur le socle, mais il est soutenu par une petite console qui y est attachée. Ce sont des culots ornés de têtes qui reçoivent la moulure supérieure de la porte, allégée d'une gorge. Le style de cette baie permet de dater la chapelle Saint-Blaise de la seconde moitié du XIIIe siècle. Les murs latéraux de la nef ont été surélevés, ainsi que le démontrent, au nord, les modillons à copeaux ou à masques de la corniche primitive, qui sont demeurés éloignés du comble. La nudité des murs n'est rompue que par la trace des anciennes fenêtres aujourd'hui bouchées et par quelques corbeaux à encoche qui soutenaient l'appentis du cloître.

Nous avons vu que l'abside et l'absidiole nord avaient été en partie rasées au XVIe siècle. Mais le clocher central est intact, sinon complètement visible, car la base de sa souche carrée est à demi cachée par la surélévation des tambours latéraux recouvrant les berceaux qui butent la coupole, et par celle de la toiture de la nef, modifiée lors de la construction de la chapelle Saint-Blaise qu'elle enveloppe de son rempant méridional.

C'est ainsi que le cordon inférieur de la tour est à moitié caché. Ce cordon repose sur de petites arcatures tracées en cintre surbaissé et dont l'intrados est évasé en forme tronconique. Une corniche semblable souligne les quatre pans du toit du clocher. Nous avons vu que cette formule de corniche était très poitevine. C'est celle que l'on voit par exemple à Saint-Porchaire de Poitiers, à Civray (Vienne) et à Courcôme (Charente). Je l'ai relevée en Berry, à Thaumiers, à Chalivoy-Milon, à Dun-sur-Auron, à Lignières, à Drevant, à Ségry, à Chouday, à Vorly et à Cornusse.

La tour elle-même est ajourée, sur chaque face, de deux baies géminées en plein cintre, montées sur des colonnettes, et ses angles sont adoucis par d'autres colonnettes, le tout disposé dans de très heureuses proportions.




Mobilier



- Un certain nombre d'écussons sont sculptés sur les poutres

ou les pierres de l'abbatiale.
Le premier est de [sable] semé de billettes d'[or], au lion armé et lampassé de [gueules] brochant sur le tout,

qui est celui de Jean II de Saint-Julien et de Gilbert (*) ou Mathurin de Saint-Julien, lesquels étaient abbés de Puyferrand, l'un de 1465 à 1515, l'autre en 1539. Le dernier, tout au moins, était commendataire, et, au dire de Buhot de Kersers, un triste administrateur.

Un autre écusson

[dont on peut lire :
-D'azur, à une fasce d'argent, chargée de trois roses de gueules, surmontée d'un soleil d'or et accompagnée de trois chicots de même, deux en chef et un en pointe, qui sont


Toubeau de Maisonneuve,

et au 2°, à un chevron accompagné de 3 merlettes, 2 et 1 qui sont Geoffrenet de Champdavid. (**) (Alliance du 23 avril 1867 - cathédrale Saint-Étienne, Bourges, de Ernest Toubeau & Angeline Geoffrenet)] ?

Enfin, un troisième écusson est : de ... à la double fasce en cotice, accompagnée de 3 quatre-feuilles 2 et 1. Je n'ai pu l'identifier.

On a placé dans l'église un certain nombre de stalles du XVIe siècle qui viendraient de l'abbaye d'Orsan. De curieuses petites statuettes représentant des moines, un chevalier à cheval, sont sculptées sur le montant des accoudoirs, et des masques garnissent le dessous des miséricordes.

Un beau bénitier de pierre, de l'époque de la Renaissance, est à demi engagé dans le mur.

Sa vasque circulaire est ornée de panneaux à ailettes, et elle est montée sur une colonne rectangulaire, flanquée de deux dauphins allongés sur le pied, lui-même enrichi de losanges et de rectangles. Une inscription empâtée de plâtre semble indéchiffrable. À côté, une niche de pierre au fond formé par une coquille, et de la même époque, est surmontée d'un pinacle,

accompagnée de vases enrichis de figurines et terminée par un saint Michel terrassant le démon. Une vasque est placée au-dessous, supportée par des animaux ou des personnages fantastiques, avec une inscription qui n'est pas plus facile à lire que la précédente.



Extraits de
BULLETIN MONUMENTAL
ORGANE OFFICIEL DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D'ARCHÉOLOGIE
PUBLIÉ EN 1931
PAR MM. Marcel AUBERT
et François DESHOULIÈRES
DIRECTEUR ET DIRECTEUR ADJOINT DE LA SOCIÉTÉ.

CONGRÈS ARCHÉOLOGIQUE DE FRANCE
XCIVe SESSION
TENUE À BOURGES EN 1931


L'ensemble de l'ouvrage est accessible en ligne sur le site Gallica de la BnF.


















(1)
Commune et canton du Châtelet, départ, du Cher. L'église de Puyferrand est, et a toujours été l'église paroissiale du Châtelet.


























(2)
Cité par Robert Latouche, Dict. topographique du départ, du Cher. Cet auteur désigne à tort l'abbaye de Puyferrand comme bénédictine.


























(3)
Entre autres, un accord entre Jean II. seigneur de Lignières, et le seigneur de l'Isle, au sujet des dîmes d'Ids-Saint-Roch. V. Lucien Jeny, Mém. inédits pour servir à l'histoire de... Linières en Berry. p. 39.


























(4)
Emile Chénon, Notes archéol. cl Mil. sur le Bas-Berry, t. 111, p. 161.


























(5)
Raynal, Hist. du Berry, t. IV, p. 91.


























(6)
Buhot de Kersers, Hist. et stat. mon. du Cher, t. IV, p. 12.


























(7)
Certains archéologues ont cité en Berry les pendentifs de Reuilly et de Limeux, et moi-même j'ai commis cette erreur. Après un nouvel examen, j'ai constaté que là, les deux coupoles, comme celles de Nohant et de Saint-Georges de Poisieux, ne sont montées ni sur trompes, ni sur pendentifs, mais sont construites par un procédé maladroit et empirique destiné à marier le plan carré inférieur au plan circulaire du polygone supérieur. V. sur ce sujet, Deshoulières, Les Trompes des coupoles romanes en France, dans Bull. du Comité des travaux hist. et scientif., 1927, p. 367.


























(8)
Deshoulières, Les églises romanes du Berry, dans Bull. Mon., 1909, et Les façades des églises romanes charentaises, dans Congrès d'Angoulême, 1912.
























*
Jean de Saint-Julien, fils de Léonard baron de Saint-Julien et de Gabrielle de Rochefort de Châteauneuf (mariés le 13 juillet 1517), était aussi abbé de Prébenoist (Bétête, Boussac - Creuse), prieur de Darnay (Ardenais ?), et protonotaire apostolique. Il est l'oncle de Gilbert qui suit :

Gilbert de Saint-Julien, était aussi prieur d'Ardenais, et seigneur de Goutenoire, fils de Pierre, baron de Saint-Julien, lieutenant du roi en La Marche, et de Claude de Grailly (mariés en mai 1525).






















**
Geoffrenet : De sinople à un coq d'argent crêté, becqué et membré de gueules, perché sur un triangle vuidé et renversé d'argent et accompagné en chef de deux merlettes affrontées de même.