LES MOULINS DE MEILLANT
AU MOYEN ÂGE




Dans l'intéressant Cahier de 1'Inventaire, "Berry : Architecture, Saint-Amand-Montrond et son canton", il est dit que "la création d'étangs a fait partie de la mise en valeur des terroirs situés au sud du Cher par les Cisterciens de Noirlac dès la fin du XIIe siècle" et que "un moulin était souvent installé sur la digue" (page 15, note 3).

Pour ce qui est de Meillant, c'est inexact. Les chartes des archives de Noirlac, liasse 8 H 49, nous apprennent en effet qu'aucun de ses étangs et de ses moulins n'a été créé par les moines.

Six moulins sont mentionnés dans cette liasse. Les voici dans l'ordre où ils y apparaissent.


1. Le Moulin de Crosel (N° 1, sur la carte)
Agnès, fille d'Ebbes de Charenton, avait reçu Meillant en dot lors de son mariage avec Raoul de Déols, seigneur de Chateauroux (le château de Raoul). Celui-ci étant mort en 1176, elle épousa Raoul de Cluis. En août 1182 elle fit don à Noirlac de cinq sols de rente annuelle sur le moulin de Crosel, payables en la fête de l'Epiphanie, don confirmé le même jour par son époux.

Un acte de 1218 nous apprend que Denise de Déols, fille d'Agnès et de son premier mari, avait confirmé le don de sa mère et en outre donné à Pierre de Chinai, de Blet, trois émines de rente en pur froment à perçevoir annuellement à la Saint Michel sur les revenus de ce moulin qui appartenait au chevalier Etienne des Fourneaux, de Meillant.

Le 20 août 1220, par acte fait à Meillant devant Jacques archiprêtre de Dun, Etienne des Fourneaux fait don aux moines de son "moulin de Crosel avec son étang, ses appartenances et ses aisements". "Pour le bien de la paix, il donne à Marguerite, sa seconde femme, en échange pour son ouche dotale, la dîme qu'il perçevait sur le château de Meillant, et celle-ci affirma sous la foi du serment que cela lui suffisait".

Néanmoins, après la mort de son mari, dame Marguerite se rebiffa. Gérard, official du tribunal épiscopal de Bourges, dut intervenir et par décision prise la veille de la sainte Cécile 1221,1a menaça d'interdit si elle n'observait pas les dispositions testamentaires de son défunt époux. C'est seulement en Juillet 1223 que dame Marguerite et Matthieu Bergerole, son nouveau mari, firent la paix avec les moines de Noirlac.

Ce moulin de Crosel, appelé aussi Creuseau, Crosao, Creuseault, etc... cessa d'être mentionné au début du 17e siècle, époque où l'on se mit à parler de l'étang et du moulin du Fondement. Il était situé à l'emplacement de ce qu'on appelle "le Potager".

En novembre 1211, il avait été désigné comme l'une des limites de la ville franche de Meillant par Guillaume de Chauvigny, né du second lit de Denise : "De l'étang de Crosel au cimetière, et de la tête du Pré jusqu'en Chéré".


2. Le Moulin de Dominel (N° 2 sur la carte)
En 1182, Robert Malechair donne à Noirlac une rente annuelle de dix sols qu'il percevait jusqu'alors « sur le moulin de Dominel, sa maison, son verger et son pré ».

Il leur donne aussi "toute la forêt de Velachier et le pré de Gautier ainsi que toute l'eau qui se trouve à coté de ladite forêt et dudit pré". La forêt, aujourd'hui disparue, de Velachier est devenue "les Volages". Le pré de Gautier est devenu "les Prés Got", à l'ouest de Saint-Rhomble.

L'eau qui se trouve à coté de ces deux terres est l'hyvernin et l'étang de Saint-Rhomble. En janvier 1241, le damoiseau Etienne des Fourneaux, fils du riche chevalier Etienne des Fourneaux, situe cet étang et ce moulin "entre la ville de Meillant et la ville de Saint-Rhomble", et affirme qu'ils lui appartiennent.


3. Le Moulin du Pré (N° 3 sur la carte)
Un acte de donation, passé "dans la main" de saint Guillaume, archevêque de Bourges et primat d'Aquitaine, en l'an 1204 "du Verbe incarné", nous apprend que le moulin du Pré appartenait alors au noble homme Molsos, chevalier de Charenton, et à ses deux frères dont le premier s'appelait André. Le parchemin étant en partie rongé, le nom de son deuxième frère est à jamais oublié.

Par cet acte les trois frères donnent à l'Abbé Guillaume et aux frères de la Maison-Dieu-sur-Cher (Noirlac) l'intégralité du moulin du Pré ainsi que toutes ses appartenances.

Et l'archevêque précise: "Je dis bien l'intégralité de tout le moulin, car ils affirment qu'il leur appartient totalement, à l'exclusion de toute autre personne, sauf Renaud Mainery qui a droit à une rente annuelle de deux deniers, somme qui lui sera dorénavant payée par l'Abbé et les moines".

Ce Renaud Mainery avait pour épouse Odéarde, et il avait pour enfants : "Eudes, Etienne, Pierre, Renaud, Agnès, etc.", lit-on dans un acte de 1242.

Le moulin du Pré avait une retenue d'eau, nous dit un acte de 1235. Un autre nous parle de sa bonde. Il fonctionnait encore au 18e siècle. Dans un bail du 26 octobre 1744, Etienne et Claude Gartioux s'obligent à la fin du bail "de rendre et laisser le moulin tournant et virant et fesant farine. Seront les sieurs bailleurs tenus de fournir les meulles et meullages lorsqu'il en sera nécessaire, dont la conduite sera à la charge des preneurs..." Le moulin était situé sur l'Hyvernin, légèrement en amont du présent domaine, probablement là ou se trouve encore une maison d'habitation et une petite passerelle sur le ruisseau.


4. Le Moulin du Pré de la Boissière (N° 4, sur la carte).
En août 1214, devant Simon, archiprêtre de Châteauneuf, un habitant d'Uzay, « Ogier, fils d'Ogier des Varines, du consentement de sa mère Humberte et de Pierre Moner, mari de ladite Humberte » donna à l'abbaye de Noirlac ''sept boisseaux de mouture à prendre annuellement sur le moulin du Pré de la Boissière".

Ces sept boisseaux lui revenaient, disait-il, "de droit héréditaire". L'acte nous dit que les gens appelaient communément ce moulin "moulin de Chiret", nom qui ressemble étonnament à "Chéré" et qui nous permet de le localiser. Le Chéré est connu de tous les meillantais, quoique il ne se trouve sur aucun cadastre.

C'était, nous l'avons vu plus haut, une des limites de la ville franche établie par Guillaume de Chauvigny en 1211. C'est maintenant le lieu où se trouve la station d'épuration des eaux usées, sur le chemin du moulin du Pré et juste avant l'embranchement qui mène aux Bluises. Une visite sur les lieux nous montre que cet endroit est dans une cuvette traversée par l'hyvernin et aujourd'hui plantée de peupliers, situation idéale pour un étang et un moulin.


5. Le Moulin Folet (N° 5, sur la carte).
En 1231, Jean Morel, habitant de "Laboloise" (aujourd'hui "Les Blizes" à coté de Champange), donne à Hélie, Abbé de Noirlac, "le tiers de toute la terre et du pré qui sont en aval du lieu dit le Moulin Folet" jusqu'au moulin du Pré.

Moulin Folet. Ce nom fait penser à un moulin "foullon", c'est-à-dire moulin à draps. S'agissait-il d'un moulin encore en service, ou d'un moulin qui n'existait déjà plus comme l'expression "le lieu dit" pourrait le faire penser ? Il est difficile de le dire. Quoiqu'il en soit, sur le cadastre de 1826, en bordure de l'Hyvernin et à mi-chemin entre le château et le moulin du Pré, une pièce de terre est appelée "les prés foullés", appellation qui pourrait bien perpétuer le souvenir de ce mystérieux Moulin Folet.


6. Le Moulin de Champange (N° 6, sur la carte).
Situé sur l'Hyvernin, en aval du moulin du Pré, le moulin de Champange est mentionné dans une charte de février 1232. Vingt-cinq ans plus tard, en 1258, le mercredi après les "brandons", le damoiseau Pierre Terrice, surnommé Babans, probablement le fils du chevalier Aimery Terry et de dame Puella, donne à Noirlac douze deniers de rente annuelle sur le moulin "moenerem" appelé aussi moulin de Champange, ainsi que tous les autres droits qu'il avait ou pouvait avoir sur le même moulin.

Le qualificatif "moenerem" pourrait laisser soupçonner l'existence de quelque relation entre ce moulin et le Renaud Mainery de Saint-Rhomble, ce père de famille nombreuse dont il a été question plus haut, qui avait des droits sur le moulin du Pré.


A une époque plus proche de nous, il y eut à Meillant plusieurs autres moulins:

-le Moulin de Meneau, ou de Miot, sur le ruisseau de Barberauche. Les traces de sa retenue d'eau se voient encore entre le chemin de Billy et l'ancien chemin de Givry, au nord-est de la plantation de peupliers.

-Le Moulin Neuf, ou Moulin de la Font-Blanche, dans la Brande. Son étang existe toujours.

-Le Moulin de la Poterne, dans le parc du château. Il existait encore au siècle dernier.

-Le Moulin du Gros Bouchot, mentionné, si je ne me trompe, au 14e siècle. Son étang est aujourd'hui encore un lieu de pêche très fréquenté.

-Un Moulin de Demondain aurait existé, semble-t-il au 17e siècle, non loin du Paillât, sur le ruisseau drainant les eaux de Billy et de Givry qui traversait la route d'Uzay au pont des Chèvres.

Tout cela fait beaucoup de moulins. On aimerait connaître leur rendement en farine.

Il est clair, d'après ce qui précède qu'aucun des six anciens moulins n'a été construit par les moines de Noirlac. Ils existaient avant eux. Par donation deux moulins seulement leur ont appartenu à Meillant, celui du Pré et celui de Crosel. Sur les quatre autres moulins ils n'ont eu que des droits assez limités, et cela toujours par donation.

On dit souvent qu'au Moyen Age étangs et moulins étaient créés par les seigneurs et leur appartenaient. On a bien l'impression qu'à Meillant ils appartenaient tous à des particuliers, d'un certain rang social il est vrai : chevaliers, damoiseaux...

En outre nombre de petites gens possédaient des droits sur ces moulins et aussi des terres, maisons, vergers. Ils pouvaient les transmettre à des tiers, les donner, les vendre ou les échanger. On voit même Etienne des Fourneaux, chevalier de Meillant, avoir le droit de percevoir la dîme sur le château de Meillant et d'en disposer librement, la donnant même à sa femme en échange de son ouche, c'est-à-dire semble-t-il de la terre qu'elle avait reçue en dot.

Les Seigneurs et les Dames de Meillant, il est vrai, habitaient loin, à Châteauroux ou ailleurs.

Et ceci explique peut-être cela.

Que voulez-vous ?

-quand on est toujours soit en croisade, soit en guerre, d'abord aux cotés de Richard Coeur de Lion et de Jean sans Terre rois d'Angleterre, puis à ceux de Philippe Auguste roi de France, pour mourir finalement en captivité après avoir été défait au combat par son ancien suzerain ;

-quand entre temps on se paye un voyage à Rome pour aller devant le Pape défendre la validité de son mariage attaqué par l'Abbé de Déols et annulé par l'archevêque de Bourges, et obtenir gain de cause ;

-quand en même temps on doit administrer la moitié du Berry ;

-quand en plus on trouve le temps de faire un enfant à sa femme tous les deux ans : six en douze ans ;

et c'est là ce qui arriva à André de Chauvigny, deuxième mari de Denise de Déols ; on ne peut guère visiter et contrôler un lointain et petit fief comme Meillant.


Mais avec l'arrivée au pouvoir, vers 1232, de Louis de Sancerre, enfant du troisième lit de la même Denise, les choses allaient changer. On s'en rend compte déjà en 1233 lors du renouvellement de la charte de franchise de Meillant. Et il existe encore aux archives de Noirlac (8 H 51,62) et au château de Meillant une charte du 19 octobre 1238 contenant un arbitrage fait par Raoul l'Epervier, prieur de La Celle, et par Jean, archiprêtre de Charenton, entre Louis de Sancerre et l'Abbé de Noirlac. Cette charte en dit long …


Père René CHALLET